3. Un concert de voix:   la langue et la culture au Manitoba
Vitrine du magasin du Ruthenian (devenu plus tard Ukrainian) Booksellers and Publishers Ltd., Winnipeg, vers 1918
La population de Winnipeg a connu une forte expansion, de 1900 à 1913, lorsque des milliers d'immigrants ont afflué vers la ville. Répondant à l'invitation du gouvernement de peupler l'Ouest, les nouveaux venus de Grande-Bretagne, ainsi que de l'Europe du Nord et de l'Est, se sont dirigés vers le secteur North End de la ville, où les logements étaient économiques et les emplois disponibles dans les cours de triage et les usines proches. Le Crump Block, recréé en partie dans la Salle du Canada, a été construit sur la rue Main en 1905 pour répondre au besoin croissant de services commerciaux et professionnels du North End.
En plus des deux autres modules dans la Salle du Canada, la salle des activités syndicales et la buanderie chinoise, le Crump Block et ses deux façades de magasins, le commerce de livres et de musique et l'imprimerie, forment ensemble une scène de rue à Winnipeg pendant la première moitié du vingtième siècle.

Le Crump Block    Le Crump Block (vers 1908), 844-852 rue Main, Winnipeg (Manitoba) (architecte Daniel Smith)
Archives de la Banque canadienne impériale de commerce

Détail des façades de magasins

Le commerce de livres et de musique

Les vagues de pionniers ont apporté diverses cultures et une multitude de langues dans la région des Prairies, marquant celle-ci de leur empreinte socio-économique. Les groupes de l'Europe de l'Est étaient spécialement visibles dans le nouveau paysage culturel et ont fini par constituer près du tiers de la population des Prairies. Bon nombre d'entreprises commerciales sont apparues pour répondre à leurs besoins culturels.

Entrepreneur ethnique

Le premier des deux modules de l'exposition Un concert de voix : la langue et la culture au Manitoba reproduit fidèlement le commerce combiné de l'Ukrainian Booksellers and Publishers and Winnipeg Musical Supply Co., une entreprise multiethnique très prospère fondée par l'immigrant tchèque Frank Dojacek. Le magasin, qui vendait des articles comme des journaux, des articles religieux, des disques ethniques et des fournitures d'art populaire, desservait une douzaine de groupes ethniques différents et constituait un véritable centre de ressources pour la survie culturelle.

Frank Dojacek
MCC 997.20.514
   Frank Dojacek

Frank Dojacek (1880-1951) a servi de pont entre le Nouveau Monde et les vieux pays pour des milliers d'immigrants établis dans l'Ouest canadien. Né à Vlasim, en Bohème, dans ce qui est maintenant la République tchèque, il a immigré à Winnipeg en 1903. Bien qu'ayant suivi une formation de tailleur, il est rapidement devenu un colporteur de livres. En 1906, il a fondé ce qui allait devenir l'Ukrainian Booksellers et, en 1911, a déplacé son commerce au Crump Block, 850, rue Main, à Winnipeg, où il est demeuré jusqu'à la moitié des années 1920. C'est cet emplacement qui a été recréé dans la Salle du Canada. Les détails architecturaux, les vitrines et les étalages de cette période ont été soigneusement reproduits pour que le visiteur puisse se tremper dans l'atmosphère caractéristique d'un magasin du début du vingtième siècle.

Pour satisfaire sa clientèle de l'Europe centrale, Dojacek a étendu ses activités à l'édition de livres multilingues et de journaux (National Publishers Ltd.), aux articles de musique (Winnipeg Musical Supply Co.), et aux commandes postales par catalogue.

Dans sa librairie, Frank Dojacek vendait un grand assortiment de marchandise pour que ses clients, des immigrants européens, se sentent chez eux : il offrait notamment des livres, des journaux, des guides, des dictionnaires, des manuels, des livres de médecine, des catéchismes et des romans rédigés en allemand, en ukrainien, en tchèque, en slovaque et dans d'autres langues. Ukrainian Booksellers avait également un excellent choix de cartes, de calendriers, ainsi que de certificats de confirmation et de mariage. Toutefois, il n'y avait pas que des imprimés. On y trouvait aussi des montres, des horloges, des bijoux, des décorations, des articles de couture, des produits de santé et de beauté, des appareils électroménagers, des outils européens importés, ainsi que des illustrations décoratives sacrées et séculières.

Le volet de l'entreprise appelé Winnipeg Musical Supply Co. offrait un assortiment complet de guitares, de mandolines, de cithares, de trompettes, de clarinettes, de violons, d'accordéons et d'autres articles de musique, de même que des services de réparation d'instruments. Frank Dojacek vendait aussi des radios, des phonographes et les plus récents disques.

