Un mystère d’une Sadlermiut enfin résolu

Éliane Laberge

En 1954, à Native Point, sur l’île de Southampton, dans ce qui est aujourd’hui le Nunavut, un archéologue de la Smithsonian Institution exhume un squelette de femme partiellement à découvert qui montre les signes d’un grave traumatisme crânien. Cette femme était issue des Sadlermiuts, un groupe inuit très isolé. Les Sadlermiuts ont été décimés par une maladie infectieuse transmise par l’équipage d’une baleinière au cours de l’hiver 1902. Cette année-là, à Native Point, personne n’a survécu à l’hiver.

À l’origine, on avait indiqué que le traumatisme crânien avait été causé par des balles. Toutefois, l’idée de recourir à la technologie 3D est apparue lorsque le Musée préparait le rapatriement des restes de la femme sadlermiut au Nunavut. « Nous avons remarqué que les dommages au crâne ne correspondaient pas à ceux de balles, explique Karen Ryan, conservatrice, Nord du Canada, au Musée de l’histoire. Nous suspections une attaque d’animal. Il nous fallait un moyen de le confirmer qui nous permettrait de traiter la dépouille avec respect, de façon à réduire au minimum la manipulation des restes fragiles. »

Une solution virtuelle

L’équipe du Musée chargée de percer le mystère de la femme sadlermiut a d’abord consigné des notes sur les blessures. Elle a ensuite conçu un modèle numérique, tridimensionnel, du crâne, qu’elle a envoyé à des collègues de l’Idaho Virtualization Laboratory. Ceux-ci l’ont à leur tour importé dans un environnement virtuel peuplé d’images d’animaux du Nord. Ces images sont tirées d’un répertoire en ligne de modèles tridimensionnels à haute résolution de 169 mammifères nordiques – le Virtual Zooarchaeology of the Arctic Project.

L’étape suivante a consisté à comparer les dommages au crâne humain virtuel avec ceux que laisseraient les mâchoires de quatre prédateurs, le loup arctique, l’ours noir, le grizzli et l’ours polaire. La modélisation numérique peut mettre en relief des détails autrement négligés ou restés inobservables en raison des techniques conventionnelles employées, mais jamais on ne l’avait utilisée pour sonder un traumatisme du squelette. En plus de faire correspondre les dommages au crâne avec les morsures d’un animal dans cet environnement numérique, l’équipe du laboratoire a travaillé de concert avec les chercheurs du Musée à la reconstitution de la scène de l’attaque sans doute à l’origine des blessures fatales.

La technique numérique révolutionnaire à laquelle a recouru l’équipe a incriminé le plus redoutable des quatre prédateurs : l’ours polaire.

« À notre connaissance, c’est la première fois que des archéologues utilisaient un environnement tridimensionnel virtuel pour identifier un prédateur à partir de restes humains. Cela nous a permis de compléter notre analyse en tout respect, mais avec une grande précision », observe Karen Ryan, également l’auteure principale de l’étude.

Image : Reconstitution de l’attaque; image de synthèse créée par Nicholas Clement, de l’Idaho Virtualization Laboratory au Idaho Museum of Natural History.

Image : Reconstitution de l’attaque; image de synthèse créée par Nicholas Clement, de l’Idaho Virtualization Laboratory au Idaho Museum of Natural History.

De retour au pays

La découverte a suscité des sentiments partagés au sein de l’équipe. « La découverte scientifique nous emballait, conclut Karen Ryan. Cette rencontre de différents experts pour atteindre des résultats impossibles à obtenir uniquement au moyen de procédés conventionnels était fascinante. Cependant, il y avait aussi de la tristesse à cause des circonstances de la mort de cette femme. »

La femme sadlermiut retournera tôt ou tard là où elle a vécu, puisque le Musée canadien de l’histoire prend les dispositions nécessaires avec le Nunavut pour rapatrier ses restes.

Outre Karen Ryan, l’équipe de projet comprenait deux conservateurs du Musée, Matthew Betts et Janet Young, ainsi que Megan Gardiner et Vanessa Oliver-Lloyd, des anthropologues physiques. L’analyse virtuelle a été menée par Nicholas Clement et Robert Schlader, de l’Idaho Virtualization Laboratory. L’équipe a publié un article sur son projet dans Arctic, une importante revue scientifique publiée par l’Institut arctique de l’Amérique du Nord.