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Histoire des Autochtones du Canada
Tome II (1 000 avant J.-C. à 500 après J.-C.)

Les Bouclériens récents de l'est (Sommaire, Chapitre 24)

Les Bouclériens récents de l'est ont occupé la toundra forestière et la forêt boréale dans l'est du Bouclier canadien depuis le Labrador jusque dans l'est du nord de l'Ontario où ils se confondent avec les Bouclériens récents de l'ouest (Laurelliens) avec qui ils étaient apparentés. Les cultures avoisinantes comprenaient les Paléoesquimaux moyens à faible distance dans l'est de la côte et sur la côte nord du golfe du Saint-Laurent mais plus distants dans les régions de la baie d'Hudson et du détroit d'Hudson, les Maritimiens récents de Gaspé et les GL-St-Laurentiens récents dans les basses terres du Saint-Laurent depuis la ville de Québec jusqu'en Ontario y compris la vallée de l'Outaouais. Le système inter-relié des rivières et des lacs qui drainaient les montagnes du Québec auraient fourni des facilités de communications pour se déplacer par eau vers et depuis le bassin du fleuve Saint-Laurent, la baie James et d'Hudson et la côte du Labrador. Il y avait peu de barrières physiques aux contacts culturels entre les bandes des Bouclériens récents de l'est et leurs voisins. Malheureusement, les sites des Bouclériens récents de l'est sont généralement représentés par de minces dépôts de déchets de débitage parsemés, contenant peu d'objets diagnostiques et survenant dans des dépôts qui sont désespérément mélangés avec des occupations plus anciennes ou plus récentes. Par exemple, dans le nord du Québec, les sites de la Période IV sont non seulement rares (Denton 1989 : Figure 2) mais souvent ne peuvent être datés ni par le radiocarbone ni par la typologie (Chevrier 1993 : 176). La situation dans le Labrador voisin est un peu différente car le contexte archéologique des échantillons de radiocarbone est meilleur mais le contenu des assemblages archéologiques qui leur sont associés est également limité (Fitzhugh 1972; Nagle 1978). Des sites plus grands et riches d'objets dans l'ouest du Bouclier canadien du Québec (Marois et Gauthier 1989) contiennent typiquement des débris culturels mélangés représentant des milliers d'années d'occupations saisonnières. En réponse aux petits échantillons et le contexte archéologique généralement inexistant qui permet l'identification des assemblages, la tentation compréhensible d'utiliser la distribution parsemée d'objets diagnostiques attribués aux GL-St-Laurentiens récents de la région pour reconstituer l'histoire culturelle a conduit à assigner une bonne partie des vestiges archéologiques de la Période IV et de la Période III, à ce qui est désigné ici comme le GL-St-Laurentien moyen et récent, particulièrement sur une bande de terre de 200 à 300 km qui s'étendait du lac Saint-Jean au lac Abitibi et, en direction sud, jusqu'au fleuve Saint-Laurent et la rivière des Outaouais (e.g. Côté 1993; Langevin et al. 1995). Alors qu'il est indubitable que la marge méridionale du Bouclier canadien a constitué une zone majeure d'interaction culturelle entre les Bouclériens récents de l'est et les GL-St-Laurentiens récents, un éparpillement d'objets "diagnostiques" provenant du sud ne constitue pas une base adéquate pour reconstituer l'histoire culturelle. Quand on prend d'autres facteurs en considération, à savoir les caractéristiques qualitatives et quantitatives de tout l'outillage et l'enregistrement des modes d'établissement, il ressort que des différences significatives, quoique nébuleuses en raison d'une longue histoire d'interaction et d'échange, existaient entre les voisins de ces deux cultures. L'état rudimentaire de la classification des outillages, due partiellement à l'incapacité d'isoler les sites à couche unique, a empiré le processus comparatif. Une autre complication correspond à l'apparition, durant la Période IV, de nouvelles techniques représentées par l'arc et de la flèche qui se sont propagés vers l'ouest depuis la côte orientale, et la diffusion vers le nord de vases en céramique façonnés par les GL-St-Laurentiens.


