Entretien avec David Morrison

Éliane Laberge

David Morrison, Ph. D., regarde la salle de l’Histoire canadienne du haut de la mezzanine (Galerie 3). Au cours des cinq dernières années, il a été le directeur de la recherche et du contenu pour la salle. Photo : Musée canadien de l'histoire.

David Morrison, Ph. D., regarde la salle de l’Histoire canadienne du haut de la mezzanine (Galerie 3). Au cours des cinq dernières années, il a été le directeur de la recherche et du contenu pour la salle. Photo : Musée canadien de l’histoire.

Il y a quelques années, David Morrison, docteur en archéologie, songeait à la retraite. Travaillant au Musée depuis les années 1980, sa longue et fructueuse carrière avait été ponctuée d’importantes contributions. Or, en 2012, un nouveau projet exaltant s’est profilé à l’horizon. Le Musée était sur le point de créer une galerie phare qui raconterait l’histoire du Canada, des premiers établissements humains jusqu’à nos jours. Ne pouvant refuser de participer à ce nouveau projet que représentait la salle de l’Histoire canadienne, David Morrison en a été nommé le directeur de la recherche et du contenu.

La nouvelle salle étant maintenant achevée, M. Morrison tirera bientôt sa révérence – pour de bon cette fois-ci. Nous nous sommes entretenus avec lui pour discuter de ses nombreuses réalisations au Musée, y compris celles plus récentes qui sont liées à la salle de l’Histoire canadienne inaugurée le 1er juillet.

Vous avez passé les cinq dernières années à diriger la recherche et l’élaboration du contenu pour l’exposition la plus vaste et la plus complète jamais réalisée sur l’histoire canadienne. Certains pourraient croire que vous êtes historien. En réalité, vous avez travaillé comme archéologue la majeure partie de votre carrière. Pouvez-vous nous parler de votre parcours?

Je me vois comme quelqu’un qui a mené trois carrières au Musée. La première l’a été en qualité d’archéologue, puisqu’à partir du début des années 1980 j’ai passé vingt étés en Arctique pour le compte du Musée. J’ai amorcé ma deuxième carrière au Musée à la fin des années 1990 quand j’ai été nommé directeur de la Division d’archéologie, laquelle a fusionné avec celle d’histoire en 2002. Je suis demeuré directeur de la nouvelle Division d’archéologie et d’histoire jusqu’en 2012. Enfin, ma troisième carrière a débuté en 2012, lorsque le projet de la salle de l’Histoire a pris forme et que j’en suis devenu le directeur de la recherche.

En plus d’avoir travaillé à la conception de la salle des Premiers Peuples et à la salle de l’Histoire canadienne, vous avez aussi organisé de nombreuses expositions temporaires au Musée. Quels sont les défis à surmonter dans la réalisation d’une exposition permanente de grande envergure, comme celle de la salle de l’Histoire canadienne, comparativement à ceux liés à la réalisation d’une exposition temporaire?

Les difficultés s’articulent surtout autour de la portée du projet. Avec une exposition temporaire, le contenu est précis et étroitement défini. Par exemple, la dernière exposition temporaire que j’ai organisée portait sur la traite des fourrures, plus précisément sur le commerce de cette ressource au Canada entre 1779 et 1821. Il ne s’agissait donc pas de raconter toute l’histoire du commerce de la fourrure, et encore moins celle du Canada! Avec une galerie comme la salle de l’Histoire canadienne, il ne faut toutefois rien oublier. On peut alors se sentir dépassé par l’abondance du contenu. Comment l’organiser? Comment en faire le récit? Comment le répartir? Que devons-nous choisir de montrer ou de ne pas montrer? La prise de décisions est complexe étant donnée l’envergure même du projet.

Comment êtes-vous parvenus à trouver la meilleure façon de représenter 15 000 ans d’histoire dans une superficie de 40 000 pieds carrés?

En fait, quand on y regarde de plus près, l’espace d’exposition est d’environ 30 000 pieds carrés en raison du carrefour central et de la rampe, ce qui semble encore terriblement vaste. Au commencement, cet espace nous paraissait infini, mais ce n’est pas le cas.

Toute une équipe a été mobilisée pour déterminer ce qui allait être raconté, et la façon dont cela allait être fait. Les Galeries 1 et 2 présentent à peu près sans détour l’histoire du Canada jusqu’en 1914. Nous avons opté pour une trame narrative scindée en plusieurs sections distinctes, ce que nous appelons des « récits » : la Nouvelle-France ou le parcours menant à la Confédération, à titre d’exemple. Aussi a-t-il été relativement facile d’organiser ces thèmes puisqu’ils se chevauchent dans le temps. En revanche, le défi a été plus grand pour la Galerie 3 qui se consacre au Canada moderne (de 1914 à nos jours). Si 200 ans s’étaient écoulés depuis cette période, la tâche aurait été plus facile ; il aurait suffi de regarder en arrière, un peu comme à travers la lentille d’un télescope. Mais il est très difficile de découper une période en récits lorsqu’on a très peu de recul. C’est inscrit dans la mémoire collective, sans compter que chacun peut avoir une opinion différente sur le sujet.

