Un moment d’émerveillement archéologique

Pierre M. Desrosiers

En tant qu’archéologues, nous nous faisons souvent demander quel est l’objet le plus intéressant que nous avons trouvé. Pour ma part, ce qui importe le plus, ce sont les circonstances de la découverte et les personnes qui étaient présentes.

En 2013, je participais à la fouille d’une maison semi-souterraine inuite construite en tourbe, à Qikirtajuaq (ile Smith), sur la rive nord-est de la baie d’Hudson (au Nunavik, dans le Nord-du-Québec). L’âge de cette maison est maintenant établi à un peu plus de 700 ans, ce qui correspond au premier siècle de la migration des Inuit dans l’Est de l’Arctique, entre 1200 et 1300 de notre ère.

J’étais alors avec l’Institut culturel Avataq, et je réalisais avec mes collègues de l’époque une fouille pour la communauté d’Akulivik. Un des derniers jours de fouille, j’étais assis à côté de Tommy Weetaluktuk, qui dirige maintenant le département d’archéologie de l’Institut. En train de nettoyer le sol pavé en pierres de la maison, nous étions fatigués, mais satisfaits après un long été de camping et de travaux. Une certaine mélancolie régnait : notre travail était déjà terminé et, bientôt, nous serions de nouveau réunis avec nos familles, dans le confort de nos foyers.

Le doux silence de la toundra avait le magnifique effet d’une rafraichissante brise au terme de plusieurs semaines d’un stage de fouille archéologique pour les braves élèves de l’école Tukisiniarvik. Nous appréciions totalement ce moment de méditation : le temps, ni trop chaud ni trop froid, nous donnait enfin un répit des moustiques. Bref, le moment semblait parfait.

Par hasard, j’ai remarqué la présence d’objets coincés dans les fissures entre les pierres plates du plancher. « Hé, Tommy, il vaudrait la peine de nettoyer les fissures du sol », ai-je dit. Pour seule réponse, Tommy a émis un court son. Difficile à décrire, cette forme d’expression existe peut-être seulement dans le Nord. J’ai compris qu’il signifiait une approbation : « Je suis d’accord, mais profitons du silence. » Apprécier les moments de silence partagés avec de véritables amis est peut-être l’un des plus beaux éléments de la culture inuite.

Tommy Weetaluktuk tenant la tête d'un harpon

Tommy Weetaluktuk tenant la tête d’un harpon qu’il vient tout juste de découvrir. Photo : Institut culturel Avataq

Cinq autres minutes ont passé dans une atmosphère méditative. Derrière moi, j’ai ensuite entendu des bruits de raclage frénétique, puis de balayage, suivis d’un long silence qui, j’allais le comprendre peu après, résultait de l’étonnement. « Merci beaucoup, Pierre! », m’a finalement lancé Tommy, d’un ton mi-sarcastique mi-moqueur, en référence à mon « brillant commentaire » sur les fissures du plancher. Je me suis alors retourné pour le voir tenant la magnifique tête de harpon qu’il venait de trouver. Tommy la tenait avec douceur et respect, comme si c’était un nouveau-né. Personne d’autre que lui n’aurait pu mieux comprendre l’importance de cette découverte : il venait de mettre au jour la tête d’un harpon inuit la plus ancienne et la mieux préservée jamais découverte au Nunavik! Nous avons immortalisé ce moment magique dans la photo ci-dessus.

Cette tête de harpon et de nombreux autres artéfacts fascinants sont exposés au Musée canadien de l’histoire jusqu’au 3 novembre, dans le cadre de l’exposition Fragments d’humanité – Archéologie du Québec.

Pierre Desrosiers est conservateur, Archéologie centrale, au Musée canadien de l’histoire.