Mer et monde : Les pêches de la côte est du Canada

Les grands enjeux de la gestion des pêches de l'Atlantique

Joseph Gough, M.A.

à la TABLE DES MATIÈRES


I. L'industrie des pêches

Son importance historique

Les pêches de l'Atlantique nord-ouest sont la première raison de la venue en grand nombre des Européens sur le continent nord-américain. C'est l'industrie de la morue salée qui justifie l'établissement de colonies sur la côte atlantique. Ses méthodes resteront les mêmes durant des centaines d'années. Les pêcheurs pêchent localement avec des bateaux plutôt petits et font sécher le poisson près de la plage sur des treillis de bois (étendoirs). Ces pratiques favorisent la création de villages tout au long de la côte comme en témoignent encore aujourd'hui les cartes routières des provinces de l'Atlantique.

À la fin du XVIIIe siècle et au XIXe, les pêches se multiplient et l'on capture d'autres poissons de fond à part la morue (les poissons de fond sont les espèces à chair blanche telles que l'aiglefin, la goberge et la plie qui vivent près du fond), le hareng, le saumon et le phoque. La pêche au homard connaît un grand essor vers la fin du XIXe siècle.

Durant ses beaux jours du XIXe siècle, l'économie maritime de la côte est repose sur plusieurs activités connexes : la pêche, la coupe de bois dans plusieurs endroits, la construction navale, le transport et le commerce. Les expressions « du bois, de l'eau, du vent » et « des navires de bois et des hommes de fer » décrivent vraiment une réalité canadienne. Toutefois, vers la fin du XIXe siècle et au début du XXe, les industries complémentaires perdent de leur importance relative et la pêche devient l'unique soutien de nombreux villages.

Au XXe siècle, les bateaux à moteur avec leur capacité de pêche accrue peuvent se déplacer sur de plus longues distances. Après la Deuxième Guerre mondiale surtout, les usines de congélation du poisson de fond et d'autres espèces éliminent le besoin de la salaison et du séchage extérieur près de la plage. La technologie permet de centraliser les pêches et de réduire la main-d'œuvre. C'est particulièrement vrai pour les espèces à nageoires comme le poisson de fond et le hareng qui forment de larges bancs; les navires motorisés peuvent les suivre et les transporter sur de longues distances.

De plus grandes pêcheries dominées par les usines de transformation se développent dans les ports tels Lunenburg, Canso, Trepassey et bien d'autres. Avec la prolongation de la saison de pêche et la fiabilité accrue de la livraison du produit, ces pêcheries prétendent souvent à une plus grande efficacité.

Toutefois, certains soutiennent que les petits bateaux sont tout aussi rentables. En outre, ils possèdent une valeur sociale, même mal définie. Les petits ports s'accrochent à leurs pêcheries et à leur mode de vie.

Pendant que les pays compétiteurs adoptent les techniques modernes, les pêcheurs de la côte atlantique canadienne s'occupent moins de leur productivité par personne. Au XXe siècle, le pêcheur moyen de l'Atlantique ne gagne jamais autant que le Canadien moyen. La vie de pêcheur peut être incertaine, dure et dangereuse, et beaucoup abandonnent la profession.

Toutefois, les situations varient; certains s'en tirent plutôt bien. D'autres facteurs peuvent compenser, notamment le plaisir et les défis de travailler sur la mer et la solidarité des petites collectivités.

L'industrie aujourd'hui : ses gens et ses collectivités

Sur la côte atlantique, le ministère des Pêches et des Océans (MPO) dénombre environ 12 000 pêcheurs « désignés » qui sont chefs d'une entreprise, ont un lien avec la pêche ou en sont tributaires, et qui détiennent les principaux permis dans le secteur. Les pêcheurs peuvent détenir plus d'un permis; en 1997, le nombre total de permis pour les différentes espèces et zones de la pêche commerciale de l'Atlantique s'élève à près de 45 000. Compte tenu des participants non désignés, le nombre total de pêcheurs atteint quelque 43 000.

Peu de femmes sont pêcheurs (en général, elles préfèrent le titre de « pêcheurs » plutôt que celui de pêcheuses). Elles sont beaucoup plus nombreuses toutefois dans l'industrie de la transformation.

Les revenus varient beaucoup. Dans son rapport, le Groupe d'étude fédéral sur les revenus et l'adaptation des pêches de l'Atlantique de 1993 (rapport Cashin) déclare que quelques-uns gagnent très bien leur vie, quelques autres assez bien et certains plutôt mal. Il ajoute qu'en 1990 les deux tiers des pêcheurs de l'Atlantique gagnent moins de 20 000 $ et près d'un quart d'entre eux moins de 10 000 $.

Dans le même rapport, on indique que certains participants marginaux utilisent les pêches pour obtenir de l'assurance-chômage, comme on disait alors. L'assurance-chômage est un facteur majeur de l'industrie et le demeure. Par exemple, en 1990, la moyenne des pêcheurs autonomes de Terre-Neuve ou de l'Île-du-Prince-Édouard déclarent tirer davantage d'argent des prestations d'assurance-chômage que de la pêche ou d'autres emplois.