Le magasin recréé dans la Salle du Canada présente des marchandises allant du début des années 1920 au début des années 1960, des articles invendus originaux qui n'étaient normalement pas jetés, mais que l'on gardait souvent sous la main durant de nombreuses années. Au moment de sa fermeture, dans les années 1980, Ukrainian Booksellers offrait encore des publications des années 1910 et 1920.

Frank Dojacek a dirigé son commerce à la manière d'une entreprise familiale. Les membres de sa famille l'ont aidé à établir un réseau de magasins à Regina, à Edmonton et à Vancouver.

Intérieur du magasin    Intérieur du magasin
Intérieur du magasin Ruthenian Booksellers and Publishers Ltd., situé au 850 de la rue Main, à Winnipeg, vers 1918
Archives provinciales du Manitoba
   Intérieur du National Music Co., magasin situé au 101, rue Edmonton, vers 1939. Cette autre succursale de l'entreprise de Frank Dojacek était dirigée par sa fille, Martha (à droite), et son gendre Charles Rispler (à gauche)
Archives provinciales du Manitoba

Un ami des immigrants

Pour les nouveaux venus au Canada, Frank Dojacek et sa femme Rosa ont été une source d'aide et de conseils; ils ouvraient fréquemment leur maison aux immigrants récemment arrivés d'Europe. Parlant couramment sept langues, Dojacek servait souvent d'interprète pour des immigrants devant les tribunaux. Prêcheur à temps partiel, il oeuvrait activement dans les églises baptistes tchèques et allemandes, ainsi que dans la communauté culturelle tchèque. Il avait la réputation d'un homme préoccupé des problèmes des immigrants.

Les immigrants qui venaient s'installer au Canada ne le faisaient pas seuls. Ils suivaient souvent d'autres membres de leurs famille ou des amis déjà établis ici, dans des régions où des services communautaires étaient déjà disponibles. Simultanément avec les organisations religieuses et culturelles, le commerce Ukrainian Booksellers de Frank Dojacek a constitué un important lien culturel avec l'ancien monde en fournissant des renseignements, des biens et services familiers, ainsi qu'un emplacement où les gens pouvaient se rassembler et partager leurs préoccupations, leurs histoires et ce qu'ils vivaient. Dans des endroits comme celui-là, on s'entretenait et on faisait la promotion des nouvelles tendances des milieux ouvriers et politiques.

Collection du Musée

Lorsque Ukrainian Booksellers and Winnipeg Musical Supply a fermé ses portes en 1984, seul le magasin de Winnipeg était encore en activité. À cette époque, la communauté initiale d'immigrants avait déménagé du North End de Winnipeg vers d'autres secteurs de la ville et n'avait plus besoin des services spéciaux fournis par l'entreprise. En 1997, le Musée canadien des civilisations a acquis, auprès de divers fournisseurs du Manitoba et de l'Alberta, les milliers d'articles figurant au stock initial du magasin de Dojacek pour les exposer dans la Salle du Canada.

    Vous pouvez voir un film panoramique en format Quicktime VR de l'intérieur du magasin (353 Ko).
    Ces films peuvent être visionnés avec Quicktime Player d'Apple. Si vous désirez télécharger Quicktime Player (pour Macintosh ou Windows), clicker sur le logo :

L'imprimerie

Le second module de Un concert de voix : la langue et la culture au Manitoba présente un atelier d'imprimerie typique de Winnipeg vers 1950. Cette reconstitution d'époque a reçu le nom d'un ancien atelier d'imprimerie et d'édition de Winnipeg, North Star Press. Celui-ci n'a jamais été situé dans le Crump Block, mais sa disposition et son équipement sont typiques des petits ateliers d'imprimerie ayant déjà existé à Winnipeg.

À leur entrée dans l'atelier, les visiteurs voient un comptoir avec deux vitrines. La première contient un échantillon d'imprimés produits par et pour les diverses communautés ethniques et religieuses du Manitoba, avant 1950. D'autres exemples de « travaux » récents figurent à l'étalage de la vitrine avant de l'atelier. La seconde vitrine présente des publications et des journaux du mouvement socialiste ukrainien de Winnipeg, remontant aux années 1920 et 1930.

Dans l'aire de travail située derrière ce long comptoir, se trouvent des tables, des étagères, des armoires pour entreposer les outils et l'équipement, une presse à épreuves, une presse typographique à cylindre Little Giant, une ancienne presse typographique à platine Gordon (initialement appelée le « cheval de travail » de l'industrie de l'imprimerie) et une Linotype, machine massive et noire servant à fondre des lignes de caractères avec du métal chaud.

