Près de 75 000 artefacts racontent l’histoire du fort Frontenac

Éliane Laberge

Une mise en chantier ne signifie pas qu’on trouvera les vestiges d’une guerre entre nations, et certainement pas de deux guerres. C’est toutefois ce qui s’est produit lors de la création du projet domiciliaire village Frontenac à Kingston. Autrefois occupé par le fort Frontenac et un port adjacent à l’époque de la Nouvelle-France, ce site a servi de base d’opérations stratégique pendant la guerre de Sept Ans et celle de 1812.

Les quelque 75 000 artefacts découverts pendant les fouilles de sauvetage archéologiques de 1984 et lors de celles qui ont été effectuées par la suite font maintenant partie de la collection nationale. « Cette collection archéologique donne vie à plusieurs chapitres très importants de notre passé, en mettant en évidence non seulement des faits militaires, mais aussi des pans économiques, sociaux et culturels de l’histoire canadienne », explique Jean-Luc Pilon, conservateur et archéologue spécialiste du  centre du Canada, au Musée canadien de l’histoire.

Le fort a revêtu de l’importance d’abord pour les Français, puis pour les Britanniques et, finalement, pour la population du Canada.

Fondé en 1673 par Louis de Buade, comte de Frontenac et gouverneur de la Nouvelle-France, le fort Frontenac a servi de poste avancé à l’ouest pour sécuriser le réseau de la traite des fourrures de la France. Situé sur le lac Ontario, il était bordé de palissades en bois, puis on l’a entouré de murailles de pierres. Les premiers navires qui ont navigué sur le lac Ontario ont été construits dans son port.

Les Autochtones qui faisaient du commerce à l’époque de la Nouvelle-France troquaient leurs fourrures contre toutes sortes de marchandises comme des perles de verre d’origine européenne comme celles-ci trouvées lors de fouilles archéologiques effectuées sur le site du fort Frontenac. Photo : Andrew Wollin, BFC Kingston.

Les Autochtones qui faisaient du commerce à l’époque de la Nouvelle-France troquaient leurs fourrures contre toutes sortes de marchandises comme des perles de verre d’origine européenne comme celles-ci trouvées lors de fouilles archéologiques effectuées sur le site du fort Frontenac. Photo : Andrew Wollin, BFC Kingston.

Pendant les 150 années suivantes, la région a été une zone vivement disputée. Les Iroquois voyaient une menace dans la présence de soldats au fort Frontenac et ont assiégé celui-ci en 1688. Au printemps de cette année-là, affaiblis par le scorbut, les soldats ont abandonné le poste. Les corps de certains défunts ont été découverts près de 300 ans plus tard lorsqu’on a voulu y construire un bâtiment.

Les Français ont réoccupé le fort plusieurs années plus tard, dans le cadre d’un ambitieux projet de colonie s’étendant de la Nouvelle-Écosse au golfe du Mexique. Durant la guerre de Sept Ans, les forces britanniques se sont emparées du fort Frontenac et ont tenté d’en démolir les structures de pierre.

Au cours des années qui ont suivi la Conquête, les opérations militaires sur le lac Ontario se sont d’abord déplacées vers l’île Carleton, puis vers le fort Henry, à l’embouchure de la rivière Cataraqui en face de l’ancien bastion français. L’ancien fort Frontenac est tombé en désuétude. Au fil du temps, le port s’est comblé. Pendant la guerre de 1812, de nouvelles casernes ont été construites sur le site de l’ancien fort. Aujourd’hui, le Collège d’état-major des Forces canadiennes occupe le même emplacement.

Un lieu aussi chargé d’histoire laisse évidemment des traces. La vaste série d’objets récupérés comprend des artefacts de toutes les époques, des silex aux chaussures et sacs en cuir bien conservés.

« Au matériel militaire s’ajoutent des articles d’usage courant qui nous rappellent que même en des terres lointaines, les gens avaient encore besoin d’objets familiers. Grâce aux vêtements et aux pièces de céramiques décoratives, comme la faïence, ils reconstituaient une partie de ce qu’ils avaient laissé derrière eux », observe Jean-Luc Pilon.

La collection comprend des documents complémentaires, comme des notes de terrain et des photographies qui aident à replacer les objets dans leur contexte archéologique d’origine. Jean-Luc Pilon souligne l’importance de la collection, remarquable par son exhaustivité. « Ensemble, les artefacts, les notes de terrain et les photographies donneront la possibilité à des générations de chercheurs de revisiter non seulement l’histoire du fort Frontenac et de Kingston, mais aussi le développement de ce pays que nous appelons aujourd’hui le Canada », conclut-il.