Duplessis : un pur produit de son époque

Le 21 août 2014

Aujourd’hui encore associé à la Grande Noirceur, Maurice Le Noblet Duplessis (1890-1959) est pourtant un homme bien de son temps dont l’héritage est souvent mal compris ou méconnu.

À l’instar de ses homologues des autres provinces canadiennes, il est un pur produit du boom d’après-guerre. C’est l’époque où l’Europe tente de se remettre sur pied à coups de chantiers titanesques et où les États-Unis se rénovent de fond en comble grâce au New Deal de Roosevelt et à l’essor industriel. On mise notamment sur l’intervention de l’État dans l’économie pour permettre au plus grand nombre de s’enrichir. C’est ce qui se produit sous le règne de Duplessis.

Premier ministre du Québec de 1936 à 1939 et de 1944 à 1959, il lancera lui aussi des chantiers colossaux qui passeront à la postérité : la centrale hydroélectrique de Bersimis, les grands barrages qui électrifieront le Québec rural, l’autoroute Métropolitaine, l’autoroute des Laurentides, des hôpitaux, des universités, ainsi que des milliers d’écoles. « Duplessis a présidé au spectaculaire redressement de la vie matérielle des Québécois. Le revenu disponible par habitant a plus que doublé entre 1944 et 1959, y compris dans les campagnes », souligne Xavier Gélinas, conservateur d’histoire politique au Musée canadien de l’histoire.

Sa popularité auprès de l’électorat rural lui vaut de gagner quatre élections consécutives : 1944, 1948, 1952 et 1956, des victoires qui ne « s’expliquent pas seulement par le pavage opportun de routes ni le don de caisses de bière aux électeurs indécis », assure le conservateur.

Cette longévité va de pair avec la stabilité politique qui règne en Amérique du Nord durant cette période de prospérité économique. « Cela s’observe partout au Canada, indique M. Gélinas. Il n’est pas rare de voir des premiers ministres provinciaux gouverner 10, 15, 20 ans, voire au-delà. » Qu’on pense à Joey Smallwood, à Terre-Neuve (1949-1972), qui avec 23 ans au pouvoir détient le record absolu. Il y a aussi Angus Lewis Macdonald (1933-1940 et 1945-1954) en Nouvelle-Écosse, Tommy Douglas (1944-1961) en Saskatchewan et « Wacky » Bennett (1952-1972) en Colombie-Britannique.

Pour Xavier Gélinas, cette longévité générale s’explique du fait qu’ils font tous figures d’autorité… paternelle! « C’est l’époque de Papa a raison », rappelle l’historien. « Les politiciens, comme les dirigeants d’entreprises, se comportent en bons pères de famille qui pourvoient aux besoins des leurs. En retour, à force d’être au pouvoir, ils croient la chose normale, presque de droit divin. L’électorat, la famille, ne change pas de père tous les quatre ou cinq ans comme aujourd’hui. Il faut dire que l’amour de ces politiciens pour la province qu’ils gouvernent est inconditionnel. »

Mais le conservatisme en apparence le plus rigide peut réserver des surprises. En matière de marketing politique, Duplessis innove et fait preuve d’audace en s’inspirant des grands stratèges politiques américains. Dans ce domaine, il devance de beaucoup ses pairs, toutes bannières partisanes confondues. Sans doute une autre raison qui explique sa longue carrière.

On peut en apprendre plus sur le sujet avec « Duplessis donne à sa province » – Le marketing politique de l’Union nationale, une exposition du Musée québécois de culture populaire présentée actuellement au Musée canadien de l’histoire jusqu’au 7 décembre 2014.