L'attrait de l'or : fraude ou auto-duperie?

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L'idée que le « minerai noir » rapporté par Frobisher en 1576 contenait peut-être des métaux précieux est la clé de l'histoire des expéditions dans l'Arctique. Différentes théories ont été avancées pour expliquer l'origine de cette fausse conviction, et la persistance dont elle a fait preuve.

Certains ont suggéré que la fraude avait été intentionnellement montée par une ou plusieurs des personnes impliquées dans le drame. Divers essayeurs ont effectué de nombreuses analyses des premiers échantillons. L'un d'eux, Jonas Schutz, parvint à maintes reprises à en extraire un peu d'or et maintint que les autres avaient échoué à cause du matériel inadéquat dont ils se servaient. On fit appel à Burchard Kranich pour obtenir une deuxième expertise, et lui aussi obtint des résultats prometteurs et affirma qu'une expédition minière sérieuse rapporterait assez de minerai riche pour compenser la dépense engagée. Les deux rivaux ne s'entendaient pas, et Schutz affirma que Kranich s'était servi de produits chimiques teintés avec de l'or. Ni l'un ni l'autre n'avait à gagner, à la longue, en faussant les résultats des analyses. Par contre, ils espéraient probablement, l'un et l'autre, asseoir leur réputation et leur richesse en étant nommé essayeur principal du projet - et si Kranich éclipsa provisoirement Schutz, ce fut pourtant ce dernier qui fut nommé à la tête de la fonderie de Dartford. S'ils étaient fermement convaincus que le minerai contenait de l'or, ils étaient peut-être prêts à fausser les résultats des analyses pour décrocher le contrat de traitement du minerai.

Frobisher et Lok non plus n'avaient pas grand-chose à retirer de leur participation intentionnelle à une fraude. Lok fut d'ailleurs trompé par Baptista Agnello - davantage un alchimiste que réellement un métallurgiste comme Schutz ou Kranich - qui affirmait lui aussi avoir extrait de l'or du minerai. Néanmoins, peu importe les soupçons qu'ils aient pu avoir au sujet des essais, il était dans l'intérêt de Lok et de Frobisher de ne pas s'élever contre les résultats prometteurs, puisque c'est de ces résultats que dépendait le financement des expéditions suivantes. On ignore à quel point Agnello et Kranich étaient convaincus de l'existence de l'or, car ils furent plus tard accusés de ne pas avoir réellement tenté d'effectuer la fusion du minerai qui leur avait été confié.

Il faut aussi dire qu'à cette époque, la science de l'analyse était loin d'être parfaite et même ses adeptes pouvaient se tromper. Il arrivait parfois que les produits chimiques employés au cours des analyses soient impurs et contiennent des petites quantités d'or et d'argent, ce qui donnait des résultats trompeurs. Certaines des premières analyses n'ont produit que des petites quantités de ces métaux - ce qui n'a pas empêché Schutz et Kranich de croire que le minerai en contenait davantage. Pourtant, les analyses modernes ont révélé que la majeure partie du minerai contenait « moins d'or que la moyenne de la croûte terrestre ». On ne peut non plus éliminer la possibilité que quelques échantillons de minerai - voire éventuellement le « minerai rouge » mentionné dans d'autres sources - aient en fait contenu des quantités importantes d'or, mais que l'extraction minière n'ait pas ciblé les sources de ces échantillons précis.

Essayeur Un essayeur au travail devant son four. Il remue le minerai fondu à l'aide d'un bâton.
 
Du livre de Georg Bauer (connu sous le nom Agricola) De re metallica, 1556
 

On peut aussi supposer que les riches membres de la cour élisabéthaine, ayant connaissance des métaux précieux que les Espagnols rapportaient des Amériques et désirant eux aussi accéder à ces richesses, aient simplement voulu croire. Le fait que la plupart des analyses effectuées par des essayeurs réputés ait révélé que le minerai était sans valeur pouvait simplement signifier que ceux-ci n'étaient pas parvenus aux mêmes résultats que ceux révélés par quelques analyses - effectuées celles-là par des hommes formés en Allemagne, chef de file en matière de métallurgie. Schutz continua de blâmer le matériel lorsque la fonderie de grande envergure de Dartford révéla des résultats encore plus décevants que les analyses limitées faites à Londres, mais il s'enfuit à l'étranger lorsqu'il devint évident que les bailleurs de fonds avaient perdu tout espoir que le minerai ait une valeur quelconque. Ces courtisans avaient de l'argent et étaient enclins à spéculer, dans l'espoir qu'une entreprise ou l'autre porte fruit. C'est leur soif d'or qui alimenta la volonté d'exploiter le minerai trouvé en Arctique.

Toutes ces circonstances ont pu jouer de concert pour inciter même les plus sceptiques à appuyer une deuxième expédition, tandis que la crainte de perdre l'investissement placé dans cette deuxième expédition (ainsi que les ambitions impérialistes de la reine Élisabeth et de ses conseillers) ont attisé la motivation à organiser la troisième (et la plus coûteuse) des expéditions. Tout ce qui brille n'est pas de l'or, mais l'idée de trouver de l'or était une illusion trop attirante pour que les Élisabéthains puissent y résister.



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