Barbara Ann Scott : la « bien-aimée » des Canadiens, et plus encore

Jenny Ellison

La fébrilité est de plus en plus grande alors que les athlètes canadiens s’apprêtent à participer à 102 compétitions à l’occasion des XXIIIe Jeux olympiques d’hiver, qui se tiennent ce mois-ci à Pyeongchang.

Bien sûr, les Jeux olympiques se sont transformés de multiples façons au fil des ans. Il y a 70 ans, par exemple, les athlètes canadiens n’avaient participé qu’à 22 disciplines sportives à Saint‑Moritz, en Suisse. Cette année-là, les patineurs canadiens avaient remporté deux médailles d’or. Les Flyers de l’ARC étaient parvenus à mettre la main sur la médaille d’or au hockey masculin, et ce, même si des doutes sur leur capacité à faire bonne figure dans une compétition internationale avaient été soulevés avant la tenue des Jeux.

L’autre médaille d’or canadienne a été remportée par Barbara Ann Scott, une patineuse artistique de 19 ans. La glace n’était pourtant pas dans une condition optimale pour sa performance, puisque les athlètes de patinage artistique et de hockey devaient se partager la même patinoire extérieure à Saint‑Moritz. Cela a contraint Barbara Ann Scott à exécuter sa chorégraphie sur une glace qui avait été entaillée par les patins des joueurs de hockey et qui, en plus, se liquéfiait en raison d’une température anormalement chaude. Elle a toutefois exécuté à la perfection ses figures obligatoires et ses figures libres, dont les images ont été diffusées en boucle par les médias internationaux.

Poupée Barbara Ann Scott

Poupée Barbara Ann Scott de la collection du Musée. Musée canadien de l’histoire, 983.29.23, S89-1870-Dp1

La patineuse canadienne retenait déjà l’attention au pays, mais son succès aux Jeux olympiques accroît sa célébrité. À son retour à Ottawa, elle a été accueillie par près de 60 000 admirateurs, dont le premier ministre William Lyon Mackenzie King.

Barbara Ann Scott est par la suite apparue dans des publicités pour Canada Dry, Timex et Community Silverplate China, en plus d’être invitée à l’émission américaine What’s My Line. Peu après les Jeux olympiques, elle a entamé une carrière professionnelle qui l’a amenée, en tant que tête d’affiche de la Hollywood Ice Revue, à voyager partout dans le monde.

Les Canadiennes et les Canadiens qui sont arrivés à l’âge adulte dans les années 1950 et 1960 se souviennent sans doute mieux de Barbara Ann Scott grâce à la poupée à son effigie. Fabriquée par la Reliable Toy Company de Toronto et offerte dans le catalogue du magasin Eaton, cette poupée a conservé sa popularité longtemps après la victoire olympique de la patineuse.

Les fabricants ont créé différentes versions de la poupée. Le Musée canadien de l’histoire en possède deux : l’une vêtue d’une robe rose, et l’autre vêtue d’une robe en dentelle bleue. Bordé de fausse fourrure, chaque costume chatoyant était accompagné de petits patins et d’un chapeau, le tout inspiré des ensembles portés par Barbara Ann Scott tout au long de sa carrière. La patineuse a d’ailleurs tellement aimé ses costumes qu’elle y a consacré un chapitre entier de son autobiographie, Skate with Me (Patinez avec moi), parue en 1950.

Les poupées ne sont peut-être que des jouets, mais elles sont aussi le reflet de la culture de leur époque. Celles à l’effigie de Barbara Ann Scott se distançaient toutefois de l’âge réel de la patineuse, puisqu’elles la représentaient sous les traits d’un bébé. Au début du xxe siècle, de récentes théories sur le développement de l’enfant avaient suggéré que les jeunes étaient mieux en mesure de profiter au maximum d’un jouet s’ils pouvaient s’y identifier. Les fabricants de jouets ont pris au sérieux ce concept, et les « poupées mode » des décennies précédentes ont progressivement été remplacées par des « poupées bébés ».

Catalogue de la Reliable Toy Company

Catalogue de la Reliable Toy Company datant de 1951. Musée canadien de l’histoire, IMG2009-0441-0013-Dm

Dans les années 1960, grâce à Barbie, les « poupées adolescentes » sont revenues à la mode, mais la médaillée d’or olympique avait quant à elle déjà été immortalisée sous les traits d’une jeune enfant. Cette analogie reflète certainement les descriptions qu’ont données les médias de Barbara Ann Scott, qui était perçue comme l’incarnation du charme féminin d’après-guerre. Ainsi, en 1948, le magazine Time suggérait qu’elle ressemblait « à une poupée que l’on pouvait regarder, mais que l’on ne devait pas toucher ».

Bien que Barbara Ann Scott ait été connue et appréciée pour son succès olympique, elle a réalisé plusieurs autres accomplissements. En 1947 et en 1948, elle a remporté les titres de championne d’Europe et de championne du monde en patinage artistique, tout en mettant la main, en 1945, en 1947 et en 1948, sur le trophée Lou Marsh décerné à l’athlète de l’année par les éditeurs de journaux canadiens. Elle a été la première femme à réussir un double lutz lors d’une compétition de patinage. Elle détenait aussi un brevet de pilote en plus d’être une golfeuse passionnée.

En 1955, Barbara Ann Scott a épousé Thomas King et a abandonné le patinage. Plus tard, elle a excellé en équitation, a été propriétaire d’un salon de beauté et a porté la torche aux Jeux olympiques d’hiver de 1988, à Calgary, et de 2010, à Vancouver.

L’histoire de Barbara Ann Scott nous rappelle que les Jeux olympiques peuvent transformer des athlètes amateurs en vedettes internationales : pour plusieurs générations, la patineuse est demeurée une icône du sport féminin canadien. Les poupées Barbara Ann Scott montrent comment les victoires olympiques peuvent transcender le sport et l’histoire pour inspirer la culture populaire.