À la croisée des cultures 200 ans d'immigration au Canada (1800-2000)
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La collection de poterie Deichmann : L'influence danoise dans l'artisanat canadien

Parmis les premiers artisans du Canada à avoir établi un atelier et à avoir vécu de leur art figurent Erica et Kjeld Deichmann. Bien que de nombreux potiers soient depuis devenus de véritables professionnels, les Deichmann ont été les pionniers. La carrière des Deichmann couvre une période critique – de 1935 jusqu'à la mort de Kjeld en 1963 – qui représente un point tournant dans l'histoire de l'artisanat au Canada. C'est à cette époque que l'artisanat traditionnel a donné naissance au métier d'art.

Exposition sur les vingt ans de production de céramiques par Kjeld et Erica, été 1955
Exposition sur la production de grès et de porcelaine au Centre d'art de l'Université du Nouveau-Brunswick, Décembre 1961

Racines danoises

Kjeld et Erica se sont connus en Saskatchewan; elle était la fille d'un doyen danois en visite pastorale dans un des établissements dano-canadiens des Prairies, et lui avait immigré récemment du Danemark et faisait l'apprentissage de l'agriculture. Après une année où Erica était retournée étudier au Danemark, et où Kjeld avait acheté une ferme à Moss Glen dans la péninsule de Kingston au Nouveau Brunswick, ils se sont retrouvés et se sont mariés à Saint John en 1932.

Ils prévoyaient mener une vie simple et aménagèrent la petite maison de ferme qui devait être leur demeure. Pourtant, les deux se rendirent vite compte que l'agriculture ne pouvait pas combler leurs aspirations, au point où en 1933, ils retournèrent au Danemark afin d'y chercher une formation dans un domaine artistique qui leur convenait. Kjeld passa six mois à aider un ancien camarade d'école, Axel Bruhl, à fabriquer un four et à apprendre les rudiments de la poterie. Erica étudia le tissage pendant la même période. Au printemps 1934, les Deichmann retournèrent à Moss Glen et y établirent leur atelier de poterie, qu'ils baptisèrent plus tard du nom de Dykelands à cause des petites digues (dykes, en anglais) qu'on trouvait sur leur propriété. C'est à partir des notes prises par Kjeld au Danemark qu'ils fabriquèrent leur premier four.

Malgré la distance et le temps qui les ont séparés du Danemark pendant la plus grande partie de leurs carrières, les Deichmann ont continuellement puisé leur inspiration dans les ressources culturelles de leur patrimoine. Bon nombre des caractéristiques de leurs céramiques qui plaisaient aux gens, comme la simplicité et l'élégance des formes, les surfaces et les glaçures, témoignent d'une sensibilité toute scandinave qui a influencé profondément le design et la mode en Amérique du Nord à la fin des années 1950. Les formes de Kjeld, avec leurs cols étroits et leurs lignes sinueuses, et les subtiles couleurs des glaçures d'Erica tout comme la peinture élégante des surfaces, étaient remarquablement fidèles à un style qui peut être décrit comme moderne au sens le plus large.

Cette sensibilité s'appliquait même à la façon dont Erica et Kjeld rénovaient leurs maisons et aménageaient leurs ateliers. Les intérieurs se caractérisaient par des murs blancs, du bois non façonné et des couleurs chaudes, et on y trouvait des portraits d'ancêtres et une tapisserie danoise. C'est ainsi qu'ils présentaient leurs œuvres et vivaient dans un cadre agréable. L'ambiance qui se dégageait de la maison et le contexte rural conféraient un attrait romantique aux visiteurs de Dykeland. La poursuite de l'expression artistique du couple au moyen de l'argile et le contexte physique où ils s'installèrent a permis au public de voir des artisans engagés dans le processus de création. Le style de vie sain des Deichmann, la vie rurale paisible et la proximité de la nature contrastaient avec le concept du progrès technologique qui dominait à l'époque.

 

Au Nouveau-Brunswick

Peu après leur installation, Erica et Kjeld, qui nourrissaient depuis toujours une passion pour les livres, ont ouvert à même leur propre collection une bibliothèque de prêt officieuse pour leur voisins. C'est ainsi que les Deichmann se sont faits des amis et des connaissances. Mais les liens qu'ils nouèrent avec la petite communauté artistique du Nouveau Brunswick ont pris encore plus d'importance dans leur vie. Parmi ces artistes figuraient notamment P.K. Page, Jack Humphrey, Miller Brittain, Ted et Rosemund Campbell, Pegi Nichol McLeod, Madge Smith et Kay Smith. Le groupe se réunissait souvent à Moss Glen en hiver, offrant à Erica et à Kjeld cette amitié et cette stimulation artistique qu'ils ont valorisées tout au long de leur vie. De la même façon, le couple a pu compter sur un groupe de clients qui ont partagé leur succès et qui les ont aidés dans leurs échecs.

