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Une brève histoire des métiers d'art
Par Peter Weinrich, 1989

Point Le passé lointain
Point Le passé récent
Point Le XXe siècle au Canada
Point Le Prix d'Excellence en Artisanat Saidye Bronfman



Point Le passé lointain

Mystères, rites plus ou moins sacrés centrés sur un événement obscur, certaines techniques artisanales étaient jadis réservées à une élite bénie des dieux. Le travail de la forge était alors un art des ténèbres et l'affinage des minerais de la terre exigeait une mystérieuse transmutation. Autour de ces arts antiques, des mythes se sont créés dans de nombreux pays.

Les premières civilisations distinguent déjà nettement les objets utilitaires — vases et amphores en argile, paniers, coffres — et les objets de luxe et d'apparat destinés aux palais et aux temples — couronnes, reliquaires ou châsses. Aujourd'hui, cette distinction reste bien vivante. Les monarchies et les religions ont beau avoir perdu une partie de leur influence, le luxe est loin d'être mort. Nous regrettons peut-être l'éclat des pompes et des cérémonies publiques et privées de jadis, mais il nous reste les chaînes du maire, la masse d'armes et les médailles. De nos jours, le luxe prend souvent la fonne de «l'objet d'art», c'est-à-dire de l'œuvre unique à fonction purement esthétique.

Dans la plupart des sociétés, les gestes de l'artisan étaient normalement enseignés à des apprentis ou simplement transmis de père en fils, de mère en fille. La fabrication des objets de culte et de cérémonie était le plus souvent l'apanage de familles ou de clans très fermés — les embryons de célèbres guildes du Moyen Âge. Constituées dans les bourgs à une époque où l'air de la ville libérait du servage des campagnes, les guildes allaient voir peu à peu des artisans indépendants d'esprit se soustraire à leur emprise. Celles qui survécurent à l'exode, repliées sur elles-mêmes, se retrouvèrent dans une situation marginale. La révolution industrielle devait leur porter un coup fatal : elles se transformèrent en syndicats ouvriers ou tombèrent dans le pittoresque des processions, des costumes d'époque et des dîners annuels. L'artisanat traditionnel, ou ce qu'il en restait, survivait tant bien que mal dans l'industrie à domicile quand il ne s'était pas mis au service de la machine — façonnage de roues dentées, de nouveaux outils ou de moules compliqués. Il fallut les révoltes de Ruskin et de Morris, du Jugenstil et de la Sécession viennoise pour que le tableau commence à changer.

Les objets de culte et de cérémonie mis à part, ce que nous appelons aujourd'hui métiers d'art désignait alors essentiellement des objets de tous les jours agréables à regarder et à utiliser, et dont le rôle n'était pas simplement utilitaire. Pour reprendre les mots de David Pye, il y avait eu dans leur fabrication une part de «travail inutile», c'est-à-dire sans finalité fonctionnelle — polissage et décorations de toutes sortes, par exemple. Bijoux, tatouages, marques décoratives ou bleu de guède ont ainsi paré le corps humain depuis les temps les plus reculés. Hélas, la mode du style victorien surchargea chaque objet d'une profusion d'arabesques, de rubans, de bourgeons et de feuilles d'acanthe inspirés de tous les styles possibles et imaginables; ce délire ornemental donna mauvaise réputation aux arts décoratifs qui devinrent des arts surdécorés. Il n'empêche que les grands maîtres de jadis, ceux de la Renaissance entre autres, ne dédaignaient par la création de vêtements, décors, gobelets, tapisseries et arcs de triomphe. En fait, beaucoup d'entre-eux — Ghiberti, Verrocchio, Botticelli et Brunelleschi par exemple — avaient été formés dans des guildes d'orfèvres.



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Point Le passé récent

Les années soixante et le début des années soixante-dix marquent un tournant : l'artisanat retrouve sa popularité, et redevient même un métier. C'est l'époque du retour à la terre, des hippies, du rejet de tous les systèmes ... et de la fabrication d'innombrables chandelles et colliers de perles de verre. Tout ce côté un peu superficiel a maintenant disparu, mais le souci de simplicité délibérée reste bien vivant, et sera sans doute encore plus vif à l'avenir. L'accroissement des heures de loisir fait naître bien des vocations d'artistes. Et, comme nous le rappellent les pages qui suivent, un autodidacte tel William Hazzard peut acquérir un savoir-faire qui le hisse au rang des véritables maîtres-artisans.

