« Nous ne voulons pas plus d'argent, mais plus de cerveaux; non pas des serfs plus riches, mais des hommes meilleurs... »

n 1872, à Hamilton en Ontario, les cheminots et autres corps de métier créèrent la première grande organisation regroupant différents corps de métier. Les travailleurs formèrent en effet des ligues en faveur de la journée de travail de neuf heures dans tout le Sud de l'Ontario et jusqu'à Montréal, Sherbrooke et Québec, ce qui valut au mouvement le nom de « Ligue des neuf heures ». Ces ligues émanaient du désir des travailleurs de réduire de deux à trois heures la journée de travail de la plupart des salariés. Les membres des ligues affirmaient qu'une réduction des heures de travail améliorerait la qualité de vie des travailleurs. La société tout entière en bénéficierait, disaient les partisans de la journée de neuf heures, parce qu'un horaire moins chargé permettrait de consacrer plus de temps à l'apprentissage, à la famille et à la collectivité.

Devant le refus des employeurs d'accorder une réduction des heures de travail, la ligue des neuf heures planifia une série de grèves générales. Cette stratégie fut mise à l'essai à Hamilton en mai 1872, sans succès. La grève avait pourtant débuté sur une note impressionnante par le défilé de 1500 travailleurs dans les rues. Toutefois, face à la rigueur de l'opposition des employeurs, les grévistes retournèrent graduellement au travail, mettant ainsi fin à la grève. La ligue des neuf heures ne retrouva jamais son élan vital, quoique dans certaines villes, les ligues de neuf heures perdurèrent pendant encore plusieurs années. Ensemble, les ligues locales fondèrent le Canadian Labor Union, un précurseur du Congrès des métiers et du travail du Canada créé dix ans plus tard.

La ligue des neuf heures avait ceci d'intéressant : elle cherchait à promouvoir la solidarité de la classe ouvrière aux élections. Elle parraina des forums de sensibilisation aux enjeux politiques et tenta de hisser le discours syndical au niveau de la plate-forme électorale. Ces efforts, toutefois, étaient faits au nom de la conversion des candidats libéraux et conservateurs aux opinions de ses dirigeants, et non en vue de créer un parti ouvrier indépendant. À cet égard, la ligue des neuf heures connut un certain succès. L'imprimeur d'Ottawa Daniel J. O'Donoghue fut élu à titre de candidat indépendant avant de se rallier peu de temps après au camp libéral. Le gouvernement du premier ministre J.A. Macdonald réagit à la pression exercée par la classe ouvrière en faisant adopter une série d'articles de loi régissant les relations de travail, y compris la très avant-gardiste, mais somme toute inefficace, Trade Union Act.

La ligue des neuf heures disparut dans la crise du chômage causée par la dépression à la fin des années 1870. Mais elle légua un héritage intéressant au mouvement ouvrier canadien. En dépit de ses échecs et des restrictions régissant l'adhésion - réservée aux membres des corps de métier, tous de sexe masculin - elle ouvrit la voie à l'émergence d'une solidarité ouvrière. La fondation, par le mouvement, de la Canadian Labor Union marqua une première tentative de création d'une centrale ouvrière, et ses incursions dans le champ de la politique permit d'inclure les questions syndicales dans le programme électoral des partis.



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