Lever le voile sur des chapitres plus sombres de notre histoire

Éliane Laberge

Depuis 1977, la Journée internationale des musées, le 18 mai, célèbre nos établissements comme des carrefours propices aux échanges culturels, à l’enrichissement des connaissances et à la compréhension. Le Musée canadien de l’histoire fait partie de cette communauté mondiale, et il en est fier. Le thème choisi cette année, Musées et histoires douloureuses : dire l’indicible dans les musées, invite les musées à contribuer activement à l’apaisement des expériences historiques traumatiques par une trame narrative qui favorise la médiation et la pluralité des points de vue.

Ce thème revêt une pertinence particulière pour nous, à la veille de l’inauguration, le 1er juillet de la salle de l’Histoire canadienne, notre nouvelle exposition emblématique. Un mandat a été conféré à cette exposition phare : offrir un aperçu complet de l’histoire du Canada, des premiers établissements humains jusqu’à nos jours. Ce mandat implique la narration de tous les récits du pays, y compris les chapitres les plus sombres.

À titre de directrice du développement créatif et de l’apprentissage pour la salle de l’Histoire canadienne, Lisa Leblanc détermine les moyens les plus efficaces de faire connaître les récits, la recherche et les collections du Musée aux visiteurs. D’emblée, elle admet que le mandat de la nouvelle salle représentait une « grosse commande ».

L’exposition qui y est présentée couvre 15 000 ans d’histoire dans une superficie de 40 000 pieds carrés. S’il est évidemment impossible d’explorer chaque facette de l’histoire canadienne, il restait important pour l’équipe de faire en sorte que ce qui a façonné ce pays au fil du temps puisse être raconté sous toutes les perspectives possibles. Ce choix avait trouvé un écho partout au pays au cours de consultations menées avec des comités spécialisés et le grand public. Le désir de voir dans la nouvelle salle plus d’une perspective sur notre histoire, et de découvrir tant les bons épisodes que les mauvais, ressortait dans toutes ces consultations.

Affiche de la Journée internationale des musées 2017, reproduite avec l’autorisation du Conseil international des musées

Affiche de la Journée internationale des musées 2017, reproduite avec l’autorisation du Conseil international des musées

Présenter une histoire complète, c’est examiner celle-ci de chaque perspective et regarder différents moments, de ceux qui suscitent la fierté collective à ceux qui révèlent des zones d’ombre. Par exemple, comme le souligne Lisa Leblanc, on ne pourrait raconter l’histoire du chemin de fer au pays sans au moins faire mention du déplacement de populations autochtones et des répercussions du projet sur les ouvriers chinois.

Une fois le contenu de l’exposition sélectionné en tenant compte du désir des Canadiens, le travail de Lisa Leblanc et de toute l’équipe derrière la salle de l’Histoire canadienne consistait à déterminer comment présenter le tout. Pensons entre autres à l’horrible page d’histoire que constituent les sévices subis dans les pensionnats indiens, qui devait être présentée avec circonspection. La salle de l’Histoire canadienne ne dérobe pas à la vue non plus les guerres et les maladies post-contact, ni les luttes menées pour se faire reconnaître et accepter, notamment celles de la communauté LGBTA canadienne ou celles liées à l’accueil récent de réfugiés syriens. Or, comme l’observe la directrice du développement créatif et de l’apprentissage, les visiteurs arrivent au Musée avec leur propre bagage d’expériences personnelles et différents degrés d’aise ou de tolérance face à des sujets difficiles. Le défi de son équipe consistait donc à approfondir ces sujets d’une manière qui soit sensible à ces visiteurs sans pour autant voiler les faits.

Pour commencer, l’équipe de la nouvelle salle a veillé à ce que tout le contenu exposé soit honnête, clair et ouvert, sans choquer ou déranger expressément. « Il faut toujours un savant dosage, explique Lisa Leblanc. On ne veut pas verser dans le sensationnalisme, mais on doit aussi oser. » Il était également important de fournir aux visiteurs des espaces pour réfléchir en silence, surtout autour du contenu difficile… Ces aires réservées permettront aux visiteurs de prendre un temps d’arrêt pour se remettre de leurs émotions, ou se rassembler et s’entretenir calmement après le contact avec le contenu. L’équipe a aussi pensé aux séquences vidéo susceptibles de déranger; des avis seront affichés pour informer les visiteurs du type de contenu et les inviter à décider de regarder ou non les vidéos.

En définitive, conclut Lisa Leblanc, « les musées sont des gardiens des preuves du passé. Nous exhibons celles-ci pour que les visiteurs puissent les voir dans toute leur complexité, et nous offrons un lieu sûr pour engager des conversations à leur sujet. C’est la fonction du Musée de dire “voici différentes voix, perspectives et expériences”, et il incombe ensuite aux visiteurs de traiter l’information reçue ». Lisa Leblanc souhaite que le contenu de la salle enclenche des échanges et incite à considérer le passé différemment.

Le thème choisi pour la Journée internationale des musées cette année met en relief le fait que l’acceptation d’un passé controversé constitue un premier pas vers la réconciliation. C’est bien davantage que le thème de l’année des musées : c’est ce qui motive constamment le travail muséal dans le monde. Et c’est un principe directeur de la nouvelle salle de l’Histoire canadienne.