Comme la plupart des arts, les métiers d'art se sont internationalisés. La rapidité des nouveaux moyens de communication permet de diffuser immédiatement dans le monde entier toutes les nouveautés. Malheureusement, cette diffusion se fait uniquement par l'image, dans un espace à deux dimensions où souvent l'échelle n'est guère respectée. Sur le marché, les magazines spécialisés se multiplient; beaucoup sont consacrés aux métiers d'art. Tous cherchent à stimuler l'intérêt du lecteur au moyen d'abondantes illustrations en couleurs, mais celles-ci, comme l'écran de télévision et l'image filmée, sont confinées dans l'espace bidimensionnel. Or, les produits de l'artisanat sont essentiellement tridimensionnels et tactiles, cette dernière qualité étant elle aussi à peu près impossible à rendre par l'image. Aussi, les amateurs dans les trois dimensions, s'ils obtiennent parfois de bons résultats, aboutissent-ils trop souvent à un échec.

Les objets sont montrés dans les magazines et les diaporamas; les techniques se disséminent. C'est ainsi que le batik ou le plangi (teinture à la ficelle), autrefois pratiqués dans certaines régions seulement, sont aujourd'hui omniprésents. Certains procédés de ferronnerie fort complexes ont eux aussi fait le tour du monde. On pense notamment au niello et au mokume. La courtepointe, longtemps associée à une occupation rurale laborieuse et répétitive, prend aujourd'hui les formes les plus originales. Au Canada, seules quelques techniques restent confinées dans des régions particulières. C'est notamment le cas de la fabrication des ceintures fléchées.

La tradition des guildes a conduit aux regroupements par corps de métier. En fait, d'après les archives, les premières associations canadiennes d'artisans ont vu le jour au XVIIe siècle. Il y eut tout d'abord la Confrérie des menuisiers de Madame Sainte-Anne (1658). Du temps de Fontenac, il y avait au moins dix guildes d'ébénistes au Québec.



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Point Le XXe siècle au Canada

En 1900, la section montréalaise de la Women's Art Association of Canada s'inquiète du dangereux déclin de l'artisanat traditionnel au Québec. Les femmes prennent immédiatement la tête du mouvement et le dominent pendant de nombreuses années, avec l'appui d'hommes — avocats, sénateurs et autres notables — qui jouent sutout un rôle symbolique. Beaucoup d'entre elles ont conservé des liens étroits avec le Royaume-Uni et William Morris est le maître à penser. Une exposition d'artisanat canadien est montrée en 1905 et 1910 — notamment à Londres, Dublin et Melbourne.

En 1904, la Women's Art Association est absorbée par ce qui devait devenir en 1906 la Corporation canadienne de l'artisanat et, plus tard la Guilde canadienne des métiers d'art. En 1910, la Guilde envoie un de ses membres en tournée de conférences dans l'Ouest canadien; cette initiative suscite la création immédiate de sections à Edmonton en 1911, Vancouver en 1912 et Winnipeg en 1903. En 1916, la Guilde s'implante à Charlottetown, où est publié le premier guide bilingue de teinturerie domestique.

Ainsi les métiers d'art commencent à revivre au Québec. La Guilde peut se tourner vers les Doukhobors, dont elle commence à commercialiser la production artisanale dès 1904. En 1907, c'est au tour des Autochtones et dans les années 1930 on expose des œuvres inuit au Musée McCord de Montréal. En 1933, la Guilde contribue à faire rejeter une proposition d'amendement de l'Acte sur les Indiens qui aurait empêché les Amérindiens de porter leurs vêtements traditionnels.

La Guilde fait aussi de la promotion. En 1906, elle publie une brochure sur l'artisanat canadien. Ce petit livre est vendu sur les paquebots du Saint-Laurent, et en 1931 le gouvernement de la Nouvelle-écosse se lance à son tour dans la vente d'objets d'artisanat, sur les navires de la Cunard faisant escale à Halifax. La Guilde crée des prix, notamment, en collaboration avec les architectes québécois, le prix du plus beau chalet d'été décoré selon les techniques artisanales canadiennes. En 1939, Ryerson Press tourne un film en couleurs sur la première grande foire d'artisanat de Montréal, à l'île Sainte-Hélène.

