Le fardeau de la preuve

Éliane Laberge

Dès son inauguration en juillet, la salle de l’Histoire canadienne relatera de nombreux récits sur le Canada au moyen d’artefacts authentiques. L’authenticité en est d’ailleurs l’un des principes fondateurs. Mais comment peut-on garantir l’authenticité d’un artefact? Telle est la question…

Il y a plus de trois ans, la famille Halter de Winnipeg a remis à Timothy Foran, historien et conservateur au Musée, une toge qu’elle croyait avoir été portée par le magistrat Hugh Richardson lorsqu’il présida trois procès des plus célèbres de l’histoire canadienne : celui de Louis Riel, pour haute trahison, à la fin de juillet 1885, ainsi que, plus tard cet été-là à Regina, ceux de Pītikwahanapiwīyin (Poundmaker ou Faiseur d’enclos) et de Mistahimaskwa (Big Bear ou Gros Ours), accusés de trahison.

Cette toge apparaissait sans conteste comme un ajout appréciable à la salle. Elle allait témoigner d’un chapitre instructif, bien que malheureux de notre histoire coloniale, la Rébellion du Nord-Ouest, en 1885, et ses répercussions. Cependant, M. Foran et les autres experts du Musée allaient-ils être en mesure de prouver que la toge avait bel et bien appartenu à Richardson?

Les Halter étaient persuadés que la toge en leur possession avait été endossée lors du procès de Louis Riel. Cette conviction les a incités à l’inscrire au patrimoine familial au moment où elle a été confiée, dans les années 1940, à G. Sydney Halter, un éminent avocat et défenseur des droits civils de Winnipeg. Tout en adhérant à l’hypothèse des membres de la famille Halter, amis du Musée, M. Foran voulait l’étayer de preuves scientifiques. Il souhaitait lui aussi croire que la toge n’était pas du toc. Toutefois, sa tâche consistait avant tout à découvrir la vérité. Aussi, se faisant l’avocat du diable, il se devait d’éprouver l’assertion de la famille, quitte à démentir l’hypothèse.

Au terme de plus de trois années de recherches, toutes les pièces à conviction recueillies valident l’affirmation selon laquelle il s’agit de la toge de Hugh Richardson, magistrat qui présida trois procès des plus célèbres de l’histoire canadienne. Musée canadien de l’histoire, 2013.54.1

Au terme de plus de trois années de recherches, toutes les pièces à conviction recueillies valident l’affirmation selon laquelle il s’agit de la toge de Hugh Richardson, magistrat qui présida trois procès des plus célèbres de l’histoire canadienne. Musée canadien de l’histoire, 2013.54.1

Le Musée enquête

Le moyen le plus évident d’y parvenir était de trouver la véritable toge de Richardson en la possession de quelqu’un d’autre. Or, M. Foran eut beau fouiller dans les archives, éplucher les journaux et consulter d’autres historiens, M. Foran ne trouva rien qui pouvait contredire les propos des Halter.

Il fit ensuite appel à Caterina Florio, l’experte en conservation des textiles du Musée. Il fut alors décidé d’envoyer la toge à l’Institut canadien de conservation, dont l’analyse montra que le tissu avait été mordancé avec du chrome, puis teint avec du campêche – une technique de teinture populaire dans les années 1870, précisément à l’époque où Richardson était devenu un magistrat. Cette technique donne une couleur de « noir chromé » qui a la fâcheuse tendance à se décolorer pour tourner au vert-de-gris plutôt terne. Or, c’est exactement la couleur de la toge.

Il restait un autre point à vérifier : le vêtement en question n’est pas une toge de juge, mais bien d’avocat. Richardson n’aurait-il pas porté de préférence une toge de juge pour présider ces grands procès? Eh bien non, au dire des historiens juridiques que M. Foran a consultés. Richardson aurait en fait revêtu une toge d’avocat lors des procès de 1885, et ce, pour des raisons propres au système de justice de l’époque. De plus, selon un expert du code vestimentaire des magistrats, la toge montre des signes d’usure et de retouches qui pouvaient être attribués aux nombreux voyages que Richardson accomplissait dans l’ouest du Canada dans le cadre de ses fonctions au tribunal.

Ce n’était pas un effet de manche 

Toutes les pistes explorées par Foran mènent à la même conclusion : rien ne permet de réfuter l’assertion de la famille Halter. Mieux encore, toutes les pièces à conviction recueillies valident l’affirmation selon laquelle il s’agit de la toge de Richardson.

Après un léger traitement de conservation, cette toge sera exposée sur un mannequin fabriqué sur mesure pour éviter toute détérioration du tissu sous l’effet de la tension ou de la gravité. Au terme de plus de trois années de recherches, le verdict a été prononcé : la toge figurera dans la nouvelle salle de l’Histoire canadienne.