alheureusement, il fallut les ravages de la guerre pour mettre fin à la dépression qui sévit de 1913 à 1915. Un grand nombre de travailleurs sans emploi s'enrôlèrent dans l'armée tandis que d'autres trouvèrent du travail dans l'économie de guerre. En 1916, de nombreuses compagnies se plaignaient d'une pénurie de main-d'œuvre. Ce renversement de la situation, après les sommets atteints par le chômage durant la dépression, améliora grandement le pouvoir de négociation des travailleurs. Les travailleuses et les travailleurs canadiens virent leurs salaires augmenter à un niveau encore jamais vu dans notre histoire. Les conditions de vie semblaient aussi s'améliorer. Les employeurs, pour leur part, se plaignaient de cette situation de plein emploi qui permettait aux travailleurs de quitter rapidement une compagnie pour une autre s'ils étaient mécontents de leurs conditions de travail.

La guerre se poursuivant en 1916, les employeurs commencèrent à imposer, dans les milieux de travail, des changements qui soulevèrent de plus en plus l'ire des travailleurs. La production de masse des munitions était accompagnée par l'adoption de plus en plus courante de systèmes de production à la chaîne. Les mécanismes « d'accélération » de la chaîne et autres mesures d'accroissement de « l'efficacité » révoltaient les travailleurs qui percevaient ces changements comme une perte de contrôle de leur rythme de travail. Les corps de métier et les travailleurs qualifiés, par exemple, craignaient la disparition de leurs métiers traditionnels. Cette crainte s'intensifiait au fur et à mesure que des travailleurs moins qualifiés - surtout des femmes - se voyaient offrir les postes de préposées aux machines. Par contre la guerre fournissait, à au moins certaines d'entre elles, un emploi et un salaire auxquels elles n'avaient encore jamais eu droit auparavant.

Toutefois, les événements qui se produisaient à l'extérieur du travail irritaient les travailleurs tout autant que la situation en milieu de travail. Le coût de la vie grimpa abruptement après 1916, annihilant au fur et à mesure la plupart des avantages qu'auraient pu représenter les augmentations salariales. Par ailleurs, de nombreux travailleurs estimaient injustifiables les profits des entreprises et réclamaient la conscription des profits au même titre que la conscription des hommes dans l'armée. La conscription elle-même fit des remous au sein de la population des travailleurs canadiens. La majorité des travailleurs appuyaient l'effort de guerre, ou tout au moins se résignaient à la poursuite des affrontements, mais le service obligatoire ne jouissait pas d'une même popularité. Au Québec, l'opposition à la conscription s'avéra particulièrement vigoureuse.

L'intervention directe du gouvernement dans le domaine des relations du travail exaspérait encore davantage le mouvement ouvrier. En 1916, la Loi des enquêtes en matière de différends industriels fut étendue à toutes les usines de munitions. La Loi, adoptée en 1907, prévoyait le recours gouvernemental à l'arbitrage entre les employeurs et les travailleurs. Pour les salariés, toutefois, l'expérience fut négative. Ils étaient convaincus que les gouvernements prenaient immanquablement et injustement la part des employeurs dans les conflits. Cette image était renforcée par une autre décision gouvernementale qui censurait toute diffusion de renseignements au sujet des conflits de travail. Le salariat se sentait de plus en plus assailli par les gouvernements et les employeurs durant les dernières années de la guerre.

Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, où des problèmes semblables se produisirent, les gouvernements firent au moins un certain effort pour tenir compte des préoccupations du salariat. Toutefois, au Canada, le gouvernement fédéral afficha une réticence à collaborer, même avec les dirigeants des syndicats de métier les plus conservateurs. En conséquence, la tension entre le gouvernement et le salariat s'intensifia tout au long de la guerre. Durant les derniers mois de la guerre en 1918, ces relations s'envenimèrent plus que jamais lorsque le gouvernement promulgua une loi frappant d'interdiction plusieurs organisations progressistes et leurs journaux.



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