La Guilde fait donc œuvre de pionnière, mais elle n'est pas seule. D'autres associations autonomes voient le jour : Cape Breton Home Industries en 1927, Mount Allison Handicrafts en 1932, Charlotte County Cottage Crafs et north Lanark Weavers Guild en 1934, Victoria Island and Crafs Society en 1927, Regina Arts and Crafts Society en 1942, etc. Nombre d'entre elles ne sont plus aujourd'hui que vagues souvenirs. La Guilde quant à elle s'implante au Manitoba (où elle est toujours très active) et en Alberta en 1928, en Saskatchewan en 1929, à l'Île-du-Prince-édouard en 1933, au Québec en 1935 (où elle est également encore présente) et en Ontario en 1936.

La crise des années trente provoque un regain d'intérêt pour l'artisanat; les associations assurent à leurs membres une aide morale et pécuniaire et créent des programmes d'enseignement. La Searle Grain Company de Winnipeg entreprend de former des tisserand; protégé par l'université Saint-Fran&ccedi;ois-Xavier, le mouvement coopératif s'établit solidement dans les provinces maritimes; en Alberta, la Guilde fait des émissions de radio sur les métiers d'art. Et pendant la Deuxième Guerre mondiale les artisans doivent prêter leur concours aux programmes d'ergothérapie, comme ils l'ont déjà fait lors de la Grande Guerre.

Paradoxalement, la résurgence des métiers d'art dans les années soixante et soixante-dix n'empêche pas les associations traditionnelles de décliner ou de marquer le pas. En quelques années, le plus clair des progrès accomplis est aboli; il faudra de très longues années pour rétablir les programmes. Ainsi, en 1938, le Comité d'artisans de Percé met sur pied une clinique dentaire pour ses membres; on chercherait en vain aujourd'hui l'équivalent d'un tel service, malgré la création, depuis une quinzaine d'années, de nombreuses associations provinciales et spécialisées faisant appel à des moyens nouveaux et novateurs pour servir les artisans.



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Point Le Prix d'Excellence en Artisanat Saidye Bronfman

En 1977, la Fondation de la Famille Samuel et Saidye Bronfman annonce la création d'un prix annuel destiné aux maîtres-artisans du Canada, à l'occasion du quatre-vingtième anniversaire de Mme Saidye Bronfman. Peter Swann, directeur exécutif de la Fondation et passionné de très longue date des métiers d'art canadiens, joue un rôle crucial dans l'instauration du Prix.

L'administration du Prix est d'emblée confiée à l'organisme qui a succédé à la Guilde canadienne des métiers d'art et à l'Association des artisans du Canada : le Conseil canadien des métiers d'art.

Le comité de sélection comprend cinq personnes : le président du Conseil, un ancien lauréat, un administrateur ou membre du Conseil, plus deux personnes de l'extérieur. Le lauréat est choisi après examen des diapositives de son travail — la méthode la plus pratique dans un pays aussi vaste que le nôtre. Idéalement, il faudrait que les membres du comité puissent voir — et toucher — les objets d'artisanat, créations essentiellement visuelles et tactiles. Mais les dépenses à engager dans ce cas, pour permettre au jury de voyager dans tout le pays, ou encore pour regrouper les —uvres en un seul endroit, en admettant que cela soit possible, seraient hors de toute proportion.

Les candidats sont jugés d'abord sur l'excellence de leur travail de tous les points de vue, notamment : esthétique, créativité, innovation et maîtrise technique. On tient également compte de leur contribution au développement des métiers d'art au pays pendant un certain nombre d'années consécutives. Le Prix, aujourd'hui de 20 000 dollars, est un des plus généreux et des plus importants actuellement décernés à l'échelle du Canada.

Lors de sa création en 1977, le Prix devait être remis pendant dix années consécutives, mais la Fondation a généreusement consenti à l'accorder pendant dix années supplémentaires. Les pages qui suivent et les œuvres acquises pour l'exposition témoignent de l'initiative fructueuse de la famille Bronfman et de l'immense talent des lauréats.


Pour l'information courante sur le prix, cliquez sur Prix Saidye-Bronfman.




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