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Histoire des Autochtones du Canada
Tome I (10 000 à 1 000 avant J.-C.)

Les Paléoarctiques du Nord-Ouest (Sommaire, Chapitre 3)

Les sites archéologiques les plus anciens de l'est et de l'ouest de la Béringie, correspondant respectivement au Yukon/Alaska et à la Sibérie orientale et dont les dates sont fiables, se situent dans l'intervalle comprise entre 10 000 et 14 000 A.A. (Morlan 1987). Pendant les 10 000 ou 15 000 ans précédant ces 14 000 A.A., l'environnement arctique était si rigoureux qu'on a même supposé que la Béringie a pu avoir été inhabitable (Fladmark 1983 : 22-23; Schweger et al. 1982 : 439). Vers environ 10 000 et 8 000 avant J.-C., probablement avant, une culture qu'on croit émaner du paléolithique supérieur asiatique s'est propagée depuis l'Asie dans une grande partie du territoire libre de glace de la Béringie, en Alaska et au Yukon. Originellement appelée la tradition paléoarctique américaine (Anderson 1970), le nom a été changé en Paléoarctique du Nord-Ouest dans cet ouvrage pour refléter plus précisément sa localisation géographique dans l'hémisphère occidental. Les ressemblances technologiques entre le Paléoarctique du Nord-Ouest et les assemblages sibériens ont même inspiré des désignations plus inclusives telles que la tradition paléoarctique américano-sibérienne (Dumond 1977) et la tradition béringienne (West 1981). Le terme "complexe dénalien" (ou complexe de Denali) (West 1967) est également courant. Le Paléoarctique du Nord-Ouest, caractérisé par des outils spécialement préparés tels que des nucléus à microlames, des microlames, des burins et quelques outils bifaciaux, peut être considéré comme la manifestation dans l'est d'une tradition technologique eurasiatique circumpolaire (Larsen 1968 : 71-75). Ses affinités étroites avec les cultures sibériennes (Anderson 1980; Mochanov 1978; Powers 1973) ne devraient donc pas surprendre. Extension de la toundra asiatique jusqu'au glacier de l'est du Yukon et du sud de l'Alaska, la Béringie constituait plus une partie de l'Asie que de l'Amérique. La plupart des sites paléoarctiques qui ont été fouillés se situent en Alaska où le plus ancien remonte à environ 10 500 A.A., exception faite des plus anciens gisements dont l'exactitude des dates est mise en doute (Anderson 1984). On a attribué une date minimale de 10 000 A.A. au site le plus ancien qui, dans le nord du Yukon, a livré des microlames et des burin mais diverses données écologiques et archéologiques permettent de croire qu'il pourrait être plus ancien que 13 500 A.A. (Cinq-Mars 1979; 1990. Ces évaluations temporelles se rapportent seulement aux outillages des Paléoarctiques du Nord-Ouest et non aux traces potentiellement plus anciennes d'activités humaines qui se sont déroulées à cet endroit.


Le site des Grottes du Poisson-Bleu - Photographie : Jacques Cinq-Mars Vue aérienne du site des Grottes du Poisson-Bleu, Territoire du Yukon

Les dépôts dans le site de la Grotte du Poisson-Bleu sont uniques dans le Nord-Ouest de l'Amérique du Nord, car l'accumulation s'échelonne sur une période de 25 000 ans. À l'enregistrement archéologique s'ajoutent les données sédimentaires, le témoignage palynologique laissé par le pollen des arbres ainsi que les fragments de plantes, et les restes paléontologiques. L'ensemble de toutes ces données est indubitablement pertinent à l'enregistrement archéologique. Même en tenant compte d'un certain degré de perturbation des dépôts originels, l'enregistrement du Paléoarctique du Nord-Ouest s'inscrit entre 10 000 et 13 500 A.A. (Cinq-Mars 1990 : 20-21). Des données plus anciennes mais aussi plus controversées se trouvent dans les plus bas niveaux. L'acceptation ou le rejet de ces dates anciennes pour les microlames et les burins dépend de l'évaluation qu'on fait de l'étendue de la perturbation suite aux dépôts qui ont eu lieu au site et de l'association des outils en pierre avec les données environnementales du Pléistocène récent. Les deux flèches dans le coin inférieur gauche de l'illustration indiquent l'entrée des Grottes 1 et 2.