Cadre du gîte
Canot

La visibilité archéologique dans le Bouclier canadien

Alors que les habitations hivernales étaient probablement plus imposantes, les habitations estivales susceptibles d'être trouvées dans des sites fouillés par des archéologues comportaient vraisemblablement une structure fragile qui ne laissait que peu de traces. Le cadre du gîte illustré ci-dessus aurait été autrefois recouvert d'écorce de bouleau cousues qui auraient été enroulées et emportées pour un usage ultérieur dans un autre camp ne laissant sur place que les perches du cadre de l'abri. Un tel cadre de perches ne laisserait vraisemblablement pas un enregistrement clair de son ancienne présence. Le canot en écorce en dessous était essentiel aux voyages et au transport des gens et des biens pendant les saisons chaudes. L'enregistrement archéologique des habitations est limité et nul quant aux canots. On veut souligner ici que les moyens techniques élaborés qui assuraient la survie des gens dans le subarctique du Bouclier canadien faisaient appel, en grande partie, au bois, à l'écorce et aux peaux, matériaux qui ne survivent guère au passage du temps.

(Reproduction de Wright 1976 : Planches 18 et 16)


Tel qu'esquissé dans le Tome I, les Bouclériens moyens, ancêtres des Bouclériens récents de l'est, se propagèrent vers l'est où se trouvaient des territoires nouvellement disponibles soit en raison de leur régénération suite à la glaciation et à sa masse biotique défavorable soit en raison de leur abandon de la part des occupants antérieurs, les Maritimiens moyens. Une grande partie du Québec et du Labrador ne semble pas avoir été occupée par les Bouclériens moyens avant environ 2 000 ans avant J.-C., moment où les établissements sont devenus progressivement plus récents au nord et à l'est. C'est cette base culturelle qui constitua la racine des Bouclériens récents de l'est dans la plus grande partie du Québec au nord du fleuve Saint-Laurent et des parties du Labrador. Ils ont maintenu leurs rondes saisonnières; quelques bandes, en raison de leur localisation, exploitèrent les ressources côtières de façon saisonnière alors que d'autres bandes ont subsisté principalement du caribou de l'intérieur, de l'orignal, de petit gibier et, en particulier, du poisson.

Les Bouclériens récents de l'est et les Bouclériens récents de l'ouest émergèrent tous des Bouclériens moyens de la Période III (4 000 à 1 000 avant J.-C.). La technologie constitue pratiquement le critère pour distinguer ces deux groupes culturels étroitement apparentés car leur mode d'établissement et leurs activités de subsistance étaient très similaires, sinon identiques, dans la plupart des cas. Les Bouclériens récents de l'est ont retenu les anciennes traditions de la pierre taillée de leurs prédécesseurs alors les Bouclériens récents de l'ouest poursuivirent le développement des Bouclériens moyens dans l'ouest, développement qui impliquait l'abandon de l'usage des dépôts massifs siliceux, tels que le quartzite and la rhyolite, dont l'industrie comportait de larges outils bifaciaux et unifaciaux, en faveur des nodules de chert des basses terres de la baie d'Hudson dont l'industrie comportait le façonnage d'outils comparativement plus petits. Alors que les deux groupes culturels firent un usage extensif des veines locales de quartz comme des blocs et des éclats pour couper et gratter, la pratique semble avoir été plus générale dans l'est. En outre, les Bouclériens récents de l'est, ignorèrent, eux aussi, les vases en céramique comme articles importants de leur outillage contrairement à leurs parents de l'ouest (Thibault 1978). En fait, la poterie limitée dans les sites des Bouclériens récents de l'est peut simplement représenter l'œuvre des femmes qui, provenant des Bouclériens récents de l'ouest et des GL-St-Laurentiens récents, quittaient leur territoire d'origine dans l'ouest et le sud pour se joindre à la bande de leur mari au nord et à l'est. La présence de la poterie devient progressivement plus rare au fur et à mesure qu'on se déplace vers l'est et le nord, c'est-à-dire au fur et à mesure qu'on s'éloigne du territoire d'origine des cultures chez lesquelles, croit-on, elle représentait un important élément de la technologie (Moreau et al. 1991 : 59). Par exemple, alors que la poterie est généralisée chez les Bouclériens récents de l'ouest (Laurelliens) et les GL-St-Laurentiens récents (e.g. le complexe pointe-péninsulien) seulement 14 tessons de poterie pertinents proviennent de toute la région du lac Saint-Jean (Moreau 1995 : 106 et Table 1). Une telle situation a existé au lac Abitibi, chevauchant la frontière ontarienne et québécoise (Marois et Gauthier 1989; Ridley 1966). Ce modèle progressivement décroissant de la distribution des vases en poterie à l'est se maintient jusque dans la Période V (500 après J.-C. jusqu'à l'arrivée des Européens) où les Cris de l'est, les Montagnais (Naskapi), et les Attikamek du territoire des Bouclériens récents de l'est ignorèrent généralement le modelage de la poterie contrairement à leurs parents de l'ouest et du sud, les Cris de l'ouest, les Algonquins, les Ojibwa du sud et du nord, les Cris des bois de l'ouest, et les Sauteux récent de Winnipeg. Là où il y a de la poterie, elle est clairement reliée aux styles de l'ouest et était vraisemblablement le produit des femmes, issues des bandes de l'ouest, se joignaient à leur mari des bandes de l'est.