Bien que les Deichmann aient encouragé l'achalandage sans cesse croissant de touristes qui « découvraient » Dykelands chaque année, leur renommée finit par avoir son revers. Dès 1945, Kjeld commença à parler de s'échapper. D'une part, les visiteurs de Saint John et les autres touristes constituaient une bonne source de revenus grâce aux ventes directes. D'autre part, le nombre de visiteurs imposait un fardeau très lourd à la vie sociale de la famille, particulièrement pendant l'été, et gênait les recherches d'Erica et de Kjeld sur les argiles et les glaçures. En 1956, la famille déménagea donc à Sussex au Nouveau Brunswick.

Au Canada et ailleurs

En 1940, les céramiques des Deichmann avaient été exposées à New York, Paris et Glasgow, et Erica et Kjeld avaient commencé à envoyer régulièrement leurs œuvres à des magasins et des galeries d'art au delà des frontières du Nouveau Brunswick. À mesure que leur clientèle croissait et que s'y ajoutaient des gens de l'extérieur de leur province, particulièrement de l'Ontario, du Québec et de la Nouvelle Angleterre, ils recevaient davantage d'offres d'exposition et de démonstration de leur travail. Ces voyages firent des Deichmann des ambassadeurs. Par exemple, ils représentèrent le Nouveau Brunswick lors de la Foire de l'île Sainte Hélène à Montréal en 1940, et le Canada au Rockefeller Center de New York, en 1952.

On a souvent demandé aux Deichmann d'être les hôtes de dignitaires en visite et ils prenaient très au sérieux leur devoir envers leur pays d'adoption. En retour, ils ont été récompensés par de nombreux honneurs. Kjeld a été invité, avec onze autres personnes, à faire partie du premier groupe à recevoir la citoyenneté canadienne au cours d'une cérémonie particulière en janvier 1947. Le couple a également produit un service à café présenté par la ville de Saint John à la princesse Elizabeth et au duc d'Édimbourg lors de leur visite en 1951. Kjeld s'est vu octroyer en 1960-1961 une bourse d'études et de voyages du Conseil des Arts du Canada qui lui permit ainsi qu'à Erica de voyager et d'étudier en Europe. En 1987, Erica a été décorée de l'Ordre du Canada.

Bol, © CMC/MCC, 89-232, T2007-00066

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Pot, © CMC/MCC, 89-247.1-2, T2007-00043

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Production

Obligés pour survivre de vendre leurs œuvres, mais fermement déterminés à continuellement expérimenter et créer des œuvres toujours meilleures, ils ont exploré simultanément diverses directions. Il y a toujours eu une demande pour la production de petits objets ménagers : ces petits pichets, tasses, assiettes, carreaux peints et figurines qui satisfaisaient l'intérêt passager de la plupart des gens pour la céramique. Ils étaient également soumis à la pression des clients, familière à tous les artisans travaillant en atelier, de ne reproduire que les formes et les couleurs de glaçure les plus populaires ou les plus à la mode. Comme c'est le cas pour la plupart des créateurs, les Deichmann étaient souvent sur le point de faire une découverte dans une nouvelle direction, juste au moment, où une étape antérieure de leur travail commençait à intéresser les gens et à créer une demande. Leur habilité et leur bonne volonté, lorsqu'il fallait trouver des compromis, à la fois créer et répondre à la demande du marché, a été un aspect important de leur professionnalisme.

Qu'une telle proportion de leurs œuvres ait si bien résisté au passage du temps et que, cinquante et soixante ans après leur création, ces pièces aient conservé ce que certains appellent leur « clarté » ou leur « intégrité », témoignent de leur réussite. Les Deichmann ont réussi à exprimer leurs valeurs et leurs expériences à travers leur création : c'est là que se trouve tout leur génie. Ils n'ont jamais cherché à séparer beauté ou signification de la vie de tous les jours, bien au contraire, ils ont voulu permettre aux gens de faire l'expérience de la beauté à travers des objets utiles et pratiques.

Bol, © CMC/MCC, 89-253, T2007-00012

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Le Musée canadien des civilisations possède dans ses collections plus de 160 céramiques créées par Erica et Kjeld Deichmann, ainsi qu'une ainsi qu'une importante collection connexe de matériel photographique et archivistique. Les œuvres des Deichmann ont été célébrées par le MCC lors d'une exposition tenue en 1991-1992 Le tournant - La poterie des Deichmann, 1935-1963 qui a été présentée à travers le Canada.

Le catalogue et l'exposition Le tournant de même que la collection Deichmann reposent sur les travaux du Dr. Stephen Inglis, conservateur principal, Musée canadien des civilisations.

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