Le portrait que D’Arcy McGee n’a jamais pu admirer

Sylvain Raymond

Il y a cent cinquante ans, un groupe d’amis de Thomas D’Arcy McGee lui préparaient un cadeau spécial : un portrait en l’honneur de son 43e anniversaire. Le 7 avril, six jours avant la date, McGee sera toutefois assassiné.

Cette peinture à l’huile de Frederic Marlett Bell-Smith porte l’inscription suivante : « Présenté à l’honorable député Thomas D’Arcy McGee par des amis de Montréal et d’Ottawa à l’occasion de son 43e anniversaire le 13 avril 1868. » À la suite de la mort de McGee, quelques jours seulement avant que le portrait ne soit dévoilé, ses amis ont fait ajouter une autre inscription : « Peinés et frustrés de n’avoir pu concrétiser cette intention en raison de son cruel assassinat à Ottawa le 7 avril 1868, ses amis présentent aujourd’hui ce cadeau et leurs plus sincères condoléances à sa veuve et à ses enfants. » Le portrait est demeuré dans la famille depuis.

Portrait de Thomas D’Arcy McGee exposé dans la salle de l’Histoire canadienne.

Portrait de Thomas D’Arcy McGee exposé dans la salle de l’Histoire canadienne. Musée canadien de l’histoire, IMG2017-0043-0019-Dm

Euphrasia Quinn, la fille aînée de McGee, a emporté le portrait lorsqu’elle a quitté Montréal pour rejoindre la Californie. La peinture a finalement été transmise à D’Arcy Quinn, l’arrière-arrière-petit-fils de McGee. M. Quinn l’a accroché dans sa maison, en Suisse, jusqu’à ce qu’une rencontre fortuite en Irlande avec le président-directeur général du Musée canadien de l’histoire, Mark O’Neill, permette d’exposer l’œuvre dans sa résidence temporaire actuelle, au Musée.

Pour plusieurs personnes, il est étonnant que Thomas D’Arcy McGee ait fait partie des Pères de la Confédération. Au courant de sa jeunesse passée en Irlande, McGee avait participé à des actions visant à libérer son pays natal du pouvoir britannique. Il s’est d’ailleurs déjà lui-même décrit comme « un traître au gouvernement britannique », lui qui avait défendu la cause de la révolution nationaliste irlandaise. Après qu’il ait immigré au Canada-Uni, un profond respect pour le parlementarisme de style britannique s’est néanmoins développé chez McGee. Il estimait que ce type de gouvernement permettait aux minorités de bénéficier d’une liberté et d’un climat de tolérance. Parlementaire impétueux, il a été élu à l’assemblée en 1857 et est devenu célèbre pour ses écrits passionnés et ses discours en faveur de la Confédération.

Le retournement de McGee, en ce qui a trait à ses opinions politiques, de même que la dénonciation qu’il a faite des fenians, un mouvement national irlandais, ont nui à sa popularité. De nombreux immigrants irlandais, la communauté qu’il cherchait pourtant à défendre, ont d’ailleurs fini par le considérer comme un traître.

Le mardi 7 avril 1868, McGee est abattu dans la rue Sparks, à l’extérieur de sa maison d’Ottawa. Soupçonnant un complot fenian, les autorités ont rapidement arrêté Patrick James Whelan, trouvé en possession d’un revolver qui avait récemment servi. Le revolver a par la suite servi à faire condamner Whelan, mais les doutes au sujet de sa culpabilité ont longtemps persisté. Il a continué de clamer son innocence, jusqu’à la potence, affirmant « connaître l’homme qui avait tué M. McGee », mais sans jamais donner de nom.

Les funérailles de McGee ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes dans les rues de Montréal, où il a été enterré le jour de son 43e anniversaire.

Bien évidemment, McGee n’a jamais eu l’occasion de voir le portrait que ses amis avaient commandé pour son anniversaire, mais pendant 150 ans, sa famille l’a conservé en mémoire de son ancêtre passionné et éloquent qui a tant marqué le pays. Désormais, les visiteurs peuvent admirer ce portrait dans la nouvelle salle d’exposition emblématique du Musée, la salle de l’Histoire canadienne.