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Histoire des Autochtones du Canada
Tome I (10 000 à 1 000 avant J.-C.)

La culture de l'Intérieur du Nord-Ouest (phase moyenne)
(Sommaire, Chapitre 20)

Les premières recherches qui ont eu lieu dans le nord-ouest de l'Amérique du Nord (Johnson 1946; Rainey 1940) ont détecté des affinités archéologiques entre l'Asie et l'Amérique du Nord. En fait, l'intérêt porté au peuplement initial de l'hémisphère occidental a canalisé la recherche dans cette région (MacNeish 1951; 1953; 1954; 1955; 1956; 1959; 1960). Les travaux subséquents ont pour la plupart construit sur ou tenté de re-interpréter les séquences cultuelles établies par R.S. MacNeish mais sans résultats très spectaculaires (Clark and Morlan 1982). La perception de MacNeish, pertinente à la Période III, veut que la tradition des Microlames du Nord-Ouest représente une constellation de traits provenant de différentes régions, notamment l'industrie des microlames provenant de l'Asie et les pointes de projectiles encochées provenant des plaines (MacNeish 1953; 1964). Cette perception semble être encore partiellement valide ou, du moins, plus proche de l'enregistrement que la principale solution de rechange. Cette solution de rechange propose que les populations indigènes de l'intérieur du nord-ouest aient été remplacées par des chasseurs archaïques du sud avant 4 000 avant J.-C. (Anderson 1970). La tradition des Microlames du Nord-Ouest de MacNeish et la tradition de l'Archaïque du Nord-Ouest d'Anderson, ou leur équivalent, sont comprises dans la culture de l'Intérieur du Nord-Ouest dont l'Archaïque septentrional serait simplement une phase récente du développement. Quant à l'histoire de la recherche archéologique, le sud-ouest du Yukon a été la région d'où est sortie l'une des plus anciennes tentatives d'intégrer l'enregistrement archéologique et les renseignements du milieu environnemental (Johnson and Raup 1964).


Pointes de projectile - Photographie : Richard Garner - MCC 2001-63 Pointes de projectile de la culture de l'Intérieur du Nord-Ouest (phase moyenne)

La photographie illustre la grande variété des formes des pointes de projectile qui peuvent survenir dans les sites de cette culture. La plupart des spécimens proviennent de sites du Yukon.

(Reproduit de Clark 1991 : Planche 14. Photographie : Richard Garner, MCC 2001-63)


Il est opportun de considérer la culture de l'Intérieur du Nord-Ouest dans son milieu géographique. Le relief de la région est topographiquement dominé par la Cordillère en direction nord-ouest comprenant des chaînes de montagnes près du littoral et à l'intérieur, et des chaînes de montagnes plus petites séparées par des plateaux. Les principaux systèmes de drainage sont la rivière Yukon et le fleuve MacKenzie, deux des plus grands cours d'eau au monde. Dans le cadre de cette mosaïque complexe de formes terrestres, de petites bandes de chasseurs vivaient de poisson et de caribou ainsi que de petit gibier disponible en saison, d'oiseaux aquatiques, de mouflon de montage, d'orignal, de bison et de baies. Survivre dans une région où les ressources alimentaires sont très dispersées et où les périodes de grande abondance suivent le périodes de grande disette a toujours exigé un mode d'acquisition de la nourriture fondé sur un comportement varié et flexible.

