Courrier du ciel : Le service postal aérien de l'époque héroïque, 1918-1939

La poste aérienne et le village postal

La Première Guerre mondiale projette l'aviation au premier plan de la technologie du transport. Mis à part un vol entre Allahabad et Naini, en Inde, en 1911, et quelques autres exemples, les premiers vols postaux enregistrés font partie intégrante des efforts de guerre de part et d'autre des tranchées. C'est pendant la période suivant immédiatement la guerre que la poste aérienne apprend à «voler de ses propres ailes».

La caractéristique géographique fondamentale de la poste aérienne tient à la fois à son respect et à sa violation des frontières nationales. Le service de poste aérienne cherche à accélérer la communication postale à l'intérieur d'un pays et, invariablement, les liaisons englobent la capitale de ce pays. Le printemps de 1919 marque l'inauguration des routes aéropostales reliant Berlin à Hambourg et Berlin à Francfort, en Allemagne. En 1918, Washington, D.C. devient le terminal sud du premier service postal aérien américain assurant la liaison entre Philadelphie et New York. Dix ans plus tard, Mexico est relié à Tampico et à Tuxpan via un service postal aérien régulier qui assure aussi le transport du courrier.

Tout comme sa contribution à l'intégration de l'espace aérien national, l'éclosion de la poste aérienne favorise aussi le rayonnement des routes aériennes et des points de contact internationaux. Une liaison postale aérienne relie Londres et Paris en août 1919. En septembre, la liaison est assurée de façon quotidienne en raison d'une grève des chemins de fer britanniques. Le premier système de poste aérienne de l'Espagne remonte à 1921, et assure la liaison entre Séville et Larache, une ville située dans la colonie du Maroc espagnol. La même année, les Forces royales aériennes du Royaume-Uni (RAF) établissent un service postal aérien entre le Caire et Bagdad, assurant ainsi la communication entre deux territoires qui font partie, indirectement, de l'empire britannique. Ce tronçon désertique se compose d'un réseau de terrains d'atterrissage de secours portant en leur épicentre d'énormes cercles peints et d'une série de dépôts de ravitaillement en plus d'un repère artificiel, curieux mais efficace, s'étendant sur à peu près la moitié du tronçon de 1 300 kilomètres. Ce repère consiste en une double voie tracée par des voitures que vient parfois compléter une autre voie tracée par une charrue. On oblige les véhicules militaires et civils à emprunter cette voie pour empêcher que le vent et la pluie ne la fasse dévier. Les RAF exploitent le réseau jusqu'à sa prise en charge par Imperial Airways en 1926.

La France aussi s'emploie à mettre en place un réseau de poste aérienne dans ses colonies africaines. En 1919, une petite entreprise menée par Pierre-Georges Latécoère décroche un contrat du gouvernement français pour transporter par avion le courrier de Toulouse, dans le sud de la France, à Rabat, au Maroc. La route se prolonge jusqu'à Casablanca en 1920, puis, au sud, aussi loin que Dakar, au Sénégal, cinq ans plus tard. On fraye ainsi la voie à un ambitieux projet devant lier le flux de courrier de l'Europe occidentale à celui de l'Amérique du Sud via le point le plus à l'ouest de l'Afrique du Nord, qui est, en fait, une colonie française.

En 1927, les Lignes aériennes Latécoère (LAL) sont cédées à Marcel Bouilloux-Lafont, homme d'affaires français propriétaire d'importants investissements en Amérique du Sud. L'Aéropostale, successeur des LAL, est dirigée par Didier Daurat, homme de discipline et d'esprit de corps inégalés. La compagnie ou «la Ligne» comme on l'appelait parfois, établit des succursales sur l'ensemble du territoire sud-américain, explore et introduit des routes de Rio à Buenos Aires, des Andes à Santiago, et sur toute l'étendue de la côte reculée de la Patagonie. Les pilotes doivent redoubler de prudence pour se frayer un chemin à travers la deuxième plus haute chaîne de montagnes du monde et doivent composer avec l'apparition de cyclones soudains et invisibles capables de produire des rafales faisant perdre tout contrôle de l'appareil. Les pilotes commencent à voler la nuit. Dans Vol de nuit, Antoine de Saint-Exupéry trace un portrait saisissant de l'expérience du pilote solitaire dans la nuit à bord d'un avion de service postal aérien. Sans doute l'exploit le plus spectaculaire de l'Aéropostale est le vol sans escale de Jean Mermoz traversant l'Atlantique Sud à bord d'un Latécoère 28, du Sénégal au Brésil, en 1930. Il transporte 120 kilogrammes de courrier.