L'histoire de l'industrie est marquée par la faiblesse des revenus et l'instabilité. Néanmoins, aujourd'hui, malgré la crise bien connue du poisson de fond, ceux qui restent dans l'industrie semblent paradoxalement se tirer d'affaire presque aussi bien qu'auparavant et parfois mieux.

Plus d'un millier de collectivités côtières, des plus petites aux plus grandes, dépendent toujours en partie ou en tout de la pêche. Beaucoup sont à la fois anciennes et, jusqu'à un certain point, isolées, notamment à Terre-Neuve et au Labrador. Depuis les quarante dernières années, la route a rejoint presque tous les ports de l'île de Terre-Neuve et la télévision est partout. Toutefois, même aujourd'hui, si les membres des collectivités de pêche se connaissent très bien les uns les autres ainsi que leurs régions, certains sont, pour cette raison même, de farouches protecteurs contre les intérêts extérieurs.

Plusieurs pêcheurs de l'Atlantique n'ont pas de diplôme d'études secondaires (quoique cette situation change). Ils ont souvent commencé à pêcher très jeunes avec leurs pères ou leurs proches ou avec quelqu'un qu'ils connaissaient de la même région. Si ce système donne des pêcheurs compétents, il élimine aussi d'autres choix d'emploi. Cette situation renforce l'attachement à la pêche, même quand des temps difficiles devraient inciter beaucoup d'entre eux à chercher du travail ailleurs.

Les bateaux et les méthodes

La flottille totale qui comptait près de 29 000 bateaux en 1990, n'en compte plus aujourd'hui que 20 300. La flottille comprend une grande variété de types et de tailles de bateaux.

Les termes usuels de « côtier » et de « hauturier » décrivaient mieux les petites embarcations qui pêchaient près de la côte que les goélettes qui pêchaient sur les bancs lointains durant des semaines entières. Aujourd'hui, ces termes masquent la réalité de la flottille. Des bateaux plutôt petits peuvent très bien pêcher au large et de grands bateaux peuvent pêcher près du littoral. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, un type de navire de taille moyenne ou « semi-hauturier » long de 14 à 20 mètres, joue désormais un rôle très important.

Les navires de plus de 30 mètres appartiennent habituellement à de grandes entreprises (propriété d'actionnaires ou familiale), qui possèdent pour la plupart des intérêts dans des usines de transformation. Les navires de cette taille pêchent habituellement au chalut (c'est-à-dire qu'ils tirent des filets coniques destinés aux espèces comme le poisson de fond et la crevette). Jamais nombreux même avant le déclin du poisson de fond, on n'en compte plus que 80. Un groupe de pêcheurs indépendants et d'entreprises intégrées possèdent 75 autres navires de 20 à 30 mètres de long.

Les navires de 14 à 20 mètres, y compris les petits chalutiers de poisson de fond, les senneurs à hareng (qui utilisent des filets flottants pour encercler les bancs de poisson) et d'autres types, possèdent une très grande capacité de pêche. On en compte près de 900. La plupart appartiennent à des « indépendants » (des individus ou des familles), malgré l'accroissement du contrôle ou de l'influence des entreprises dans certains secteurs.

Des 20 300 bateaux de la flottille, plus de 19 000 comptent moins de 14 mètres de long et 13 000 de ceux-ci font moins de 11 mètres. Les bateaux de moins de 11 mètres utilisent habituellement un équipement passif tel la palangre (des cordelettes munies d'hameçons appâtés, appelés également « chaluts »), des filets maillants ou des casiers comme dans le cas du homard. Les plus gros bateaux utilisent toute une gamme de méthodes.

La plupart des méthodes sont très anciennes, mais la technologie d'après-guerre les a transformées et a multiplié leur capacité de pêche. Des bateaux plus puissants de plus grand tonnage, de meilleurs moteurs, des cordes et des filets en nylon, et des moteurs hydrauliques ont tous accru la capacité de pêche. Grâce à la radio, les pêcheurs dispersés gardent contact les uns avec les autres et avec les marchés; le radar permet de voir la côte et d'autres bateaux dans la brume; le sonar permet de voir le poisson sous l'eau; la navigation électronique permet aux pêcheurs de savoir avec précision où ils obtiennent les meilleurs résultats et comment y retourner.

Les captures

Aujourd'hui, les crustacés dominent les pêches de l'Atlantique, ce qui représente un changement historique depuis la dernière décennie. Le volume du poisson de fond, historiquement la meilleure capture, a chuté du plus haut au plus bas niveau, et l'inverse s'est produit pour les crustacés. Personne ne sait s'il y aura renversement de la tendance.

Volumes (tonnes métriques) 1989 1999
(préliminaires)
Morue et autres poissons de fond (p. ex., sébaste, plie, goberge, aiglefin) 685 000 151 000
Hareng et autres poissons pélagiques (p. ex., capelan, maquereau, thon) 359 000 250 000
Crustacés (p. ex., pétoncles, homard, crevettes, crabe, palourdes) 228 000 373 000

Les crustacés rapportent habituellement davantage par kilogramme que toute autre espèce. En 1989, ils représentent plus de la moitié de la valeur au débarquement; en 1999, ils atteignent les quatre cinquièmes de la valeur au débarquement.

