Marius Barbeau Un aperçu de la culture canadienne (1883-1969)
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La vie de Barbeau

Le collège classique (2)

Une vacance de Noël, je ne pus me rendre chez mes parents. Ma soeur Dalila (seize ans) avait les fièvres typhoïdes (contagieuses?). Je dus rester ces dix jours au collège.

On me permit d'aller dans la grande bibliothèque de la Tour d'habitude fermée. J'y vis bien de beaux livres. J'en fus fasciné, en particulier de quatre gros tomes admirablement illustrés: des personnages anciens, dessinés à la ligne, de belles femmes à peine vêtues, aux bustes arrondis, séduisants. C'était l'édition Montégut de Shakespeare - tout le Shakespeare traduit en beau français. Je pris ces livres et les serrai dans mon armoire de dortoir et je n'eus pas la chance, une fois la vacance finie, de retourner ces livres à la grande bibliothèque maintenant fermée à clef. L'été arrivé au départ pour les vacances, je dus mettre les gros tomes dans ma valise, parmi mon linge. Je passai l'été suivant, sauf quant au travail de terre et des foins avec mon père, à lire tout Shakespeare. Hamlet, Macbeth, le Songe d'une nuit d'été, le Marchand de Venise, en particulier m'enchantèrent. Mes Belles-Lettres furent grandement enrichies de cette lecture d'été. La fin des vacances me ramena au Collège avec ces livres que je voulais retourner d'où ils venaient. Même difficulté d'accès à la bibliothèque. Les livres restaient dans mon armoire en attendant. Le même voisin dénonciateur, Doyon, alla dire la chose au directeur qui m'appela et me demanda une explication. Il semblait grave. J'eus de la crainte. Je lui expliquai la chose avec atténuations. « Avez-vous lu ces livres? » me demanda-t-il. « Non! » répondis-je (mensonge protecteur!). Alors il parut satisfait, me renvoya. Et il n'en fut plus question.

Quelquefois, en grand congé, nous allions faire des pique-niques au loin, à la « Montagne Ronde », à la « Montagne Thiboutot ». J'en profitais pour courir les bois. Quel enchantement! En hiver, nous faisions des courses de raquettes dans la montagne du Collège, ou en patins sur les rives du grand fleuve, à la Rivière-Ouelle, paroisse voisine. C'était à cinq ou six milles de distance, le double avec le retour. J'en étais au retour tellement fatigué qu'il me fallait marcher sur mes chevilles (n'ayant pas l'entraînement voulu). Affamés au retour, nous nous abattions sur le réfectoire pour y dévorer des cretons (des prêtres) et du pain.

La nourriture au Collège était bien pauvre et monotone. Je mangeais guère et j'en étais très maigre. Je grandis tard, à l'âge de quinze à dix huit ans. Ma santé était bonne, rien de plus. J'étais délicat.

Le temps vint, en fin de sixième année, de se choisir une vocation. Moment touchant, rempli de mysticisme et d'émotion. Mes vingt confrères choisirent à peu près tous la prêtrise. Mais moi, je préférais devenir séculier, ayant la profession du notariat en perspective. Le temps du collège fini, j'en fus heureux. Ces années m'avaient formé. Ma tête avait grossi et les lobes en étaient bien chargés de manuels et de doctrines. Mais je n'avais pas été heureux.

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