Tout n’a pas été dit sur l’Empress : Les bateaux-pilotes de Point-au-Père (première partie)

John Willis

Maquette de bateau-pilote de Pointe-au-Père

Maquette de bateau-pilote de Pointe-au-Père (Musée canadien de l’histoire, 2014.0014.0043.1) Ce bateau faisait la navette entre la rive de Pointe-au-Père et les navires dans le chenal. En 1960, la station de pilotage a été déplacée vers Les Escoumins, un village de la Côte-Nord, où des bateaux-pilotes continuent d’aller et venir au passage des navires.

 

Le Musée des bateaux miniatures de Rivière-du-Loup a acquis cette maquette de goélette en 2012. Elle reproduit une goélette avec ses voiles – et munie d’un moteur – qui servait à transporter les pilotes des bateaux qui naviguaient dans le Saint-Laurent et qui s’arrêtaient devant Pointe-au-Père à la fin du xixe siècle. D’une hauteur de 28 centimètres et d’une longueur d’environ 29 centimètres, cet objet en bois sculpté constitue un témoignage éloquent de l’histoire d’un lieu, Pointe-au-Père, et du monde des pilotes qui, trois siècles durant, ont manœuvré les navires au gré des flots du Saint-Laurent. Ils remplissaient une mission essentielle : guider en toute sécurité les navires qui voguaient en aval ou en amont le long d’une voie d’eau dangereuse et très fréquentée.

La maquette représente le premier bateau-pilote de Pointe-au-Père, qui, en 1876, appartenait à John McWilliams, un gardien de phare de la région. En marge de son travail, McWilliams avait construit un bateau pour mener les pilotes de la rive vers leur navire et vice-versa. Son entreprise était peut-être le fruit d’un projet commun avec Peter Rouleau, capitaine de port de Pointe-au-Père et de Rimouski. Quoi qu’il en soit, ce service avait été mis en place des dizaines d’années avant que la localité de Pointe-au-Père soit officiellement choisie comme principale station de pilotage du Bas-Saint-Laurent, en 1905, succédant alors au Bic.

Pointe-au-Père se trouve à 30 kilomètres en aval du Bic, une station de pilotage du Bas-Saint-Laurent qui a existé dès la fin du xviiie siècle jusqu’au début du xixe siècle. Certains pilotes ont commencé à gagner Pointe-au-Père, au lieu de se rendre au Bic, à partir de 1859, lorsque la Montreal Ocean Steamship Company, mieux connue sous le nom d’Allan Line, adopta l’endroit pour y débarquer ses pilotes durant la saison de navigation. L’Allan Line venait de lancer un service postal hebdomadaire entre le Canada et l’Europe, et elle construisait de nouveaux navires expressément dans le but d’assurer ce service. Un phare fut érigé à Pointe-au-Père pour réduire au minimum les risques liés à la navigation sur le Saint-Laurent. D’autres phares furent édifiés en amont du fleuve, notamment dans l’archipel Les Pèlerins et dans l’archipel de Kamouraska au cours des années 1860, devant l’insistance des compagnies maritimes et de la Chambre de commerce de Québec. Le phare d’Allan a été, par la suite, repris par le gouvernement fédéral. Il a été détruit par un incendie en 1867, mais reconstruit un peu plus tard la même année. On y avait installé un canon de brume pour mieux orienter les bateaux qui naviguaient d’un point à l’autre du fleuve.

En 1876, McWilliams est devenu le deuxième gardien du phare à Pointe-au-Père. Il était alors âgé de 21 ans. Les pilotes appréciaient la commodité de sa goélette pour assurer leurs allers-retours entre les navires et la rive. Il n’existait aucun quai à Pointe-au-Père, de sorte qu’une chaloupe assurait probablement leur transport. Bien que la traversée ait pu être périlleuse par mauvais temps, les pilotes trouvaient sans doute la goélette de McWilliams plus pratique que le navire entretenu par la Corporation des pilotes du Bas-Saint-Laurent au Bic. Lorsque la marée le permettait, l’embarcation de la Corporation quittait la rivière du Bic et la baie environnante et contournait l’île Biquette avant de s’éloigner vers les eaux libres. Ou alors on maintenait le bateau dans les eaux libres en tout temps, ce qui le rendait vulnérable aux intempéries ou, si le brouillard s’épaississait, aux risques de collision avec d’autres navires. L’accès à partir de Pointe-au-Père était plus direct : les navires se trouvaient en plein dans le chenal au-delà de la rive. Il était donc plus facile d’aller et de venir sans perdre de vue les navires sans pilote.

John McWilliams a marqué de son empreinte la collectivité de Pointe-au-Père, où il a été maire dans les années 1890 et 1900. Il a pris sa retraite comme gardien de phare en 1911. Le manuscrit du recensement de cette année-là le décrit comme un gardien de phare de 55 ans et un télégraphiste d’origine écossaise et de confession anglicane qui vivait avec sa nièce et ses deux domestiques. Son fils David, mécanicien et télégraphiste, demeurait, avec sa femme Norah et son fils âgé d’un an, dans une maison située à proximité de sa résidence. John McWilliams, décédé en 1921, a été enterré au cimetière anglican de Rivière-du-Loup.

En 1914, la localité de Pointe-au-Père comptait parmi ses habitants des navigateurs, des radiotélégraphistes, des gardiens de phare, des marins, des agriculteurs et des travailleurs saisonniers, lesquels composaient une population d’environ 70 familles. La vie tournait autour des aléas saisonniers des activités maritimes. Bon nombre des habitants de Pointe-au-Père travaillaient d’une manière ou d’une autre dans le domaine de la navigation maritime en été et avaient un second emploi en hiver, sans doute dans l’arrière-pays. Tous se connaissaient et travaillaient ensemble.

Le 26 mai 1914, deux jours avant le départ de Québec de l’Empress of Ireland vers son destin tragique, une réception était tenue pour souligner le mariage de Willie Goulet, marin et bûcheron à temps partiel, et d’Anne Lagacé. Tous deux résidaient à Pointe-au-Père. Goulet, âgé alors de 22 ans, était l’aîné de Walston Goulet et d’Eugénie Poirier. Anne, qui avait six ans de plus, avait été domestique au service de la famille de Pierre Ross, un navigateur. Les noces, célébrées dans la joie, offraient aussi une occasion aux membres de la collectivité de se rassembler. Comment les habitants auraient-ils pu alors se douter que la catastrophe les frapperait à peine 48 heures plus tard?

Lorsque la tragédie se produisit et que l’Empress of Ireland sombra, le 29 mai 1914, c’est John McWilliams qui devait transmettre la dépêche. Le compte rendu de McWilliams de la catastrophe maritime qui reste la pire de l’histoire canadienne apparaissait dès le lendemain dans l’édition du New York Times.