Une offrande de tabac

Le 4 juin 1613, lors de sa première visite dans la vallée de l'Outaouais, Samuel de Champlain inscrit la note suivante dans son journal :

"Nous passasmes un sault à une lieue de là, qui est large de demie lieue, & descend de 6. à 7. brasses de haut.  Il y a quantité de petites isles, qui ne sont que rochers aspres & difficiles, couverts de meschans petits bois.  L'eau tombe à un endroit de telle impetuosité sur un rocher, qu'il s'y est cavé par succession de temps un large & profond bassin : si bien que l'eau courant là dedans circulairement, & au milieu y faisant de gros boüillons, a fait que les Sauvages l'appellent asticou, qui veut dire chaudiere.  Ceste cheutte d'eau meine un tel bruit dans ce bassin, que l'on l'entend  de plus de deux lieues.  Les Sauvages passans par là, font une ceremonie que nous dirons en son lieu."

Moins de deux semaines plus tard, sur le voyage de retour, Champlain nous décrit la cérémonie:

"En continuant nostre chemin, nous parvinsmes au sault de la Chaudiere, où les Sauvages firent la ceremonie accoustumée, qui est telle.  Aprés avoir porté leurs canaux au bas du sault, ils s'assemblent en un lieu, où un d'entr'eux avec un plat de bois va faire la queste, & chacun d'eux met dans ce plat un morceau de petum.  La queste faite, le plat est mis au milieu de la troupe, & tous dancent à l'entour, en chantant à leur mode : puis un des Capitaines fait une harangue, remonstrant que dés long temps ils ont accoustumé de faire telle offrande, & que par ce moyen ils sont garentis de leurs ennemis : qu'autrement il leur arriveroit du malheur, ainsi que leur persuade le diable ; & vivent en ceste superstition, comme en plusieurs autres, comme nous avons dit ailleurs.  Cela fait, le harangueur prend le plat, & va jetter le petum au milieu de la chaudiere, & font un grand cry tous ensemble.  Ces pauvres gens sont si superstitieux, qu'ils ne croiroient pas faire bon voyage, s'ils n'avoient fait ceste ceremonie en ce lieu, d'autant que leurs ennemis les attendent à ce passage, n'osans pas aller plus avant à cause des mauvais chemins, & les surprennent là quelquefois."

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