Le pouvoir des objets : présenter des artefacts qui ont appartenu à Terry Fox

Claire Champ

Les objets sont puissants et peuvent se transformer tour à tour en vitrines, en passerelles ou en miroirs : en vitrines lorsqu’ils nous relient à l’époque où ils ont été faits et utilisés; en passerelles lorsqu’ils nous guident vers les idées et les valeurs de ceux qui les ont conçus ou auxquels ils ont appartenu; et en miroirs lorsqu’ils nous font prendre conscience de notre humanité.

Mon rôle au Musée canadien de l’histoire est axé sur l’expérience offerte aux visiteurs lors de nos expositions. Aussi, tout ce qui a trait à la protection, à la conservation et à l’installation d’artefacts, dans les coulisses, m’apparaît comme un univers exotique et mystérieux. J’aime bien quand mes collègues aux collections m’offrent un aperçu de leur expertise.

Un matin, l’hiver dernier, j’ai pu rencontrer Paul Vardy, l’un des préparateurs du Musée, pour discuter des plans envisagés pour l’installation des artefacts de l’exposition Terry Fox – Courir au cœur du Canada. Les spécialistes en développement créatif, comme moi collaborent avec les « préparateurs » d’artefacts et d’autres collègues pour s’assurer que l’approche choisie pour la présentation complétera l’expérience globale envisagée pour les visiteurs. Paul nous a montré, à Sheldon Posen, le conservateur de l’exposition, et à moi, les objets qu’il était alors en train de préparer : les fameux t-shirts du Marathon de l’espoir de Terry Fox. Dans notre planification, Sheldon et moi avions inclus les t-shirts comme éléments témoignant du dévouement inlassable de Terry Fox envers sa mission : la collecte de fonds pour la recherche sur le cancer.

Je dois dire que j’ai été frappée par le pouvoir des objets qui s’étalaient devant nous. J’étais là, en train de regarder quatre t-shirts usés, tachés et décolorés, considérés comme de précieux éléments du patrimoine culturel canadien. Et c’est bien ce dont il s’agit : Terry Fox a porté ces t-shirts pendant plus de 143 jours et 3 339 milles à l’été de l’année 1980.

Nous nous sommes ensuite attardés aux détails. Entre autres talents, Paul est passé maître dans l’art de créer des supports capables de soutenir en toute sécurité des artefacts fragiles. Il a façonné des formes corporelles qui ont rempli les t-shirts, sans pour autant les étirer. Après avoir discuté de la hauteur et du volume des supports, nous avons convenu du fait que nous voulions suggérer la présence de Terry, mais avec subtilité, sans trop recréer sa silhouette.

Quatre des t-shirts du Marathon de l’espoir de Terry Fox

Quatre des t-shirts du Marathon de l’espoir de Terry Fox présentés dans l’exposition. Terry Fox a assumé avec une force inébranlable sa mission, dans tout ce qu’il entreprenait, touchait et portait, même sur ses t-shirts. Ces artefacts ont été prêtés par la famille de Terry Fox. Musée canadien de l’histoire, Photo: P. Corrigan.

La première réunion a débouché sur de nouvelles idées avec Paul et d’autres collègues. Caroline Pilon, préparatrice d’expositions, nous a montré un support qu’elle avait conçu pour les jambes artificielles de Terry Fox afin de bien les maintenir en place, tout en les rendant accessibles aux visiteurs désireux de les examiner. Les jambes artificielles de Terry sont essentielles pour comprendre l’endurance dont Terry a fait preuve malgré la douleur, ainsi que sa détermination à surmonter les obstacles. Nous avons décidé de présenter les deux jambes artificielles – l’une étant la préférée de Terry et l’autre, celle de rechange – comme si nous étions face à Terry. Si on les avait mises trop haut, les jambes auraient paru abstraites, sacrées; mais placées à hauteur d’homme, elles révéleraient leur caractère rudimentaire. Les visiteurs arriveraient à se représenter comment ces objets mécaniques ont pu mener Terry à mi-parcours sur son itinéraire au pays.

L’une des jambes artificielles portées par Terry Fox durant le Marathon de l’espoir.

L’une des jambes artificielles portées par Terry Fox durant le Marathon de l’espoir.
Photo de gauche : Musée canadien de l’histoire, IMG2015-0001-0015-Dm, Photo: Steven Darby.
Photo de droite : Musée canadien de l’histoire, Photo : P. Corrigan.

Lors d’une autre réunion, nous avons confirmé auprès de Danny Gray, le coordonnateur des collections, que la cruche remplie d’eau de l’Atlantique par Terry était arrivée à bon port au Musée. Danny avait emballé la grosse cruche en verre afin qu’elle reste intacte et ne se renverse pas durant le trajet à bord d’un lourd camion entre la Colombie-Britannique et Gatineau, au Québec. Elle est maintenant bien visible, contenant toujours l’eau de l’océan recueillie par Terry le premier jour de sa course.

La cruche d’eau remplie par Terry Fox pendant le Marathon de l’espoir.

La cruche d’eau remplie par Terry Fox pendant le Marathon de l’espoir. Cette cruche contient toujours l’eau recueillie par Terry près de St. John’s, Terre-Neuve, le premier jour de sa course, le 12 avril 1980.
Photo de gauche : Musée canadien de l’histoire, Photo : P. Corrigan.
Photo de droite : Musée canadien de l’histoire, IMG2015-0001-0016-Dm, Photo : Steven Darby.

Il a fallu que je reprenne mon souffle à chaque réunion. Nous parlions depuis des mois de la capacité évocatrice des objets pour raconter l’histoire de Terry Fox, avec des photos, des textes, des vidéos et des éléments interactifs à l’appui. Je n’en suis pas moins restée impressionnée par le pouvoir de chaque objet, chaque fois que j’en voyais un.

Je demeure fascinée par l’expertise requise pour conserver, manipuler et présenter avec soin des artefacts muséaux. Je saute sur toutes les occasions offertes d’admirer le travail en coulisses de mes collègues aux collections. Leur expertise est particulière : grâce à eux, il devient possible de partager avec nos visiteurs les bribes fragiles de notre patrimoine pour que nous puissions tous vivre une rencontre face à face avec d’authentiques témoins d’une époque.

Vraiment, les objets sont puissants.