Les rares vestiges archéologiques éparpillés qu'ont abandonnés de petits groupes mobiles de personnes ont obligé les archéologues à recourir à des critères relativement simples et souvent équivoques pour formuler les reconstitutions culturelles. Il ne faut donc pas se surprendre des nombreuses controverses et de la prolifération des désignations dont Denali, les Microlames du Nord-Ouest, le Paléoarctique américain, le Tuktu, et l'Archaïque du Nord-Ouest. Les deux dernières formations comprennent des assemblages de pointes encochées sans l'industrie des microlames pour les distinguer, croit-on, des autres. La présence ou l'absence de ces deux éléments techniques, les pointes de projectiles encochées et les microlames, a constitué les deux principaux critères susceptibles de distinguer les cultures dans cette région. Par exemple, on a proposé que, vers 4 000 avant J.-C., des chasseurs archaïques provenant de l'extrême est de l'Amérique du Nord, possédant des pointes de projectile encochées, essaimèrent vers le nord depuis les plaines lors de l'expansion de la forêt boréale et déplacèrent les populations indigènes dont l'outillage se caractérisait par des microlames (Anderson 1970). En dépit du fait qu'un enregistrement considérable n'appuie pas le simple remplacement, par une culture étrangère provenant des plaines, d'une culture antérieure se servant de microlames, cette supposition est encore généralement acceptée comme modèle important d'histoire culturelle dans la région (Clark 1987; Dumond 1978) mais avec une hésitation et une réticente croissantes (Clark 1992). Pour se conformer à l'enregistrement archéologique, la conquête et l'assimilation explicites dans l'hypothèse ont dû avoir eu lieu à différents moments dans différentes régions. Dans cet ouvrage, on rejette l'hypothèse d'un remplacement de population car le corpus considérable de témoignage que fournit l'enregistrement archéologique prêche en faveur d'une continuité culturelle et non d'un remplacement culturel. La discontinuité culturelle que suppose l'hypothèse du remplacement semble découler d'une acceptation excessivement optimiste des valeurs taxonomiques des pointes encochées et des microlames comme repères pour la totalité des cultures. À notre opinion, l'apparition soudaine des pointes encochées ne représente pas un influx de population mais constitue plutôt la preuve de la diffusion vers le nord de l'ensemble technique du propulseur, un procédé qui débuta 4 000 ans plus tôt dans le sud-est de l'Amérique du Nord. On a donc jugé nécessaire de désigner la culture en question par un nouveau nom afin d'éviter une association classificatoire avec, et une dépendance des, microlames ou des pointes de projectile encochées. La culture de l'Intérieur du Nord-Ouest est, on l'admet volontiers, une reconstitution provisoire mais elle est suffisamment flexible pour accommoder les caprices d'un enregistrement archéologique appauvri dans une région soumise à des influences provenant de différentes directions. Les difficultés que rencontrent les linguistes dans leur effort de classifier les langues de la famille athaspascane qui, dans cette même région, partagent des caractéristiques linguistiques régionales (Krauss and Golla 1981 : 68), semblent se refléter dans l'enregistrement archéologique.

L'enregistrement archéologique limité qui remonte à 5 000 avant J.-C. dans le centre du district du Mackenzie (Clark 1987 : 148) indique qu'a eu lieu une poussée des Paléoesquimaux anciens dans l'intérieur vers 2 000 avant J.-C. Cette situation ne s'applique pas au sud-ouest du district du Mackenzie, au territoire du Yukon, dans l'ouest de la région du Grand Lac de l'Ours, dans d'autres parties du corridor du Mackenzie ni dans le nord-est de l'Alberta (Clark 1987; Gordon and Savage 1973; 1974; LeBlanc and Ives 1986; Losey et al. : Sans date; MacNeish 1954; 1955; Millar 1981). Comme il n'y a aucune explication environnementale pour justifier le vide humain qu'on remarque dans le centre du district du Mackenzie, il s'agit vraisemblablement d'un problème de visibilité archéologique plutôt qu'une absence véritable d'êtres humains.

