Les mystéres archéologiques de la région d'Ottawa

Comparaison des deux articles

Depuis des années, les archéologues (Keatly et Desjardins 1991:14-17; Swayze 2002: 9-12), dont l'auteur de ces lignes, répètent l'affirmation de T.W.E. Sowter voulant qu'un cimetière ait été situé au nord-ouest de l'intersection des rues Bay et Wellington, à Ottawa. Il est aussi important de souligner que cette description correspond à l'emplacement des plaines LeBreton (voir la figure 3).

En dépit de ces assertions sans équivoque de Sowter concernant l'emplacement de l'Ossuaire d'Ottawa dont parle Van Cortlandt, les archéologues (Swayze communication personnelle, 2000) ressentaient aussi un certain malaise face à cette situation, car la description de l'endroit fournie par Van Cortlandt ne se conforme pas facilement à l'aspect physique des plaines LeBreton (voir le tableau 1). Pour faciliter l'acceptation de cette incongruité, on reconnaît toutefois que le rivage de la rivière des Outaouais, devant l'édifice de la Bibliothèque et des Archives du Canada, a été grandement affecté par les activités d'aménagement modernes qui ont très probablement modifié le paysage que Van Cortlandt a connu au milieu du XIXe siècle.

La découverte de l'article anonyme de 1843 portant sur le cimetière fouillé par Van Cortlandt, dans le Bytown Gazette, apporte des nouvelles données sur la localisation de l'emplacement de ce lieu de sépulture.  Il est donc approprié de revoir en détail les données contenues dans les deux articles afin d'en évaluer les similitudes et les différences.

L'examen détaillé des deux articles, résumé dans le tableau 1, suggère qu'ils ne s'accordent que sur un nombre limité d'éléments. Il y a des divergences importantes.  Nous devons donc entreprendre l'analyse de ces divergences puisqu'elles affectent de très près la crédibilité qui doit être accordée ou non à ces témoignages et qu'elles peuvent ainsi modifier notre compréhension des événements historiques qui se sont déroulés dans le voisinage des chutes Chaudière. 

Les deux articles s'entendent sur les circonstances entourant la découverte initiale de restes humains, par des ouvriers extrayant du sable destiné à la construction, mais seul l'article de 1853 nous indique que ce sable devait servir à la construction d'un pont pour traverser la rivière des Outaouais.  De plus, les deux textes indiquent la présence de restes squelettiques d'une vingtaine de personnes.  Cependant, l'article de 1843 (voir le tableau 1) pourrait présenter une certaine ambiguité sur ce point, car on suggère que les restes d'enfants (dont le nombre n'est pas fourni) s'ajouteraient à la vingtaine d'adultes.  On pourrait donc en conclure qu'il y avait plus que 20 individus.

Des autres points soulevés dans les articles, on peut noter une correspondance partielle pour 4 de ceux-ci et un manque complet de correspondance pour 7 autres.  Dans certains cas, les différences pourraient être ignorées, mais la plupart de ces divergences nous incitent à nous interroger sur l'identité de l'auteur de l'article de 1843.

The Chaudière Falls
Deux vues des chutes Chaudières (Asticou); l'image du haut fut prise en 1887 (collection de la Ottawa Field Naturalists' Club, Bibliothèque et Archives Canada, PA210786); la photo du bas, prise en 1999, est de Jean-Luc Pilon, du Musée canadien des civilisations.

Par exemple, lorsqu'il est question de l'état des dents des individus, les deux articles affirment qu'elles étaient en bonne condition.  Cependant, l'article de Van Cortlandt indique que les dents avaient été modifiées par l'usure.  On pourrait y voir là un détail qui n'enlève rien au fait qu'il n'y avait pas de caries dentaires.  De la même façon, en 1853, on souligne la présence du crâne de deux chiens tandis qu'en 1843 on n'indiqua pas le nombre de crânes.  Il est évident que ce nombre n'était pas important.  En 1843, on avance l'hypothèse que les défunts avaient péri suite à une épidémie de petite vérole.  On retrouve cette hypothèse en 1853, mais à ce moment-là, on n'écarte pas la possibilité que certains individus aient été tués lors d'un affrontement.

Ce dernier point entourant les causes des décès est encore plus curieux si l'on considère qu'en 1853 Van Cortlandt insistait sur le fait que rien ne laissait croire que ces individus « avaient été abattus par le tomahawk ». De la même façon, l'article de 1843 interprète les fractures d'un des crânes comme preuve de violence, mais l'auteur ne mentionne que la maladie comme cause de décès.

