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Histoire des Autochtones du Canada
Tome I (10 000 à 1 000 avant J.-C.)

Les GL/Saint-Laurentiens moyens ou la culture des Grands-Lacs-Saint-Laurentiens (phase moyenne) (Sommaire, Chapitre 15)

L'étendue de terre qui correspond à ce qu'on appelle aujourd'hui le sud de l'Ontario, le sud du Québec, le sud-ouest du Nouveau-Brunswick, et les États adjacents constituait autrefois le territoire de la culture des Grands-Lacs/St-Laurent à sa phase moyenne (le GLSaint-Laurentien moyen). C'est en général une région recouverte des forêts mixes de bois francs et de bois mou de la province végétative des Grands-Lacs/Saint-Laurent (Rowe 1959). On n'a pas encore clairement déterminé l'origine des GLSaint-Laurentiens moyens à la Période II mais on sait que leur culture distincte et largement répandue émerge vers 4 000 avant J.-C. L'enregistrement archéologique, détectable et détecté, connaît une nette augmentation à cette période, phénomène qu'on observe dans tout l'est de l'Amérique du Nord. Apparemment, l'importance accrue des plantes dans le régime alimentaire (Griffin 1978 : 231; Mason 1981) a favorisé la croissance de la population, a provoqué une effervescence culturelle et a entraîné un mode de subsistance fondamentalement plus varié. Parmi les événements naturels importants dignes de mention au cours de la Période III, on compte l'expansion de la forêt de feuillus dont des espèces d'arbres produisant des noix, aux dépens de la forêt de conifères et des ressources halieutiques enrichies en raison de l'élévation du niveau des eaux dans les Grands Lacs, élévation qui a détourné le cours de plusieurs ruisseaux (Mason 1981 : 145). Sans aucun doute, la stabilisation du paysage a joué un grand rôle dans l'enregistrement accru des sites archéologiques. Par exemple, un système stable de rapides dans une rivière riche en ressources halieutiques saisonnières était susceptible de fournir plusieurs endroits particuliers favorables à une occupation humaine à répétition. Ces occupations ont entraîné une accumulation de débris culturels et ont créé l'impression, partiellement fausse, d'une croissance de la population ainsi que d'une augmentation de la stabilité sociale et de la sédentarité. Vraisemblablement, ces occupations impliquaient le simple rassemblement d'individus à des endroits particulièrement bien pourvus et dorénavant stables, non des changements fondamentaux reliés aux modes d'établissement ou à la structure sociale.


Sépulture de chien Sépulture de chien

Ce gros chien mâle a été enseveli à la phase terminale du GRLSt-Laurentien moyen près de la rive du lac Huron. Les chiens ont probablement entré dans l'hémisphère occidental avec les premiers peuples. À titre de compagnon de chasse, un gardien du camp et, dans quelques cas, un animal de bât, on accordait fréquemment au chien à sa mort le même traitement qu'aux humains. Cependant, dans les moments de besoins cruels ou d'exigences rituelles, ce premier animal à être domestiqué par les être humains pouvait aussi servir de nourriture.

(Reproduit de Wright 1972 : Planche 4)


