Luxe et décadence

Le 25 janvier 2010

L’exploration des contrées lointaines a souvent été motivée par le goût du luxe : or, épices rares, fourrures. Ainsi, le chemin vers la côte Ouest canadienne s’est ouvert pour rapporter en Angleterre les peaux de castor qui servaient à fabriquer les élégants chapeaux haute-forme des dandies de l’époque. L’exposition Profits et ambition – La traite des fourrures au Canada, 1779-1821, trace le portrait des explorateurs, voyageurs et trappeurs qui ont façonné notre pays…et notre goût du luxe.

Le courage dans l’infortune

En 1779, des commerçants de fourrures de Montréal s’associent pour fonder la Compagnie du Nord-Ouest. Pendant 40 ans, ils bâtissent un véritable empire qui contrôlera plus de 80% du commerce du Nord. Chemins de fer et routes étant inexistants, le transport des trappeurs vers l’Ouest et leur retour à Montréal dépendaient des canots…et des cours d’eau. Que faisaient donc tous ces hommes quand, l’hiver venu, les voies maritimes devenaient impraticables?

Si le goût du luxe motive les Britanniques à explorer le Nouveau Monde, les explorateurs, eux, transportent ici un certain mode de vie qui frise parfois la décadence. C’est ainsi qu’en 1785, une poignée de négociants fonde le Beaver Club. Alors association itinérante, ses 19 membres se rencontrent toutes les deux semaines, dans différents lieux. Entre avril et décembre, donc, leurs somptueux soupers sont au cœur de la vie sociale montréalaise.

Mais ne devient pas membre qui veut : ce Club fermé n’admet – et seulement par vote unanime –, que des hommes ayant hiverné dans le Nord-Ouest. Sa devise – Le courage dans l’infortune –, est un rappel des difficultés qu’ils ont affrontées sur ces terres peu hospitalières.

Boire un p’tit coup c’est agréable…
Occasions qui permettent de renforcer les liens entre les différents acteurs de la traite des fourrures, les rencontres du Beaver Club sont aussi le lieu de tous les excès. Ce n’est qu’après un minimum de cinq toasts officiels que, d’excellente humeur, les convives évoquent leurs voyages, mangent et fêtent jusqu’au petit matin.

Le repas débute traditionnellement avec l’entrée d’une tête de sanglier flambée; suivent des gibiers braisés, des saucisses, des perdrix, et nombre de liqueurs. Un reçu daté de 1808 relate que 31 membres ont consommé pas moins de 29 bouteilles de Madère, 19 bouteilles de porto, 14 bouteilles de Porter, 12 litres de bière, du brandy, du gin…et ont cassé trois verres à vin! On dit que ces repas commençaient à 16 h et duraient jusqu’à ce que le dernier convive tombe de sa chaise…

À une autre occasion, repoussant encore plus loin les limites de la décadence, les convives avinés se lancent un défi à qui pourra danser sur les tables sans rien briser : assiettes, verres et bouteilles finissent en miettes et l’addition fait état de 120 bouteilles de vin pour…douze personnes! C’est dire que les Mackenzie, McGill, McTavish, McGillivray et plusieurs autres grands noms de l’époque savaient s’amuser.

Tel le phénix…

Le déclin de la Compagnie du Nord-Ouest marque la fin du Beaver Club. Les activités cessent complètement en 1827. Mais ce n’est que pour mieux renaître de ses cendres, 130 ans plus tard. En effet, en 1958, le Beaver Club reprend du service et devient un endroit sélect pour les hommes d’affaires montréalais. En 1989, on y accueille les premiers membres féminins, et c’est en 1992 que, pour la première fois, une femme – Lise Watier – en est nommée présidente.

© Fairmont Hotels© Fairmont Hotels© Fairmont Hotels

Logé dans le luxueux hôtel Fairmont Le Reine Elizabeth de Montréal, à quelques pas de la Côte du Beaver Hall, commémorant le centre d’affaires de la Compagnie du Nord-Ouest, le Beaver Club est maintenant un restaurant haut de gamme ouvert à tous. Mais au-delà de la fine gastronomie qu’il propose, c’est tout un pan de l’histoire canadienne qu’il nous rappelle.

Profit et ambition – La traite des fourrures au Canada, 1779-1821, au Musée canadien des civilisations jusqu’au 12 septembre 2010.