E’se’get : le legs d’un vaste projet archéologique

Matthew Betts

1)En 2012, nous avons « cartographié » le sol occupé par une maison vieille de 1 500 ans. Photo : Matthew Betts, Musée canadien de l’histoire

1) En 2012, nous avons « cartographié » le sol occupé par une maison vieille de 1 500 ans. Photo : Matthew Betts, Musée canadien de l’histoire

Quand les gens pensent à l’archéologie, c’est souvent cette image conventionnelle de fouilles archéologiques qui leur vient à l’esprit : un archéologue et toute son équipe dégageant soigneusement la terre d’unités de fouille bien délimitées. Le travail sur le terrain, manuel, est certes ardu, mais les instants de découverte, l’esprit de camaraderie qui anime l’équipe, le cadre extérieur et notre collaboration avec les collectivités locales compensent largement la fatigue de ces longues journées.

Le travail sur le terrain ne représente pourtant qu’une infime partie de la démarche archéologique. En réalité, environ 90 p. 100 des tâches de l’archéologue se déroulent dans des laboratoires ou un bureau, loin de l’exaltation des sites de fouilles.

Le projet archéologique E’se’get est une vaste initiative de recherche du Musée canadien de l’histoire dont l’objectif est de caractériser le patrimoine archéologique de la côte sud de la Nouvelle-Écosse, notamment celui de Port Joli. Cette région recèle des concentrations d’amas coquilliers parmi les plus denses de la Nouvelle-Écosse. E’se’get est un mot mi’kmaq qui signifie « creuser pour trouver des myes ».

3)Coquillages servant au transport des braises. Ils ont été dégagés lors des fouilles archéologiques entreprises en 2010. Ce sont les seuls du genre à avoir été trouvés dans les Provinces de l’Atlantique. Photo : Matthew Betts, Musée canadien de l’histoire

Coquillages servant au transport des braises. Ils ont été dégagés lors des fouilles archéologiques entreprises en 2010. Ce sont les seuls du genre à avoir été trouvés dans les Provinces de l’Atlantique. Photo : Matthew Betts, Musée canadien de l’histoire

Les amas coquilliers sont des dépôts archéologiques composés de coquilles de mye (un mollusque) et d’autres débris générés par les activités de la vie quotidienne. Au fil du temps, les coquilles laissent filtrer du carbonate de calcium, qui neutralise le sol acide de la Nouvelle-Écosse et favorise ainsi une excellente préservation des artefacts et des os d’animaux. Certains amas coquilliers observés ici ont une épaisseur de plus de 100 centimètres et comptent parmi les plus vastes encore intacts dans les provinces de l’Atlantique.

Le projet E’se’get a débuté en 2008-2009 par des relevés d’observation et des fouilles exploratoires. En 2010, et à nouveau en 2012, les sites les plus prometteurs ont fait l’objet de fouilles d’envergure. Comme nous le précisons dans notre blogue sur les travaux archéologiques entrepris sur le terrain, nous avons découvert des merveilles, par exemple de vastes tertres de traitement (tertres dus au traitement des myes et à leur factage par la communauté), des sols occupés autrefois par des wigwams mais intacts, des types d’artefacts jamais consignés auparavant et la première suerie mise au jour dans les provinces de l’Atlantique. Nous avons également récupéré plus de 22 000 artefacts, des dizaines de milliers de restes d’animaux et des centaines d’échantillons de sol.

Après quatre saisons de travail sur le terrain, il nous a fallu passer à une étape plus difficile : décrire, recenser et identifier les restes, puis, finalement, tirer des conclusions de leur fréquence et de leur distribution. Tout cela peut nécessiter une année d’étude en laboratoire, et parfois bien plus, pour chaque saison de travail sur le terrain. D’après mes calculs, au moins cinq années de travail de laboratoire nous attendent.

2) En 2010, notre équipe se composait d’étudiants de l’Université du Nouveau-Brunswick, d’étudiants de la Première Nation Acadia et de représentants du groupe Mi’kmaw Rights Initiative. Photo : Matthew Betts, Musée canadien de l’histoire

En plus des tâches fondamentales, à savoir laver, étiqueter et cataloguer les objets, nous avons mené des analyses approfondies de toutes les catégories de matériaux. À cet égard, nous devions mesurer, décrire et classifier les outils de pierre, mener une étude descriptive, à haute résolution, des tessons de céramique (poterie), trier et peser les échantillons de sol et de coquilles, et identifier les restes d’animaux récupérés.

Quatre années ont passé, et l’analyse de la collection de Port Joli est maintenant presque terminée. La semaine dernière, les artefacts ont été transférés au Musée de la Nouvelle-Écosse, qui deviendra leur demeure permanente. Un article important sur les ossements d’animaux trouvés sur le site paraîtra bientôt et nous en avons publié nombre d’autres sur l’architecture des wigwams, la suerie, les coquillages du site et des aspects des relations des Mi’kmaq avec les requins. Nous avons donné plus d’une dizaine de conférences publiques, accordé de nombreuses interviews à la radio, à la télévision et aux médias écrits et rédigé des billets de blogue à propos du projet.

4)Des pointes de projectile en pierre provenant du site de la maison dégagée en 2010. Photo : Matthew Betts, Musée canadien de l’histoire

Des pointes de projectile en pierre provenant du site de la maison dégagée en 2010. Photo : Matthew Betts, Musée canadien de l’histoire

Le projet est loin d’être terminé. Nos consultations des communautés se poursuivent et s’étendront sûrement sur dix ans. Une étape importante sera franchie à la fin de la présente année, lorsque je présenterai la monographie finale du projet E’se’get. Nous consignerons dans ce livre les renseignements que nous avons recueillis, ainsi que les principales déductions à en tirer. Nous laisserons ainsi en héritage des données que les autres archéologues pourront consulter et, finalement, réinterpréter avec un regard neuf.

Cette année, avec l’autorisation de la Première Nation Acadia, j’entamerai un nouveau projet sur la côte sud de la Nouvelle-Écosse. L’érosion côtière provoquée par les changements climatiques cause des ravages dans les dépôts archéologiques des Maritimes et détruit en même temps le patrimoine archéologique des Mi’kmaq. Avec l’aide de nos partenaires autochtones et de résidants locaux, nous espérons repérer les sites les plus menacés et commencer à sauvegarder ce qui peut l’être pour en tirer des enseignements.

5)En janvier 2017, Meagan Barnhart a emballé des artefacts et des ossements d’animaux pour les faire parvenir au Musée de la Nouvelle-Écosse. Photo : Patti Davis-Perkins, Musée canadien de l’histoire

En janvier 2017, Meagan Barnhart a emballé des artefacts et des ossements d’animaux pour les faire parvenir au Musée de la Nouvelle-Écosse. Photo : Patti Davis-Perkins, Musée canadien de l’histoire

Même si nous entreprenons de nouveaux projets, le travail réalisé à Port Joli ne sera jamais tout à fait terminé. Il nous faudra de nombreuses années pour rédiger les communications sur la multitude d’éléments de preuve que nous avons découverts. Il ne fait aucun doute que nous formulerons des questions nouvelles à partir des données recueillies. Port Joli continuera de documenter nos futures entreprises sur le terrain, et les données connexes seront intégrées à un ensemble de connaissances, sans cesse enrichies, sur l’archéologie de la Nouvelle-Écosse.