Les modes d'établissement et de subsistance demeurèrent inchangés depuis les périodes précédentes et, en fait, demeurèrent inchangés jusqu'à l'arrivée des Européens. Les sites tels que le site de Chicoutimi à la jonction des rivières Saguenay et Chicoutimi (Chapdelaine 1984) contenaient des débris d'occupation s'échelonnant sur plus de 3 000 ans et prenaient fin avec l'occupation historique des Montagnais. Malheureusement les dépôts culturels de ce site étaient désespérément mélangés. Tout comme d'autres grands sites, le site de Chicoutimi constituait un endroit privilégié où se réunissaient une bande ou, plus vraisemblablement, plusieurs bandes de façon saisonnière.

Les rapports des GL-St-Laurentiens récents (e.g. Pointe-Péninsule) et des Bouclériens récents de l'ouest (Laurelliens) avec quelques-unes des bandes des Bouclériens récents de l'est semblent sous-entendre que des femmes, membres des deux cultures, déménageaient dans le territoire des Bouclériens récents de l'est, véhiculant avec elles les connaissances de la fabrication des contenants et/ou de la poterie, pour habiter dans la communauté de leur mari. Quelques lames de haches simples polies et des outils tirés du chert d'Onondaga, dont la source géologique est à l'extrémité occidentale du lac Ontario, indiquent aussi des contacts avec le sud et l'ouest. De tels rapports rappelant ceux de la Période III représentent un établissement de longue durée d'un modèle de contacts culturels étroits. Sur une échelle plus réduite, dans le nord de l'intérieur du Québec, de petites quantités de quartzite de Ramah dans des sites du Bouclérien récent de l'est à des endroits comme le lac Caniapiscau (Denton et al. 1980 : 296) laissent croire à des échanges avec les Paléoesquimaux moyens qui vivaient sur la côte du Labrador où se trouve la source de cette pierre ou, encore, à de vraies expéditions de la part des gens de l'intérieur vers les carrières de Ramah situées sur la côte. Il est aussi possible qu'un peu de quartzite de Ramah ait été pillé de sites de l'intérieur abandonnés par des Maritimiens moyens. Contrairement à l'opinion de Tuck (1976 : 59), on ne croit pas que les Maritimiens moyens aient abandonné la côte-nord du golfe du Saint-Laurent et du Labrador avant la fin de la Période III et que des contacts importants aient pu avoir eu lieu avec les gens qui vivaient de l'autre côté du golfe où les descendants des Maritimiens moyens semblent s'être réfugiés depuis le nord. Il y a aussi témoignage d'une participation au complexe funéraire adénien. Sur la côte nord du golfe du Saint-Laurent à Mingan, l'érosion a mis au jour la sépulture d'une jeune fille dont le corps avait été enveloppé d'écorce, sépulture qui comportait un collier en perles de cuivre, des perles en coquillages, plusieurs grandes lames bifaciales et de l'ocre rouge. Des travaux subséquents sur le site ont détecté d'autres sépultures indiquant l'existence d'un cimetière. Il est révélateur de noter que de la poterie pointe-péninsulienne était présente dans ce site (Clermont 1990 : 12-14). Une découverte effectuée dans le centre de la côte du Labrador représente l'enregistrement le plus nordique d'une participation dans le complexe funéraire adénien. Au site Daniel Rattle, une cache comportant 10 grattoirs, une grande lame bifaciale à encoches baso-latérales, un affûtoir, une nodule de graphite non modifiée, et un caillou en quartz, a été trouvée à la surface de ce belvédère (Loring 1989 : 52). On présume que la cache représentait des offrandes placées à la surface d'une sépulture (couverte de rondins?) dont toute autre trace d'enregistrement a disparu sauf les outils en pierre. L'intérêt particulier de cette sépulture réside dans le fait que la grande lame bifaciale à encoches baso-latérales correspond à un article typique du complexe funéraire adénien alors que les grattoirs sont des outils typiques des Bouclériens récents de l'est. Tous les matériaux lithiques sont d'origine locale mais, contrairement aux grattoirs, le biface encoché ne porte aucune trace d'usage.


 
Tome ITome II

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