Dans le rapport du Forum des citoyens sur l'avenir du Canada (1991), Keith Spicer déclarait que les symboles du Canada nécessitaient une certaine réfection²⁷. À cet égard, il importe de souligner que l'une des conclusions générales des études récentes sur l'histoire du travail et de la classe ouvrière au Canada est que la contribution de cette dernière demeure une des sources historiques non reconnues des réalisations et de la solidarité canadiennes²⁸. C'est l'un des points de ralliement identitaire capable de faire obstacle aux énormes pressions qui s'exercent actuellement en faveur de la privatisation des activités publiques au pays. Bien sûr, la nécessité d'accorder une plus grande attention à l'histoire et à la contribution des travailleurs est une question qui relève du programme des timbres de la Société canadienne des postes et qui mérite certainement d'être portée à l'attention de son Comité consultatif.

Nous pouvons aussi faire une observation d'un ordre plus théorique, en nous plaçant du point de vue d'une histoire culturelle attachant une certaine importance stratégique au capital culturel accumulé, dont témoignent l'iconographie publique et les symboles d'une société. L'investissement dans le capital culturel, allèguent des théoriciens comme Pierre Bourdieu (que nous paraphrasons ici), génère des bénéfices qui se rapportent directement à l'équilibre des forces dans les luttes de classe en cette fin du 20^e siècle. Étant donné que la structure des rapports de classe est déterminée par la répartition du capital sous ses diverses formes, y compris le capital culturel, les travailleurs ont constamment intérêt à déployer des efforts pour s'approprier les pratiques et les biens culturels²⁹.

Ce ne sont pas les suggestions qui manquent pour repenser l'identité canadienne en fonction d'une présence plus grande des travailleurs. Nous viennent tout naturellement à l'esprit des faits marquants de l'histoire ouvrière, comme l'adoption de la Loi des unions ouvrières (1872), l'établissement de la fête du Travail (1894), la grève générale de Winnipeg (1919)³⁰, la marche sur Ottawa (1935), la grève des employés de la société Ford (1945) et celle de l'amiante (1949). Il y aurait lieu aussi d'exploiter des thèmes importants tels que la construction des chemins de fer, la révolution industrielle ou le travail des enfants; des réformes comme les lois sur les accidents du travail, le salaire minimum et l'équité salariale ; des organisations comme les Chevaliers du Travail et la Fishermen's Protective Union, et bien d'autres. Il faudrait songer aussi à reconnaître les réalisations de gens associés à l'histoire du mouvement ouvrier, tels Katie McVicar, Phillips Thompson, Ginger Goodwin, J. S. Woodworth et J. B. McLachlan, entre autres. Par ailleurs, un projet que pourrait réaliser la Société canadienne des postes, et qui susciterait sûrement l'intérêt des philatélistes serait de reproduire une des esquisses de timbres de la République du Canada qui avaient été préparées (mais jamais émises) par le gouvernement provisoire de la rivière Rouge en 1870³¹.

Ce timbre-poste, faisant partie de ceux proposés pour la république canadienne, n'a jamais été émis par le gouvernement provisoire (Louis Riel) de la rivière Rouge, en 1870. Collection privée

Une telle réorientation exige, bien sûr, davantage d'appuis, pas seulement celui du Comité sur l'histoire ouvrière canadienne qui, à sa réunion de 1996, a adopté une résolution afin d'encourager la Société canadienne des postes à accorder une place plus importante aux travailleurs et aux syndicats dans le choix et la conception des timbres. Elle nécessite l'appui des syndiqués et de leurs syndicats, des conseils du travail, des fédérations et des centrales syndicales. Certains signes démontrent que le mouvement syndical est bien conscient que des messages inscrits lors de l'affranchissement automatique du courrier seraient un moyen de reconnaître l'apport de la classe ouvrière. En 1995, l'affranchisseuse mécanique de la Fédération du travail de la Saskatchewan véhiculait son propre message à cet égard : « Le travail est le générateur de la richesse - Il fait avancer toutes les autres causes³². »