En dépit d'un enregistrement archéologique plus riche, plusieurs problèmes gênent notre perception du GLSaint-Laurent moyen ou, comme on l'appelle souvent, de l'Archaïque laurentien. Au premier rang de ces problèmes se trouve le fait que l'outillage des sites a en majorité été récupéré à la surface de champs labourés. Même dans le cas de fouilles, l'outillage des sites du GLSaint-Laurentien est habituellement mélangé de façon inextricable à des débris archéologiques plus anciens ou plus récents. Les sites d'une seule occupation, particulièrement les plus anciens de la Période III et ceux qui sont situés à l'est de l'Escarpement du Niagara dans le sud de l'Ontario, sont extrêmement rares. On fait aussi face à un problème taxonomique; la priorité variable accordée à certaines facettes de la technologie peut conduire à assigner un site à différentes cultures, notamment le Maritimien moyen ou le Lamokien de l'État de New York et de la péninsule voisine de Niagara dans le sud de l'Ontario. La montée du régionalisme et la difficulté de faire une distinction entre les innovations techniques et les intrusions de populations ont davantage compliqué l'analyse, particulièrement vers le fin de la Période III. En outre, il semble y avoir des différences significatives entre les sociétés qui ont occupé l'un ou l'autre côté de l'Escarpement du Niagara. Les ressources abondantes de chevreuils, de dindes et de noix dans les forêts plus riches de l'ouest ont pu avoir permis des modes d'établissement plus dispersés qui ne comportaient pas, comme ça semble être le cas dans les établissements contemporains à l'est, des rassemblements à des endroits favorables à la pêche en saison chaude. Par contre, à l'embouchure des rivières à l'ouest, plusieurs endroits potentiels de pêche de saison chaude ont probablement été noyés. Même si la visibilité archéologique des sites s'est améliorée, cette amélioration n'est que relative par rapport à la Période II. Le changement du niveau des eaux dans les Bas Grands Lacs, particulièrement avant 3 500 avant J.-C. mais aussi récent que 1 000 avant J.-C. dans certaines régions, a contribué à l'inondation de plusieurs sites; par contre, la fluctuation du niveau des eaux du Lac Huron et la décharge accrue des Hauts Grands Lacs dans la rivière des Outaouais ont engendré des modes d'établissement qui ne correspondent que partiellement à la conformation actuelle des rivages et des limites des rivières. Même dans les aires de grande stabilité dont la haute vallée du fleuve Saint-Laurent, le fait que des gens aient occupé les mêmes endroits pendant plusieurs milliers d'années ont produit des sites dont les occupations multiples sont mélangées. Cette difficulté d'isoler les différentes couches et des échantillons représentatifs a contribué de façon importante à aggraver les problèmes courants de classification.

Le cœur du GLSaint-Laurentien moyen ou de l'Archaïque laurentien était la forêt mixte de bois franc (feuillus) et de bois mou (conifères) du bassin du Haut Saint-Laurent de Québec et de l'Ontario, des Bas Grands Lacs et du nord des États de la Nouvelle-Angleterre jusque dans l'intérieur du Maine et du Nouveau-Brunswick. Selon les mots mêmes de l'inventeur du concept de l'Archaïque laurentien, "On peut considérer que le Laurentien fait partie intégrante d'une longue continuité culturelle de l'Archaïque, largement répandue dans tout le nord-est de l'Amérique du Nord et dont la région principale de son développement et de sa diffusion serait le sud-est de l'Ontario, le sud du Québec, et le nord de l'État de New York. Ses traits les plus diagnostiques se manifestent dans une variété morphologique considérable, comprenant la gouge, l'herminette, les pesons, les pointes et les couteaux en ardoise polie dont la forme semi-circulaire ou l'oulou qui se trouve aussi en pierre taillée; des formes simples de poids de propulseur; une variété de pointes de projectile en pierre taillée, principalement certaines formes comportant des lames larges et des encoches latérales; et la pointe en os barbelée" (Ritchie 1965 : 79-80).