On assiste à un véritable foisonnement des routes aériennes entre 1919 et 1939 sur l'ensemble du globe. Quarante ans avant la venue du village planétaire, le monde se transforme rapidement en un village postal intégré. À vrai dire, le volume de courrier acheminé par voie aérienne fera ressortir le besoin d'un certain ordre dans l'échiquier postal aérien international. Dans les années 1920 et 1930, l'Union postale universelle organise six conférences pour se pencher, entre autres, sur le réseau croissant de services de poste aérienne. Pendant que se réunissent les administrations postales de tous les coins du monde dans un esprit de coopération, la concurrence entre les diverses compagnies aériennes nationales pour le service international de transport du courrier s'intensifie.

La compagnie allemande Lufthansa talonne l'Aéropostale de France dans ses efforts de mainmise sur les services de poste aérienne de l'Amérique du Sud. Pour transporter le courrier à travers l'Atlantique Sud, on utilise des avions à flotteurs que l'on exploite en tandem avec des navires ravitailleurs, des avions à catapulte et des dirigeables. Les Allemands tout comme les Français et les Soviétiques se tournent vers la Chine et l'Orient.

En Extrême-Orient, la compagnie néerlandaise KLM fait déjà concurrence à Imperial Airways de Grande-Bretagne. Le service bimensuel de transport de passagers et de courrier aux Indes orientales (ou Indes néerlandaises) est introduit en 1929. La même année, Imperial Airways étend la ligne postale britannique à l'Inde via Basra dans le golfe Persique. En 1931, Imperial assure le service en Afrique du Sud, et en 1934, à Singapour, puis à Hong Kong et à l'Australie avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.


D'Amérique, le courrier à destination de l'Orient est transporté par la compagnie américaine Pan American Airways (Pan Am) qui obtient, en 1935, le contrat de service postal aérien de la route San Francisco-Chine. Pan Am avait déjà des activités en Amérique du Sud, dans les Caraïbes et au Mexique. Dans le nord, la compagnie s'était vue accorder le contrat de service de poste aérienne de l'Alaska en 1938. L'année suivante, elle se lançait dans le transport de passagers et d'envois postaux depuis New York à travers l'Atlantique. Dans l'histoire de l'aviation, toutefois, la route du Pacifique remporte la palme des exploits. Le contrat de la Chine est accordé la même année qu'Amelia Earhart entreprend son vol en solo de Honolulu à Oakland, en Californie. Traverser le Pacifique en avion à cette époque n'était pas de tout repos comme en témoigne la disparition de cette aviatrice deux ans plus tard, en 1937. La route transpacifique se résume à des escales insulaires, y compris Honolulu, Midway, Wake, Guam et, enfin, Manille aux Philippines. Le tarif était élevé : aux dires d'un historien, il représentait l'équivalent de six mois de salaire du travailleur américain moyen 1.

Le succès de Pan Am découlait d'une politique délibérée de la part du gouvernement américain visant à favoriser l'éclosion de l'industrie de la poste aérienne. La stratégie consistait à impartir les contrats de service postal aérien à un nombre réduit de transporteurs aériens afin de favoriser la création de compagnies plus solides dans le domaine de l'aviation. Pratiquée en 1926 et 1929, la stratégie faillit se retourner contre le gouvernement en 1934 lorsque les contrats de service postal aérien de toutes les compagnies privées furent annulés en raison d'agitation politique et confiés à l'Aviation légère de l'Armée de terre américaine. Le service temporaire de l'armée rappelait les premiers temps du service de poste aérienne américain en 1918, lorsque le service au complet était assuré grâce aux pilotes et aux aéronefs de l'armée.

À la fin des années 1920 et 1930, l'espace aérien de l'Amérique du Nord est de plus en plus le monopole d'un nombre restreint de transporteurs aériens des États-Unis. L'inévitable expansion territoriale des États-Unis se jouait dans l'air. Le ciel canadien s'étendait sur plusieurs centaines de kilomètres au nord comme un immense horizon à exploiter. En d'autres mots, en 1928, les Américains frappaient à notre porte. Voilà qu'un autre rappel cuisant venait confirmer qu'une nation moderne ne pouvait rester à l'écart des progrès de la poste aérienne pendant qu'elle continuait de tisser sa toile autour du globe.

1 R.E.G. Davies. Fallacies and Fantasies of Air Transport History, McLean, Californie, Paladwr Press, 1994, p. 89. Toutes ces îles appartenaient aux États-Unis à l'époque de sorte que les droits d'atterrissage sauf pour la Chine, ne posaient pas de problème.

La poste aérienne et le village postal | Le service postal aérien au Canada : des premiers pas tardifs | Une période d'essai | Bâtir le système région par région | La livraison des biens | Le pilote de brousse | Crédits