Marius Barbeau Un aperçu de la culture canadienne (1883-1969)
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La vie de Barbeau

Les études outre-mer (1)

À Oxford, chaque étudiant a un tuteur personnel. Le mien fut le Rev. L.R. Phelps, homme doux à grande barbe blanche et chauve. Il ressemblait à un évangéliste. Il me demanda ce que je voulais étudier. Je ne savais trop...d'abord apprendre l'anglais, puis le droit criminel croyant encore que je pratiquerais le droit à mon retour au Canada. Mais lui fis entendre que ce n'était pas là mon principal intérêt. Lequel alors? « I wanted to know how Man was made ...created ». Il me dit que je devais étudier l'anthropologie, j'apprendrais là tout ce que je voulais savoir sur l'homme. Je ne savais pas encore ce que c'était. Le diplôme en anthropologie n'avait été introduit, conjointement par Oxford et Cambridge, que deux ans auparavant, et il n'y avait eu encore que deux ou trois étudiants sous cet enseigne.

Il me dit d'aller voir Prof. Robert Ranulph Marett, à Exeter College, qu'il lui déléguait contrôle comme tuteur sur moi, lui étant un sociologue ou anthropologue culturel.

Je me rendis donc à Exeter et, dès le premier coup d'oeil, je compris que ce professeur conviendrait à mes goûts. Me regardant de la tête aux pieds, tous les deux debout, il me posa la main sur l'épaule et me dit que nous étions tous deux de la même race, des Normands ou Northmen.

Ses ancêtres s'étaient établis aux îles de Jersey (dont il était fils de seigneur lui-même) et les miens étaient entrés en Normandie. Chaque semaine de l'année académique on doit voir son tuteur personnellement une heure. Cette heure me plaisait beaucoup. De quoi était-il question? Je l'oublie, sauf que Marett me fit écrire en français pendant la semaine un essai sur un sujet qui m'intéressait. Le premier fut sur « L'intelligence » (souvenirs de mes lectures de Taine). Il me fit lire tout haut mon essai. Je le fis avec éloquence, manière Collège classique(!). Il trouva l'essai excellent, m'en fit de grands compliments. Il cultivait la confiance en moi-même, ce dont j'avais besoin. Mes cours comprenaient l'anthropologie culturelle, ceux de Marett même; l'anthropologie physique par Arthur Thomson, au laboratoire. Nous suivions les conférences, étudions Duckworth's Physical Anthropology, et nous mesurions des crânes et des ossements (anthropometry); la technologie (en ethnologie) au Pitt Rivers Museum, avec Henry Balfour, debout devant des vitrines une heure chaque semaine. C'était notre programme fondamental. En plus, il y avait (pendant les deux premières années) plusieurs autres cours à suivre, plus ou moins de notre choix: Sir Arthur Evans, à l'Ashmolean Museum: Archéologie de la Crête. Il était peu intéressant, mais personnage réputé.Nous suivions les causeries du fameux Tylor (Sir Edward Burnett Tylor), fondation de l'anthropologie. Bel homme, vieillard à barbe blanche, suave. Il avait perdu la mémoire et il lui arrivait de répéter à la fin d'une causerie ce qu'il avait dit au commencement. Mais on le gardait au programme, parce que des visiteurs voulaient l'entendre. Autre conférencier ou démonstrateur, le vieux Bell, archéologue local. Il nous conduisit dans une carrière où nous pûmes trouver quelques « Celtes ».

Le professeur Sallas, géologue, pour la connaissance des périodes préhistoriques, tertiaire, quaternaire, les cavernes. Nous étions bien occupés. Mais je trouvais certains de ces sujets assez ternes, il m'aurait fallu plus de rhétorique! tout de même je m'y pliais volontiers et je prenais de copieuses notes. Il fallait lire aussi. D'abord nos gros manuels illustrés puis Tylor: « l'Animisme », Frazer, (Sir James George Frazer 1854 -1941) le « Golden Bough », le « Totemism ». Ce dernier m'intéressant vivement et c'était tout court. Les autres étaient trop longs pour que je les lise en entier. Et puis c'était assez décousu: un fait à la suite de l'autre, à la queue leu leu. Mais je trouvai de moi-même un auteur me plaisant d'avantage: Herbert Spencer. Cela était systématique, bien bâti, à la manière de Saint-Thomas d'Aquin. Je m'y complaisais. C'était l'histoire du monde! C'est ce que je voulais maîtriser. Mais avant que je perdis beaucoup de mon temps à cela, j'en parlai à mon tuteur qui se rit un peu de moi et m'induit à discontinuer.

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