Imprimerie    Imprimerie, Ukrainian Labour Temple, Winnipeg, vers 1929
Collection de l'Ukrainian Labour Temple, Winnipeg

Imprimerie, langue et culture

L'accès à des imprimés rédigés dans des langues qu'ils pouvaient comprendre a aidé les immigrants à supprimer leurs sentiment d'isolement au Canada, tout en resserrant leurs liens avec la communauté ethnique. Cette communication permettait aussi au nouveau venu de s'adapter, puis de s'intégrer, à la grande société canadienne.

Dès les années 1870, une industrie de l'imprimerie ethnique est née à Winnipeg et dans d'autres petites villes du Manitoba pour répondre aux besoins des immigrants européens, en matière d'information et de documentation. Winnipeg, reflet de diverses langues et cultures, est demeuré le centre d'édition multilingue pour la plus grande partie de l'Ouest canadien, durant toute la première partie du vingtième siècle. Les imprimeurs ont publié une gamme d'ouvrages, y compris des livres pour adultes et enfants, des annonces publicitaires, des avis, des affiches, des programmes de spectacles, des guides, des almanachs, des tracts religieux et politiques, ainsi que des histoires commémoratives.

De nombreux journaux ethniques a faible tirage ont aussi fait leur apparition dans l'Ouest. Pendant cette période, les journaux avaient généralement une affiliation religieuse, politique ou nationaliste. La presse ethnique et d'autres publications mettaient en lumière des situations vitales, présentaient divers points de vue et informaient les lecteurs des événements, tout en donnant des renseignements pratiques sur les techniques agricoles, les conditions du monde du travail et les règlements sur l'immigration. Bon nombre d'immigrants ont d'abord appris à lire au moyen d'un journal ethnique.

Les syndicalistes ont constaté que, pour attirer une multitude de nationalités vers les nouveaux syndicats, au début du vingtième siècle, il fallait instaurer un moyen de communication multilingue. Certains documents politiques produits par la communauté ethnique n'étaient cependant pas toujours acceptables pour les autorités. Pendant la Première Guerre mondiale, par exemple, le gouvernement et le monde des affaires voyaient d'un mauvais oeil le socialisme organisé, à cause des succès obtenus par les bolcheviques russes et de la peur croissante inspirée par les « étrangers ennemis » : les immigrants issus de pays en guerre contre l'Empire britannique. Par conséquent, en 1918, le gouvernement canadien a interdit les publications dans douze langues « ennemies », dont l'ukrainien et l'allemand. L'interdiction a été levée après la guerre, même si, durant une certaine période, le texte initial a dû être accompagné d'une traduction en anglais ou en français.

Intérieur de l'atelier d'imprimerie du journal socialiste ukrainien Robochyi narod (le peuple travailleur), vers 1918. Au centre-droit se tient Matthew Popovich, futur fondateur du Parti Communiste du Canada.
Collection de l'Ukrainian Labour Temple, Winnipeg
   Imprimerie

La North Star Press

Une bonne partie de l'équipement et des fournitures exposés ici provient de l'ancienne North Star Press de Winnipeg. Inaugurée pendant les années 1930, la presse a imprimé The Prophetic Light, un journal chrétien non confessionnel, rédigé et publié par le cofondateur de North Star et immigrant suédois, F.E. Linder. Correcteur et éditeur ethnique prolifique, Linder s'est établi à Winnipeg pendant les années 1920. Au moyen de North Star Press, il a aussi imprimé des versions multilingues de traités bibliques et des prospectus d'instruction rédigés par un couple suédo-américain, Charles et Julia Lee. La North Star Press était également un imprimeur commercial. L'entreprise a fermé ses portes en 1995.

L'industrie canadienne de l'imprimerie après la Seconde Guerre mondiale

Pendant les années 40 et 50, les imprimés étaient un véhicule fondamental d'information pour les Canadiens, tout comme Internet de nos jours. Comme le faisait remarquer un commentateur, « De nos jours, l'imprimerie a une vocation à la fois culturelle et commerciale, essentielle à la vie et au progrès humains. » (John C. Tarr, Printing To-Day, 1945)

Pendant la Seconde Guerre mondiale, l'industrie de l'imprimerie a nettement pris de l'ampleur, car la demande de journaux, de catalogues, d'annonces publicitaires, de documentation sur des produits et d'emballages imprimés a nettement augmenté. Malgré l'apparition d'autres technologies, la composition chaude est demeurée au premier plan des techniques d'impression avant 1960, surtout dans les petits ateliers.

La Linotype, employée pour la composition mécanique des caractères d'impression, trônait en bonne place dans les ateliers pendant cette période. Au cours des années 1960, diverses technologies de composition à froid ont commencé à la supplanter.

Machine Linotype    Machine Linotype, modèle 31, Mergenthaler Linotype Co., New York, É.-U.

Inaugurée : le 28 juin 2001
Conservateur : Paul Robertson