Vers le début de la Période III, le GLSaint-Laurentien moyen pénétra dans l'ouest du Nouveau-Brunswick et dans certains secteurs de la Nouvelle-Angleterre. L'occupation semble avoir correspondu à des excursions de courte durée quoique des développements plus récents de l'intérieur sont encore mal compris. Les gens qui vivaient dans le réseau de lacs et de rivières reliés entre eux et compris dans la province végétative de la forêt des Grands-Lacs/Saint-Laurent dépendaient du chevreuil et du poisson ainsi que d'une grande variété de petits gibiers et de plantes comestibles. L'outillage ancien comprenait certaines catégories d'instruments acquis des Maritimiens anciens et moyens de la basse vallée du Saint-Laurent et de la côte atlantique. Ces objets : des baïonnettes, des pointes de projectile et des oulous, tous en ardoise polie, des pesons et des gouges ont fini par être considérés comme des outils diagnostiques des GLSaint-Laurentiens moyens en dépit de leur nombre limité et de leur origine depuis une autre culture. La distribution de ces traits diminue progressivement au fur et à mesure qu'on se dirige vers le sud et l'ouest (Wright 1962). Il y a donc un problème de classification; des sites contenant un outillage typique en pierre taillée ne sont pas assignés au GLSaint-Laurentien "classique" simplement parce qu'il leur manque le saupoudrage requis d'instruments "diagnostiques" en pierre polie. Dans un effort pour surmonter ce problème, de tels sites remontant à la Période II ont été appelés proto-laurentiens (Funk 1988). Cependant, cette nomenclature n'explique pas la grande distribution des sites qui, remontant à la Période III, sont dénués d'outils en pierre polie mais partagent tous un outillage en pierre taillée (Dragoo 1959; 1966). Certains archéologues ont regroupé dans l'Archaïque des lacs et forêts (Snow 1980; Tuck 1978) les assemblages qui témoignent de l'industrie de la pierre taillée. En plus d'adopter des traits originaires du Maritimien moyen, le GLSaint-Laurentien a emprunté les poids de propulseur ou d'atlatl en pierre polie du sud. En fait, le GLSaint-Laurentien constitue un excellent exemple de la manière avec laquelle des traits empruntés à des cultures avoisinantes se greffent sur un outillage prédominant en pierre taillée pour produire un outillage dont la variété spatiale présente des problèmes de classification qui confondent les archéologues. À une classification restrictive du GLSaint-Laurentien (Ritchie 1965 : 79-80), on préfère une définition plus étendue qui privilégie un outillage dominant, quoique simple, en pierre taillée plutôt que des outils relativement rares en pierre polie dont faisait état la définition originelle. L'évocation de ce problème de classification se trouve dans plusieurs articles (Funk 1988; Tuck 1977).

Dans les rares cas où des outils en os ont survécu, ces derniers comprennent des aiguilles, des harpons unilatéralement barbelés avec ou sans trous de ligne, des harpons coniques à tête basculante avec un trou de ligne, des pointes de lances, des poignards, des alènes et des outils en incisives de castor. Des instruments en cuivre natif, quoique largement répandus, ne sont courants que dans la vallée de l'Outaouais qui semble avoir été un centre de manufacture et de distribution d'objets en cuivre (Kennedy 1962; 1966; 1970). Parmi la grande variété d'objets en cuivre, les alènes, les perles, les barrettes à pointe double, les pointes de lances, et les couteaux sont les plus fréquents.

Vers le début de la Période III, les cimetières apparaissent en association avec de grands camps de base érigés pour la saison de la pêche. Quoique les sépultures en position étendue et fléchie sont les plus nombreuses, les sépultures en faisceau et les crémations permettent de croire qu'on s'efforçait de rapporter à des camps de base particuliers les restes de ceux qui mouraient ailleurs. Ceci permet de supposer que de tels sites dépassaient leurs fonctions économiques et constituaient des "endroits sacrés". La mise en place d'offrandes funéraires auprès des défunts et l'usage d'ocre rouge dans les sépultures étaient variables mais devinrent de plus en plus fréquents avec le temps. Les gens étaient robustes et avaient une musculature forte. Une nourriture abrasive engendrait une grave perte de dents et entraînait une maladie périodontale mais la plupart des individus étaient libres de pathologies identifiables sauf les cas de fractures et, chez les plus vieux, d'arthrite. La parenté biologique avec les populations environnantes qu'ont retracée les anthropologues physiques est plutôt ambiguë (e.g. Pfeiffer 1977 contre 1979), ce qui n'est pas trop surprenant étant donné la nature dispersée et de l'état généralement petit et fragmentaire des échantillons comparatifs. Lorsque les échantillons de sépultures proviennent de la même région mais s'échelonnent sur différentes périodes, notamment aux sites de l'île Morrison-6 et de l'île aux Allumettes dans la vallée de l'Outaouais (Kennedy 1966; Sans date), un lien biologique étroit est apparent (Pfeiffer 1979). La distribution de certains outillages et d'objets exotiques indique que les GLSaint-Laurentiens moyens avaient des contacts non seulement avec des bandes apparentées mais aussi avec leurs voisins les Maritimiens et Bouclériens ainsi qu'avec d'autres gens au sud.

