Là où la mer et la terre se rencontrent

INTRODUCTION

par George F. MacDonald
Directeur exécutif
Musée canadien des civilisations

Au cours des dix ou vingt dernières années, le terme «remise en contexte» s'est glissé dans le jargon du monde des musées. La notion renvoie à l'idée de prendre des objets réels parmi ceux que collectionnent les musées et de les exposer dans un contexte plus vaste qui explicite plus clairement leur fonction historique et leur rapport avec d'autres objets. Dans cet ordre d'idée de remise en contexte, on s'est notamment servi de mannequins pour exposer des tenues complètes, de salles d'époque et de dioramas grandeur nature pour recréer des cadres historiques et culturels. Plus récemment, les chercheurs (et plus spécifiquement les archéologues) ont commencé à se servir d'ordinateurs et de logiciels de virtualisation pour mieux visualiser leur conception de l'apparence des sites historiques à l'époque où des bâtiments s'y dressaient. Le même intérêt s'est manifesté dans l'industrie du cinéma, qui a entrepris de se servir des mêmes moyens pour recréer des cadres historiques convaincants, qui incorporent souvent des images à l'apparence de photographies pour la mise en scène de drames.

L'œuvre de Bill Holm et de Gordon Miller s'inscrit dans cette même tendance, qui vise la reconstruction historique aux accents authentiques, mais elle est également empreinte d'un ton dramatique dans la représentation des personnes, des endroits et des événements du passé. Dans le cas de ces deux artistes, ce passé est celui des Amérindiens. L'œuvre tire son importance non seulement de la maîtrise artistique et de l'imagination des deux auteurs, mais aussi du degré de recherche poussée qu'ils intègrent à la création de cadres historiques. Cette exposition virtuelle est consacrée aux cultures traditionnelles des peuples de la côte du Nord-Ouest, principalement, mais non exclusivement, à l'époque où ces cultures ont été bouleversées après l'arrivée des Européens. Bill Holm et Gordon Miller sont issus de milieux différents, mais sont tous deux des artistes à l'apogée de leur art qui ont travaillé dans des musées.

Bill Holm s'est d'abord intéressé aux peuples autochtones des Plaines; son œuvre est largement constituée de scènes caractéristiques de ces cultures. Les années qu'il a passées au Burke Museum ont cimenté son intérêt et lui ont permis de perfectionner ses talents de plusieurs façons. Notamment, il a pu étudier de première main les artefacts autochtones qui font partie des collections du Burke et de bien d'autres musées de part le monde. Cette recherche lui a permis d'acquérir une compréhension intime des principes organisationnels qui sous-tendent l'art autochtone de la côte du Nord-Ouest. L'ouvrage dont il est l'auteur et dans lequel il explique les formes élémentaires et les fonctions de cet art est devenu une bible pour les spécialistes. Pendant ces mêmes années, il a compilé le plus important inventaire photographique du monde d'artefacts de la côte du Nord-Ouest, inventaire qui a récemment été offert sur vidéodisque par le musée Burke. Bill Holm a maîtrisé seul la création artistique et artisanale dans la tradition des peuples de la côte du Pacifique et il a fabriqué divers objets allant de bijoux à des mâts totémiques. Avec son épouse, Marty, qui partage sa passion, il a appris les techniques de confection de vêtements, de paniers et d'autres objets tissés. Son intérêt pour les cérémonies autochtones, en particulier celles des Kwakwaka'wakws, l'a amené à s'associer à des traditionalistes autochtones et à participer activement à des cérémonies qui se sont déroulées à Alert Bay, à Fort Rupert et dans d'autres villages.

Cette confluence de talent artistique, d'aptitudes artisanales et d'expertise en ethnologie a permis à Bill Holm de recréer des scènes réellement évocatrices des cultures autochtones traditionnelles. Son œuvre met l'accent sur des personnages en particulier et sur leur tenue et leurs effets décoratifs personnels. Il ne faut pas oublier de mentionner que Bill Holm est aussi un professeur d'art distingué. Bon nombre des artistes autochtones contemporains de talent ont été formés directement ou indirectement par Bill Holm.

L'œuvre de Gordon Miller est le fruit d'une confluence comparable d'intérêts et de talents. Il a lui aussi eu l'occasion de se familiariser étroitement avec la culture des peuples de la côte du Nord-Ouest du Pacifique par le biais de son travail comme concepteur principal au Vancouver Museum. À cette époque, il avait également accès aux collections exceptionnelles du Museum of Anthropology de l'université de la Colombie-Britannique, établissement pour lequel il a d'ailleurs exécuté de nombreuses commandes, notamment la création d'illustrations qui replacent les mâts totémiques dans leur cadre historique. En fait, ces «étiquettes illustrées» sont à l'origine d'une norme nouvelle dans les musées.

Gordon Miller est un grand adepte de la navigation et il a exploré à la voile une grande partie de la côte de la Colombie-Britannique. Cette connaissance intime du littoral, doublée de son amour de la nature, distinguent son œuvre. Contrairement à Bill Holm, qui s'intéresse particulièrement (mais non exclusivement) aux personnages, Gordon Miller met plutôt l'accent sur des paysages particuliers et souvent sur des événements précis. Sa passion pour la voile transparaît dans les nombreuses œuvres qu'il a créées et qui représentent des rencontres entre les Autochtones dans leurs canots et des Non-Autochtones dans les grands bâtiments à voilure des XVIIIe et XIXe siècles. L'œuvre de Bill Holm témoigne également d'un intérêt pour ce thème.

Alors que Bill Holm puise de ses vastes connaissances des artefacts autochtones pour inspirer son art, Gordon Miller fait bon emploi de photographies historiques des endroits qu'il représente, en plus de se rendre sur place pour s'imprégner de la géographie des lieux, de la couleur du ciel et de l'apparence des eaux. Il lui arrive régulièrement de camper «sur place» pendant plusieurs jours, comme il l'a fait par exemple à l'emplacement du village de Kiusta lorsqu'il faisait sa recherche pour exécuter une peinture que lui avait commandée le Musée canadien des civilisations, afin de faire des croquis de l'endroit sous divers angles et de coucher sur le papier diverses caractéristiques géographiques. Il s'intéresse tout particulièrement à la section de la côte qui était autrefois le territoire des Haïda, ainsi qu'aux villages qui s'y dressaient. Les années pendant lesquelles il a travaillé à la société de production anglaise CBC l'ont amené à envisager son œuvre créatrice un peu comme un scénario-maquette; autrement dit, il crée une série d'images lesquelles, considérées conjointement, racontent une histoire. Au moyen de ses croquis, de photographies d'archives et d'autres données historiques, il commence souvent par créer une maquette de la scène qu'il compte peindre, ce qui lui permet de la visualiser sous différents angles.

Ces deux artistes peignent tous deux des toiles (ainsi que des illustrations en noir et blanc) de «qualité muséale». Leurs œuvres se distinguent non seulement du point vue de la maîtrise technique et de la créativité, mais aussi parce qu'elles constituent des reconstitutions intelligentes et convaincantes d'un mode de vie qui a aujourd'hui presque complètement disparu et qui renaît de façon remarquable dans les toiles de Gordon Miller et de Bill Holm. Il n'est donc pas étonnant de les retrouver fréquemment dans des livres ou accrochées aux murs de musées comme le Musée canadien des civilisations.