Il y a des éléments importants qui n'ont pas été soulevés dans l'article de 1843, même si ces traits peuvent sembler mériter une attention particulière.  Par exemple, on omet de mentionner la sépulture d'un individu située à l'écart de la fosse commune contenant la vingtaine de personnes.  Cet individu se démarque des autres en ayant une grande pierre placée sur sa poitrine, caractéristique qui aurait sûrement retenu l'attention de n'importe quel autre observateur.

En 1853, Van Cortlandt précise qu'à l'exception des crânes les autres éléments squelettiques « s'effritaient une fois exposés à l'air ». Ceci a dû bouleverser le fouilleur qui tentait de sauver ces témoignages d'anciens rites de sépulture.  Cependant, aucune mention n'en est faite en 1843.  De la même façon, en 1853, on apprend que les ossements étaient couverts d'ocre rouge, mais là encore, en 1843, on n'en fait pas mention.

D'autres divergences se rapportant à des éléments importants méritent d'être soulignées. Par exemple, en 1843, on nous apprend que la sépulture se trouvait sur un petit monticule. Cette caractéristique n'est pas un élément sans conséquence pour l'interprétation; pourtant, l'article de 1853 n'en parle pas.

Il va sans dire que la découverte des restes d'une vingtaine de personnes enterrées dans une fausse commune est un événement inusité, surtout s'ils sont désarticulés et entremêlés, et peut-être fracturés.  En effet, Van Cortlandt parle de l'état chaotique du contenu du lieu, mais encore une fois, l'article de 1843 reste muet sur ce point.

Deux points additionnels doivent être pris en considération avant d'aborder la question de l'emplacement du site.  Le premier est la mention du « Dr. V. Cortlandt » (sic) dans l'article de 1843.  Tel que mentionné ci-haut, cet article  n'est pas signé et cette référence à Van Cortlandt est à la troisième personne.  Ne serait-ce qu'une caractéristique du style de l'époque ? Peut-être.

Nous savons que Van Cortlandt était un amateur des sciences naturelles. Lorsque nous comparons l'inventaire des objets trouvés avec les restes humains (et ces listes se comparent bien), une différence importante ressort en ce qui à trait à la description de l'espèce de gourdin en pierre.  En 1843, on suppose que cet objet était en bois, mais qu'il se serait pétrifié depuis son inclusion dans la fausse commune.  En 1853, Van Cortlandt indique que cet objet est un morceau allongé de gneiss, que l'on « prévoyait » utiliser comme gourdin ou matraque.

En plus de toute la question de savoir si cette pièce avait pu être intentionnellement mise en forme ou ne représentait qu'une forme naturelle, il est étonnant de noter la différence de traitement quant à l'identification de la matière première. (Il va sans dire que nous ignorons quelle identification est juste !).

Nous pouvons finalement envisager la question de l'emplacement de ce site. Van Cortlandt ne nous fournit que des éléments physiques de l'endroit et une référence assez vague de la proximité, à savoir environ un demi-mile en aval des chutes Chaudières. L'article de 1843 est très clair à ce sujet: le site est derrière l'hôtel Bédard, à Hull. Cet endroit serait cependant entre 3/4 de mile et un mile des chutes (voir la figure 3). Quelles raisons auraient donc incité Van Cortlandt à omettre ce détail si important dans son reportage à la communauté scientifique en 1853 ? Qui plus est, comment pouvons-nous expliquer la grande divergence entre la distance proposée par Van Cortlandt et celle entre les chutes et l'hôtel Bédard, si le site était véritablement situé là ?

On remarque donc plusieurs éléments différents d'un article à l'autre. L'absence de certains détails ne peut être expliquée seulement par les contraintes imposées par l'espace disponible dans le journal. Ces caractéristiques possédaient un caractère sensationnaliste et on pourrait facilement concevoir leur inclusion dans une publication qui avait pour but d'attirer l'attention du lecteur autant que de l'informer.

Introduction | Le docteur Edward Van Cortlandt | Une comparaison des deux articles

Le fardeau de la preuve | Un appui en faveur de la thèse de Bédard's Landing

La certitude de T.W. Edwin Sowter | Autres considérations

L'article de la Bytown Gazette de 1843 | L'article de Van Cortlandt de 1853

Sources citées

Remerciements