Vers 2 000 avant J.-C., des éléments de la culture de Susquehanna sont présents sur la côte du Nouveau-Brunswick (Sanger 1975), dans la vallée du Saint-Laurent (Clermont et Chapdelaine 1982; Dumais 1978) et dans le sud de l'Ontario (Kenyon 1980; Watson 1981). On discute encore pour attribuer ces éléments à des mouvements de populations ou à une transmission de technologie. Cette influence semble avoir été marginale au GLSaint-Laurentien moyen qui, on le suppose, a continué à se diversifier régionalement et à établir la culture de base du GLSaint-Laurentien récent de la période IV. La difficulté d'isoler les sites à couche unique pour des fins de comparaison a affaibli la démonstration archéologique de ce développement in situ. Une synthèse récente de l'Archaïque de l'Ontario méridional (Ellis et al. 1990) fait état d'une interprétation différente. Dans cette synthèse, la chronologie est divisée en trois unités consécutives après 3 259 avant J.-C. et repose sur la forme des pointes de projectiles : les Pointes étroites, les Pointes larges, et les Pointes petites, respectivement (Ibid : Figure 4.1, 69). Les données pour établir cette série de pointes proviennent en très grande partie de sites de surface situés à l'ouest de l'Escarpement du Niagara dans l'Ontario méridional et, par extrapolation, de sites dans l'État de New York. Cette reconstitution est en net contraste avec la situation dans la vallée de l'Outaouais où les fluctuations du débit d'eau a altéré les modes d'établissement locaux et ont permis un certain isolement des couches d'occupation. Au site de l'île Morrison-6 (Kennedy 1966), certaines pointes de projectiles typiques du GLSaint-Laurentien moyen (phase de l'Archaïque laurentien-brewertonien) étaient associées à des pointes qui auraient été autrement classifiées comme des "Pointes étroites" ou des "Petites Pointes". L'Archaïque des "Pointes Larges" (l'Archaïque de Susquehanna) est considéré comme une "diffusion technique" dans le sud de l'Ontario plutôt que d'être le produit de l'intrusion d'une population (Ellis et al. 1990 : 99-100). L'étude approfondie du complexe de Satchett, une manifestation de l'horizon très répandu des Pointes larges (Kenyon 1980 : 18), a souligné que ce phénomène peut ne pas être "...une désignation taxonomique valide pour une phase ou une culture archéologique..." mais plutôt la diffusion d'une technique de chasse qui a commencé dans le sud-est des États-Unis et a gagné le nord jusqu'à la côte atlantique et l'ouest jusqu'aux bas Grand Lacs. La corrélation de certaines variétés de larges pointes avec la province végétative de la forêt de feuillus, mais non avec la province végétative des Grands-Lacs-Saint-Laurent, permet de supposer que des populations plus abondantes de chevreuils dans la première ont constitué un facteur favorable à l'expansion de ces types de pointes. Au contraire, les données provenant du site Inderwick dans la région des lacs Rideau dans l'est de l'Ontario méridional (Watson 1981) soulève la possibilité d'une intrusion de la part de la population des "Pointes larges". Dans ce site, un assemblage évidemment relié à l'Archaïque de Susquehanna est très distinct des objets attribués au GLSaint-Laurentien. Malheureusement, le contexte archéologique du site a été perturbé par des niveaux d'eau élevés et, comme dans le cas des collections généralement de surface de l'ouest de l'Ontario (Kenyon 1980 : 24), n'apporte rien au débat concernant une diffusion technologique ou l'intrusion d'une population. On a alors l'impression que, jusqu'à ce que plus de renseignements proviennent de sites constituants bien identifiés, la constitution culturelle du GLSaint-Laurentien moyen devrait demeurer ouverte et flexible.


 
Tome ITome II

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