Un récit de la diversité auquel a contribué l’équipe de conservation

Éliane Laberge

L’une des sections de la galerie 3 de la salle de l’Histoire canadienne est consacrée à l’histoire de la diversité et des droits de la personne au Canada. Pour raconter cette histoire, l’équipe qui a travaillé à l’exposition a souhaité mettre en lumière les sentiments identitaires multiples qui peuvent s’exprimer à l’intérieur d’un pays ou être ressentis par un individu.

Comme l’explique le conservateur James Trepanier, « une personne porte en elle plusieurs couches identitaires à la fois ». Pour illustrer cette idée, le Musée a décidé d’ajouter une installation d’art moderne créée par Laila Binbrek, une artiste d’origine yéménite née à Kitchener, en Ontario, qui a habité en Arabie saoudite, en Égypte, en Angleterre et au Canada avant de s’installer aux Émirats arabes unis. En 2001, le Musée avait commandé cette œuvre de Binbrek dans le cadre de son exposition Ces pays qui m’habitent : Expressions d’artistes canadiens d’origine arabe.

L’œuvre de Binbrek, Miroir, miroir, est composée de deux coiffeuses sur lesquelles sont disposés des objets qui reflètent la façon dont s’expriment les différentes facettes de son identité, notamment sa foi. Parmi ces objets se trouvent un voile, des produits cosmétiques, des magazines, des pantoufles, des bougies, des friandises et des bijoux. L’artiste a disposé les coiffeuses l’une en face de l’autre, les liant au centre par un cadre de miroir laissé délibérément vide pour attirer l’attention sur la circulation entre les multiples facettes de son identité. L’œuvre illustre la quête d’équilibre de l’artiste en ce qui concerne ses sentiments identitaires, ce qui se reflète notamment dans la manière qu’elle choisit, quotidiennement, de se présenter au monde.

L'installation d’art moderne de Laila Binbrek qui est exposée dans la salle de l'Histoire canadienne. Photo : Musée canadien de l'histoire.

L’installation d’art moderne de Laila Binbrek exposée dans la salle de l’Histoire canadienne. Photo : Musée canadien de l’histoire.

Trepanier souhaitait réutiliser cette œuvre dans la galerie 3, car elle permet d’évoquer la nature complexe d’une identité. Or, lorsque la restauratrice d’objets Jennifer Ann Mills a procédé à l’évaluation de l’installation, elle a tout de suite remarqué un problème : de nombreux objets sur les coiffeuses montraient des signes de décomposition. Les contenants de produits cosmétiques, à titre d’exemple, étaient collants, ce qui est un signe que le plastique se détériorait. Le plastique en décomposition peut dégager des substances chimiques qui peuvent s’avérer nocives, tant pour les employés et les visiteurs du Musée que pour les objets avoisinants. D’autres produits cosmétiques, notamment un contenant de fard à joues, et des articles alimentaires, dont un tube de bonbons aux fraises provenant d’une confiserie de Bahreïn, étaient rongés par la moisissure. Les bouteilles de lotion et de savon pour le corps étaient quant à elles visiblement desséchées.

Mme Mills a dû tenir compte de deux choses importantes en abordant ce défi de conservation. Elle a premièrement dû s’assurer que les produits ne constituaient pas un risque pour les gens ou pour les autres objets de la collection. Elle a ensuite dû faire en sorte de demeurer fidèle à l’intention première de l’artiste, qui n’était certainement pas de présenter deux coiffeuses sur lesquelles se trouveraient des produits cosmétiques périmés.

Articles de remplacement utilisés pour l’œuvre de Laila Binbrek, Miroir, miroir. Photo : Musée canadien de l'histoire

Articles de remplacement utilisés pour l’œuvre de Laila Binbrek, Miroir, miroir. Photo : Musée canadien de l’histoire

Jennifer Ann Mills a pu procéder à un simple nettoyage des objets inorganiques, comme les bijoux, mais en ce qui concerne le plastique en décomposition ou les produits organiques, elle savait qu’elle devrait les remplacer. Pour ce faire, elle a travaillé en étroite collaboration avec Binbrek, lui envoyant des photos par courriel et la consultant longuement sur les articles de remplacement, et s’est assurée de ne négliger aucune étape du processus. Anneh Fletcher, spécialiste de l’information sur les collections, a aussi travaillé avec assiduité afin de trouver des articles de remplacement provenant, autant que possible, du même endroit que les originaux. L’équipe a commandé des boules d’encens, des cubes de musc et de la poudre de pétale de rose du Moyen-Orient. Il n’était toutefois pas toujours possible de retrouver l’équivalent exact. Pour les bonbons aux fraises de Bahreïn, par exemple, l’équipe a dû elle-même créer une réplique, conservant le contenant original, mais le remplissant de faux bonbons en carton.

Au fils des ans, plusieurs parmi nous ont déjà perdu un produit cosmétique, pour finalement le retrouver séché ou collé au fond d’un tiroir. Peut-être avez-vous même déjà reçu de vieux bonbons de la part de grands-parents bien intentionnés? Si dans ces cas nous pouvons simplement jeter l’objet aux poubelles, l’équipe de conservation du Musée avait quant à elle un travail beaucoup plus complexe à réaliser. Heureusement pour nous, cette tâche a été prise très au sérieux. Les artefacts originaux qui n’étaient plus propices à l’exposition ont été gardés dans des dépôts sous des conditions environnementales optimales pour assurer leur conservation à long terme.

Articles de remplacement utilisés pour l’œuvre de Laila Binbrek, Miroir, miroir. Photo : Musée canadien de l'histoire

Articles de remplacement utilisés pour l’œuvre de Laila Binbrek, Miroir, miroir. Photo : Musée canadien de l’histoire

La salle de l’Histoire canadienne raconte l’histoire de la diversité au Canada. Grâce à des œuvres comme Miroir, miroir, mais grâce aussi aux équipes qui s’affairent, en coulisses, à assurer leur préservation, elle peut livrer le récit de la diversité qui existe aussi en chacun et en chacune de nous.