Il semble que vous ayez réussi à concilier ces opinions divergentes en racontant l’histoire du Canada sous plusieurs angles. Comment avez-vous fait?

Lors de la création de la salle du Canada, l’ancêtre de la salle de l’Histoire canadienne, bien des gens pensaient qu’il serait impossible de présenter des questions controversées dans un musée sans déclencher un tollé. De sorte, l’équipe derrière la salle du Canada a misé sur une certaine approche pour relater l’histoire canadienne : présenter un parcours où étaient mises en relief des scènes du passé du pays plutôt que des événements précis, surtout ceux sujets à controverse.

Or, en 2012, le Musée canadien de la guerre a proposé l’exposition 1812. Celle-ci nous a grandement impressionnés par sa façon de présenter, sous plusieurs angles, des événements difficiles; elle nous a montré la voie à suivre.

Le sens que l’on donne aux événements, et même les aspects positifs et négatifs qui y sont associés, dépend beaucoup de qui l’on est : les caractéristiques démographiques, le bagage transmis par les parents, le fait que l’on parle français ou anglais, que l’on soit d’origine autochtone, ukrainienne ou chinoise, ou bien que l’on soit de confession catholique ou protestante, ainsi de suite. Il nous importait énormément, dès le début, de ne pas favoriser un point de vue par rapport à d’autres.

De quoi êtes-vous le plus fier lorsque vous contemplez la salle?

Les consultations menées en profondeur, dans un véritable souci du détail, avec les Autochtones. Cela a été un exercice beaucoup plus poussé que celui qui avait été réalisé pour la salle des Premiers Peuples. L’engagement auprès d’experts-conseils et de parties intéressées autochtones a été bien plus soutenu, et cela se reflète dans la salle : l’histoire autochtone fait partie intégrante de celle du Canada, elle n’est pas présentée de façon isolée. Je suis fier de la manière dont nous sommes parvenus à intégrer plusieurs perspectives à la narration de récits complexes, non seulement celles de Canadiens autochtones et non autochtones, mais aussi celles provenant de nombreuses autres voix.

Et en contemplant votre longue carrière au Musée, de quoi êtes-vous le plus fier – à l’exception, bien sûr, de la nouvelle salle?

J’éprouve de la fierté à l’égard des travaux que j’ai effectués sur le terrain dans l’Arctique, de même que des éléments d’information que j’ai pu rassembler à partir de cela. Je suis fier d’avoir dirigé la Division d’archéologie et d’histoire pendant dix ans. Et je suis aussi très content d’avoir écrit des livres qui ont été appréciés, entre autres un ouvrage sur l’histoire des Inuvialuits, les Inuits vivant en Arctique de l’Ouest. Des gens de là-bas connaissent mon livre et le considèrent avec une certaine admiration, ce qui me flatte.

On vous a lancé le défi de réaliser cette grande exposition sur l’histoire canadienne alors que vous étiez sur le point de prendre votre retraite. Qu’est-ce qui vous a incité à l’accepter?

Eh bien, je pensais à la retraite, mais je ne la voulais pas vraiment ; ce projet est donc tombé à point. En plus, je savais que je travaillerais avec des personnes pour lesquelles j’ai beaucoup de respect : Jean-Marc Blais et Mark O’Neill, respectivement directeur général et président-directeur général du Musée. C’est Mark qui a eu l’idée de la salle au départ. J’étais aussi très heureux de travailler avec les autres directrices du projet, Chantal Amyot et Lisa Leblanc.

L’équipe a joué pour beaucoup dans ma décision, et le projet lui-même représentait une occasion en or de laisser ma marque au Musée. Il est fantastique de voir que le Canada est arrivé à une étape où il est possible de produire une galerie comme celle-ci, avec un véritable apport des peuples autochtones. Nous avons pu présenter un chapitre comme la construction du chemin de fer [Canadien Pacifique] non seulement comme une merveille d’ingénierie qui relie les quatre coins du pays – ce que beaucoup savent déjà –, mais aussi comme un drame qui a eu un coût humain très élevé. Cette salle aura une très forte incidence sur les perceptions à l’égard du passé du Canada, et je crois que nous sommes parvenus à exposer une vision beaucoup plus complète de cette histoire.

Qu’est-ce qui vous manquera le plus dans ce projet à votre retraite?

L’équipe que nous avons réunie pour la réalisation de la salle était très compétente ; chacun a excellé, même quand les tâches étaient entièrement nouvelles. En fait, nous avions une équipe de rêve. Nous avons presque toujours travaillé dans l’harmonie, et nous avons eu exactement le soutien qu’il nous fallait de la part de Jean-Marc Blais et de Mark O’Neill. Tous deux ont cru en notre capacité de mener les choses à bien.