Un symbole de changement

Sylvain Raymond

Il y a plus de deux cents ans, ce pendentif a été offert par la Compagnie de la Baie d’Hudson à un chef autochtone pour souligner son importance dans le commerce des fourrures. Massif et de grande taille, il présente l’image gravée d’un castor accompagné du monogramme « HB » sur l’un de ses côtés et est le symbole ostensible d’un certain statut dans le milieu de la traite des fourrures.

Ce pendentif revêt une importance particulière pour deux raisons. Premièrement, la plupart des bijoux offerts aux peuples autochtones étaient en argent, et non en or plaqué. Deuxièmement, il représente un rare exemple d’une œuvre en or conçue par Charles Arnoldi (1779-1817), un orfèvre réputé de Montréal.

pendentif rare en or plaqué de la Compagnie de la Baie d’Hudson

Ce rare exemple de pendentif rare en or plaqué de la Compagnie de la Baie d’Hudson mesure 10 cm x 7,5 cm. Il a été fabriqué au début des années 1800 par Charles Arnoldi, un orfèvre de Montréal. Musée canadien de l’histoire, 2014.72.1, IMG2015-0189-0003-Dm

Plusieurs auraient vu dans ce pendentif un symbole d’équité entre les commerçants et les peuples autochtones dans les régions de l’Ouest. « En général, les peuples autochtones ne faisaient pas de troc s’ils n’avaient pas d’abord tissé des liens avec les commerçants, souligne Timothy P. Foran, conservateur spécialisé sur l’Amérique du Nord britannique. La plupart du temps, ils négociaient selon leurs propres conditions, et les nouveaux arrivants européens devaient respecter leurs coutumes. Par ailleurs, la traite des fourrures a marqué le début d’une présence européenne permanente sur les terres autochtones de l’Ouest. Elle a ouvert la voie à la prise de contrôle du territoire autochtone par l’État canadien dans les années 1870. »

La contestation du monopole

La remise du pendentif frappé entre 1800 et 1815 s’inscrivait directement dans la foulée d’une rivalité de plus en plus féroce entre la Compagnie de la Baie d’Hudson et la Compagnie du Nord-Ouest, fondée à Montréal en avril  1779. « La Compagnie de la Baie d’Hudson a amorcé ses activités dans les années 1670 en érigeant quelques postes de traite sur les rives de la baie d’Hudson et en laissant simplement les peuples autochtones venir à sa rencontre. À l’inverse, la Compagnie du Nord-Ouest a construit une série de forts à l’intérieur des terres et a développé un vaste réseau de transport et de commerce qui s’étendait de la vallée du Saint-Laurent aux Rocheuses, voire plus loin encore. Puisque la Compagnie du Nord-Ouest utilisait des bijoux en argent comme objets de traite, la Compagnie de la Baie d’Hudson n’a eu d’autre choix que d’en faire autant, bien qu’elle ait peu associé cette pratique à ce type d’objet auparavant. La Compagnie du Nord-Ouest a forcé la Compagnie de la Baie d’Hudson à innover et à devenir concurrentielle. »

La concurrence s’est finalement avérée trop vive. Tandis que la Compagnie de la Baie d’Hudson élargissait son réseau et investissait davantage dans les objets de commerce; tandis que les stocks d’animaux à fourrure déclinaient ou disparaissaient dans certaines régions, les deux compagnies se sont comportées comme si elles étaient en guerre – et du sang a en effet coulé dans les deux camps. Vers 1821, le gouvernement britannique, excédé, a contraint les deux compagnies à fusionner afin de former une version nouvelle et allégée de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Celle-ci a par la suite commencé à retirer les pièces d’argent et d’or de ses marchandises échangées, car leur production coûtait très cher.

Malgré son monopole revendiqué sur le commerce des fourrures après 1821, la Compagnie n’était nullement au bout de ses peines. « Bien qu’elle se soit efforcée de rationaliser ses activités et de contrôler le commerce, elle a fait face à une concurrence accrue de la part de commerçants indépendants tout au long des années 1830 et 1840, explique M. Foran. Ce sont finalement les Métis des Prairies qui sont parvenus à briser son monopole, et leur victoire dans un procès tenu en 1849 a créé un précédent en faveur du libre-échange dans l’Ouest. »