Un lien ancien entre l’homme et le requin

Le 29 janvier 2013

Une dent trouvée à côté d’un os humain est celle d’un grand requin blanc. Pourquoi avoir enterré l’os et la dent ensemble, il y a quelque 1 500 ans? Les archéologues qui font la découverte sur la côte de la Nouvelle-Écosse y voient alors un grand mystère, qui les amène à formuler une fascinante théorie.  

La dent de requin et la mâchoire humaine sont découvertes en 2010 dans un amas de coquillages par les membres de l’équipe de fouille du Musée canadien de l’histoire à Port Joli, en Nouvelle-Écosse. Pour suivre le protocole habituel, les aînés Mi’kmaw de la Première Nation Acadia, qui participent aux fouilles, ont d’abord procédé à la cérémonie traditionnelle qui consiste à enterrer de nouveau les restes et à les laisser intacts. Mais le directeur des fouilles, le professeur Matthew Betts, se souvient alors que des dents de grands requins blancs avaient été trouvées en 1970, au Nouveau-Brunswick, dans un cimetière vieux de 4 000 ans. C’était assez pour piquer sa curiosité. 

En collaboration avec des collègues de l’Université du Nouveau-Brunswick, Matthew Betts fouille dans les documents et les collections des musées pour trouver plus de preuves archéologiques de l’existence de dents de requin dans les Maritimes et sur la côte est des États-Unis. Ils découvrent que des dizaines de dents ont été découvertes, la plupart dans des tombes et sites rituels. Plus déterminant encore, les dates des sites concernés vont d’il y a 4 000 ans à 500 ans, époque où Mi’kmaq et Européens se rencontrent.

Pour l’archéologue intéressé aux liens entre l’homme et l’animal, le mystère était irrésistible. Pourquoi considérait-on autant les grands requins blancs, pour placer les restes de l’animal avec ceux de l’homme? Pourquoi ses liens perdurèrent-ils pendant si longtemps? Pour élucider ce mystère, les chercheurs étudièrent comment l’homme interagissait avec le requin.

« Il y a 4 000 ans, explique M. Betts, les humains commencent à pêcher l’espadon à l’aide de canots, ce qui les met directement en contact avec le requin. Les régimes alimentaires ont changé avec le temps. Mais les ancêtres des Mi’kmaq ont continué à chasser le phoque et à pêcher la morue, des espèces qu’on l’on sait être des proies des requins. En se nourrissant des mêmes ressources, ils se trouvaient constamment en contact avec eux. »

Ces interactions répétées nous permettent de comprendre les liens entre l’homme et le requin. L’archéologue avance que les requins poursuivaient les mêmes proies que l’homme, mais plus efficacement. On croyait sans doute que posséder ces dents permettait d’acquérir les qualités de prédateur des squales. Pour M. Betts, cette valeur symbolique était sans doute plus prononcée chez les anciens Mi’kmaq.

« La plupart des cosmologies autochtones considéraient les animaux comme des personnes, explique M. Betts. Dans le cas qui nous occupe ici, les requins étaient comme les hommes, ils interagissaient avec l’océan de la même manière que les êtres humains, ce qui ne manquait pas de créer des liens spirituels étroits entre l’homme et le requin. Ainsi, la dent de requin symbolisait-elle ce lien et les rapports étroits qu’entretenaient les deux espèces avec la mer. En somme, les requins étaient considérés comme des frères et la dent de requin en est venue à symboliser le mode de vie maritime. »

M. Betts et ses collègues ont récemment publié les résultats de leurs recherches dans la revue American Antiquity.