Je voulais explorer le monde. C'était l'âge
idéal pour partir. Couper un peu les ponts avec les parents. Aller
chercher sa destinée... On y croit beaucoup chez nous. Quand les enfants
disent « je veux aller voir », on les laisse
explorer. Mais on
m'a dit aussi : « tu sais ce que tu quittes, mais tu ne
sais
pas où tu vas. Si tu te trompes, tu peux toujours revenir. »
Cela m'a beaucoup aidée. C'est ce que je répète à
mes enfants aujourd'hui. C'était en 1971.
Ma vie d'adolescente s'est terminée ici. Ma vie de femme,
je l'ai faite ici. Ma vie de mère, c'est ici. Mon chez-moi, c'est le
Québec. Un jour, j'ai posé la question à mon fils :
« Chez toi, c'est où ? » Il m'a
répondu :
« Tu as toujours dit : là où on attache la
chèvre, c'est là où elle broute. Mon chez-moi, c'est ici. »
Propos recueillis lors d'une entrevue.
Élisabeth Houndegla est née à Cotonou, au Bénin.
C'est à l'école secondaire que naît chez elle le
désir de quitter son pays. « Je rêvais de voir la
neige. J'ai dit à ma mère : j'aimerais partir un jour. Tu
veux aller en France chez ta tante ? Non. Je veux aller au Québec,
au Canada. Elle est tombée des nues. Où as-tu entendu parler de
ce pays ? Ben. dans le cours d'histoire et de géographie ! »
Lors d'une fête, un membre de sa famille lui annonce
qu'une des amies de sa tante part au Canada. Élisabeth veut suivre son
exemple et sa mère donne son accord. À 14 ans, Élisabeth
découvre Montréal.

D'abord hébergée chez l'amie de sa tante, elle trouve ensuite
une « famille d'adoption ».
« Le fait de vivre dans une famille québécoise m'a
beaucoup aidée à comprendre la société, les gens.
Parfois, j'oublie que je suis Noire. » Elisabeth
décide d'étudier la couture. La directrice de son école
semble sceptique quant à ses chances de réussite, mais Elisabeth
ne tarde pas à faire ses preuves : « La directrice
a dit :" d'abord, elle est trop jeune et elle n'a pas les
études qu'il faut. On va l'accepter pour trois ou six mois. Si elle ne
fait pas l'affaire, on va la renvoyer." Et c'est ainsi que j'ai
décroché le diplôme professionnel en haute couture ! »
Après l'obtention de son diplôme, elle
retourne au Bénin mais très vite, le Québec lui manque.
« C'est bizarre, pour une Africaine, de rentrer chez elle au
Canada ! », dit-elle. De retour à
Montréal, elle ouvre un atelier à Outremont où, pendant
23 ans, elle confectionnera robes de bal et robes de mariées. À
40 ans, considérant son travail trop prenant - « la
haute couture, c'est presque 24 heures sur 24. C'était la pression,
c'était trop ! » -, Elisabeth décide de
transmettre sa passion. À Halte la Ressource, un organisme qui forme les
femmes immigrantes en couture, elle donne de nouvelles couleurs à sa vie
professionnelle. « Avant, je ne faisais affaire qu'avec des
femmes de la "haute société". Ici, j'ai fait face
à la réalité de Montréal. La vraie vie, les
problèmes que les femmes rencontrent. Elles sont
désarmées, sans travail. On essaie de leur offrir une
intégration socioprofessionnelle. » Car ce qui
l'intéresse davantage aujourd'hui, c'est « la profondeur
de l'âme des gens, et non l'argent, l'argent. Le salaire, on en a besoin
pour payer les factures, mais ce que je fais ici n'a pas de prix. Quand on aide
une mère, ce n'est pas seulement elle que l'on aide, mais tous ceux qui
l'entourent : les enfants, le mari... C'est un travail qui vaut son pesant
d'or. Cela a un sens. »
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