(Reproduit de Cinq-Mars 1979 : Figure 2 avec la permission de Jacques Cinq-Mars, Commission archéologique du Canada, Musée canadien des civilisations)


On suit sans interruption les traces des Paléoarctiques du Nord-Ouest en Alaska jusqu'à approximativement 6 000 avant J.-C. mais on n'a pas une perception claire des événements qui se sont déroulés par la suite avant 4 600 avant J.-C. (Anderson 1984). Vers la fin de la Période I (8 000 avant J.-C.), la production des microlames s'était répandue dans le sud-est de l'Alaska (Ackerman 1980), sur la côte du Pacifique, et vraisemblablement à l'est sur la côte du Yukon. La diversité des zones écologiques et topographiques de cette région laisse croire que les descendants des Paléoarctiques du Nord-Ouest s'étaient adaptés aux conditions maritimes et de celles de l'intérieur (Fladmark 1983).

Considéré comme l'intrusion d'une nouvelle population asiatique (Greenberg et al. 1986) qui a assimilé les populations antérieures de Nenana-Chindadn et leurs dérivées, le Paléoarctique reflète plus probablement la diffusion de la production des microlames en Béringie et de son adoption par des peuples déjà en place (Gotthardt 1990 : 267). Ce scénario suppose que des artisans incapables de produire des microlames ont été en fait les premiers à peupler la Béringie orientale et que les Paléoindiens et les Paléoarctiques issus du paléolithique supérieur ne sont ni technologiquement ni biologiquement reliés; une supposition qui est loin d'être démontrée. Il n'est pas approprié d'assimiler le comportement migratoire de ces petites bandes de chasseurs nordiques aux déplacements massifs des pasteurs asiatiques plus récents. Leurs déplacements territoriaux n'étaient pas seulement une affaire de générations et, par conséquent, d'expansion graduelle (Morlan 1987 : 267-268) mais auraient supposé un réseau étendu de communication (Morlan and Cinq-Mars 1982). Dans de telles circonstances, l'expansion de techniques innovatrices aurait pu se faire plutôt rapidement. La migration dans la Béringie était donc plus vraisemblablement comparable à un "filet d'eau" plutôt qu'à des "vagues" et aurait impliqué des déplacements aller et retour plutôt qu'une seule percée intentionnelle vers l'est.

Les Paléoindiens et les Paléoarctiques du Nord-Ouest semblent avoir possédé essentiellement les mêmes techniques de taille de la pierre, sauf la production des microlames chez ces derniers. Pourtant cette restriction paraîtra exagérée le jour où l'association des pointes cannelées et des microlames au site paléoindien de Putu dans le Nord de l'Alaska s'avérera fondée (Alexander 1987). On a cependant affirmé que les deux assemblages sont technologiquement distincts (Dixon 1985 : 54) et non reliés (Haynes 1982). Au-delà de ce litige s'adressant à la nature du lien technologique susceptible de relier le complexe Nenana et son parent, le complexe Chindadn, (McKenna and Cook 1968) à la culture paléoarctique du Nord-Ouest, se dresse le fait que les deux cultures ont occasionnellement occupé les mêmes sites (Powers and Hoffecker 1989) et pourraient donc témoigner d'un mode de vie semblable. En outre, on peut faire appel aux caractères quantifiables d'origine génétique chez les crânes humains comme preuve d'un lien entre ces deux anciennes populations. Contrairement à l'hypothèse courante de deux migrations, l'une porteuse d'une industrie de bifaces et l'autre, d'une industrie de microlames, les données de la culture Diuktai en Sibérie et l'enregistrement du site ancien des Grottes du Poisson Bleu en Béringie orientale n'appuie pas la distinction technologique des deux industries ni la priorité chronologique de l'une par rapport à l'autre. La découverte récente de microlames à un niveau de 11 700 A.A. au site Swan Point (Mason 1993) renforce l'observation ci-dessus. En outre, les outils bifaciaux et les microlames sont plus souvent trouvés ensemble qu'ils ne sont séparés (Morlan 1987). La nature incomplète des données nous inspire la prudence quant à toute évaluation de l'enregistrement archéologique en Béringie. D'ailleurs la nature limitée et équivoque de l'enregistrement est sans doute responsable des opinions archéologiques couramment divergentes.


 
Tome ITome II

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