La situation géographique du nord-ouest de l'Amérique du Nord est propice au rayonnement des influences provenant de plusieurs directions mais ses affinités principales semblent provenir de l'ouest, plus précisément de l'Alaska. Il n'y a aucun témoignage d'influences provenant de l'est des Barrengrounds du district du Keewatin et de l'est de district du Mackenzie. En dépit des affirmations contraires, les influences depuis le sud provenant des plaines semblent impliquer la diffusion d'ordre technologique, notamment le propulseur, plutôt que d'indiquer des intrusions démographiques. Par exemple, les formes de pointes lancéolées de l'intérieur du nord-ouest qui sont fréquemment attribuées aux Planoïens des plaines semblent ne pas être reliées à celles des plaines en raison des datations, de l'existence d'une césure dans la distribution géographique des pointes en question et de différents caractères des pointes mais constituent plutôt l'armature d'une arme distinctive d'un style de lance du nord. Il est possible que l'importance de la chasse communale aux troupeaux de caribous dans le nord-ouest de l'Amérique du Nord ait contribué à la rétention de la lance de main longtemps après sa disparition ou la réduction de sa popularité dans d'autres régions de l'Amérique du Nord. Le fait que de telles pointes lancéolées se trouvent avec ou sans pointes de projectile encochées ou de microlames souligne le problème de se fier à un nombre limité de "fossiles directeurs' pour classifier les cultures. Étant donné les problèmes chroniques des petits échantillons de matériels généralement non décrits récupérés dans des contextes faibles qui caractérisent l'archéologie du nord-ouest de l'Amérique du Nord, il n'est pas surprenant qu'il y ait des problèmes de classification. De tels problèmes découlent directement des limites de la base de données aggravées par une confiance indue à l'égard des outils formels limités, notamment les microlames, les burins, et les pointes de projectile encochées et lancéolées.

Vers le début de la Période III, la technologie de la culture de l'Intérieur du Nord-Ouest (phase moyenne) se caractérise par l'industrie des microlames détachées de nucléus cunéiformes et de forme tabulaire, plusieurs variétés de burins dont les burins transverses sont les plus distinctifs, des pointes lancéolées, une variété de grattoirs et de couteaux bifaciaux, des becs, des mèches de foret, des poids de filet et d'autres objets de moindre importance. Les outils les plus répandus étaient des outils occasionnels sur éclats. Lorsque l'industrie des microlames a commencé à décliner, les pointes de projectiles encochées ont été introduites. Il y avait aussi une augmentation des grands couteaux bifaciaux et des grattoirs. Les pointes de projectile encochées semblent s'être greffées sur un assemblage déjà existant mais à différents moments dans différentes régions. Par exemple, les pointes encochées semblent aussi anciennes que 5 500 avant J.-C. dans le nord de l'Alaska mais aussi récentes que 3 750 avant J.-C. dans le sud-ouest du Yukon.

La faible conservation des os restreint l'enregistrement relatif à la consommation de la nourriture. La distribution des sites indique que la pêche était une importante activité en été et à l'automne comportant des stations de pêche qui, vraisemblablement à cette période de l'année, fournissait l'occasion à une bande ou à des bandes de se rassembler au même endroit pour arranger les mariages et réaffirmer la solidarité de la société. Cependant, une telle généralisation ne doit pas nous faire oublier qu'un enclos de caribous réussi aurait permis de grands rassemblements de personnes à un seul site en hiver mais dont les endroits sont très difficiles à découvrir par les techniques actuelles de reconnaissance archéologique. Quant à la distribution des modes d'établissement et à leur pertinence au déplacement hypothétique des utilisateurs des microlames sous la pression des utilisateurs des pointes de projectiles encochées, les deux assemblages se trouvent très souvent dans les mêmes sites indiquant qu'il n'y avait aucun changement significatif dans l'usage des sites et, par conséquent, de la nature de la subsistance. Une telle continuité de mode d'établissement et, on le présume, de subsistance apporte un appui à l'argument qu'un remplacement culturel n'a pas eu lieu et que le changement était le produit d'une diffusion technologique et de tendances temporelles. Il y consensus au sein des archéologues que la portion récente de ce développement culturel a conduit directement aux groupes historiques des parlants athapascans du nord-ouest de l'Amérique du Nord.


 
Tome ITome II

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