Valeurs 1989 1999
(préliminaires)
Morue et autres poissons de fond 359 000 000 $ 188 000 000 $
Hareng et autres poissons pélagiques 85 000 000 $ 74 000 000 $
Crustacés 503 000 000 $ 1,3 milliard de dollars

Malgré le déclin catastrophique des stocks de morue et d'autres poissons de fond dans les années 1990, la valeur globale au débarquement de la côte atlantique a augmenté grâce à la croissance du nombre de crustacés. Les exportations augmentent également, de 1,5 milliard de dollars en 1989 à 2,7 milliards de dollars en 1999.

L'importance socioéconomique de l'industrie

L'industrie des pêches conserve une grande importance économique, particulièrement dans l'exportation, et demeure la base de nombreuses collectivités. Toutefois, elle domine moins qu'avant, du point de vue économique, social et même culturel.

Les récentes hausses de la valeur au débarquement masquent le déclin des emplois tributaires du poisson de fond, dont la pêche et la transformation occupent plusieurs milliers de personnes. Après le moratoire sur la pêche à la morue du Nord en 1992 et l'arrêt de la pêche au poisson de fond dans d'autres secteurs, quelque 40 000 personnes ont perdu leur emploi sur les bateaux ou dans les usines. Depuis la fin des années 1980 et le début du déclin du poisson de fond, le gouvernement fédéral a dépensé plus de quatre milliards de dollars en aide liée à la pêche au poisson de fond.

À Terre-Neuve, tout particulièrement, si la pêche conserve son importance malgré l'effondrement de la morue, elle a perdu ce qu'on pourrait presque appeler sa prédominance culturelle. La combinaison du moratoire sur la pêche à la morue et la croissance des autres industries, y compris l'exploitation pétrolière en mer, a modifié le paysage économique de la province et son attachement psychologique à la pêche.

Propriété et bien commun

La plupart des pêcheurs sont des travailleurs autonomes, mais les entreprises privées ont toujours exercé une grande influence : par leur force comme acheteuses et exportatrices sur le marché, par la puissance des grands bateaux qu'elles possèdent souvent, par leur fréquent soutien financier des « indépendants » et par leur représentation bien organisée.

Les pêches sont le bien commun du peuple canadien et, jusqu'à ces dernières décennies, l'accès à la plupart des pêches de l'Atlantique était ouvert à toute personne qui pouvait se payer un bateau. Après la mise en place du permis officiel de pêche « à accès limité » il y a près de 30 ans, les permis et les quotas détenus par les propriétaires-exploitants ont acquis une valeur monétaire.

Aujourd'hui, un propriétaire-exploitant, ou une personne qui désire le devenir, doit souvent faire face au coût élevé des navires modernes et des permis qui donnent accès aux pêches. Parfois, les coûts grèvent les ressources des exploitants indépendants.

Selon un règlement gouvernemental, les navires de moins de 20 mètres doivent être exploités par leur propriétaire. Toutefois, dans certains secteurs, les transformateurs ont acquis le contrôle réel d'une partie des navires semi-hauturiers. C'est une question délicate dans de nombreuses collectivités où la concentration de la propriété s'oppose aux longues traditions des entreprises individuelles ou familiales.

Diversité, compétition et rivalité

Lorsqu'on dénombre toutes les espèces, secteurs et types d'engins, la pêche de l'Atlantique comprend des centaines de pêches différentes. Cette situation crée de féroces rivalités, surtout pour l'accès au poisson. Ainsi, le thon, le maquereau ou le hareng peuvent migrer dans de nombreux secteurs durant l'année; malgré tout, les pêcheurs de chaque secteur les considèrent comme « leur poisson ».

Dans la pêche au poisson de fond, au sein d'une même petite collectivité, les palangriers, les fileyeurs et les chalutiers se livrent une compétition farouche. Toutefois, ces intérêts se sont souvent unis contre les chalutiers hauturiers appartenant aux grandes entreprises, même celles basées à proximité. Et tous ces groupes disparates peuvent joindre leurs forces contre les intérêts des autres régions ou provinces.

Les conflits au sujet de la répartition des ressources (qui représentent de l'argent) existent dans presque toutes les grandes pêches. À l'occasion, il faut l'intervention du premier ministre pour les résoudre. Pour les gens des collectivités et des flottilles, la répartition est souvent une question de survie, décidée par les autres. Les gens sur place vivent une grande frustration et beaucoup de chagrin, car ils ont l'impression de n'avoir aucune influence sur ce qu'ils considèrent comme des décisions mystérieuses faites derrière des portes closes.

Les conflits liés à la compétition entre les différents genres d'engins, de permis et de répartition des récoltes constituent le principal enjeu et le fardeau de la gestion des pêches. C'est la responsabilité des gestionnaires de ressources d'équilibrer les demandes concurrentes – et de parvenir à un équilibre encore plus fondamental entre les demandes des pêcheurs et les besoins écologiques de la ressource vivante.




 
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