Balado Artéfactualité : Nous avons toujours été là – Conversations avec des Aînés Pieds-Noirs sur l’archéologie, le temps et le territoire

Daniel Neill

Vue aérienne nord de Wally’s Beach et du réservoir de la rivière St. Mary à l’étiage; on peut y apercevoir le chenal d’origine de la rivière St. Mary.

Vue aérienne nord de Wally’s Beach et du réservoir de la rivière St. Mary à l’étiage; on peut y apercevoir le chenal d’origine de la rivière St. Mary. Les terres de la Nation Kainai se trouvent de l’autre côté de la rivière.

Wally’s Beach, c’est le nom que les colons des environs ont donné à une bande de terre située le long du réservoir St. Mary, dans le sud de l’Alberta. Vers 1990, le site a attiré l’attention d’universitaires qui ont identifié des empreintes de mammouths laineux et trouvé des ossements d’espèces disparues de bœufs musqués, de chameaux et de bisons. Cependant, ces « découvertes » à Wally’s Beach ont une signification différente pour les peuples autochtones. En voici le récit rapporté dans Artéfactualité, une série de balados qui imaginent un musée du futur entièrement constitué des histoires que nous nous racontons. Dans l’épisode « Nous avons toujours été là », le public peut en apprendre plus sur comment les Ainés et Ainées Pieds-Noirs interprètent les découvertes à Wally’s Beach et ce qu’un archéologue du Musée canadien de l’histoire, Gabriel Yanicki, peut y observer.

Téléchargez et abonnez-vous à Artéfactualité – Des récits du musée du futur sur la plateforme de baladodiffusion de votre choix.

Une piste de mammouth laineux conservée à Wally’s Beach.

Une piste de mammouth laineux conservée à Wally’s Beach. Photo : Gabriel Yanicki

Un corridor sans glace

Situé au cœur du territoire des Pieds-Noirs, le site de Wally’s Beach se trouve sur d’anciennes terres agricoles, face à la réserve de la nation Kainai, sur la rive opposée de la rivière St. Mary. La nation Kainai est l’une des trois nations Niisitapiikwan (Confédération des Pieds-Noirs), les deux autres étant Siksika et Pi’ikanni. Wally’s Beach se trouve dans ce qui était autrefois un corridor sans glace, une zone géographique où les nappes glaciaires continentales ont commencé à fondre il y a environ 18 000 ans, à la fin de la dernière glaciation. Ce corridor a été au centre de théories très controversées sur l’occupation de l’Amérique du Nord par les êtres humains. Un grand nombre d’universitaires affirment aujourd’hui que les êtres humains ont d’abord pénétré en Amérique du Nord en traversant le pont terrestre de Béring à partir de l’Asie et se sont progressivement déplacés vers le sud grâce au corridor sans glace. Cependant, les récits de la création des Pieds-Noirs ne mentionnent pas de pont terrestre. Pour les Pieds-Noirs, leur histoire commence dans les plaines du Nord : ils ont toujours été là.

Des outils en pierre comme cette pointe cannelée retravaillée, trouvée à Wally’s Beach en 2019, témoignent de l’occupation de peuples sur une grande partie de l’Amérique du Nord il y a 13 000 ans.

Des outils en pierre comme cette pointe cannelée retravaillée, trouvée à Wally’s Beach en 2019, témoignent de l’occupation de peuples sur une grande partie de l’Amérique du Nord il y a 13 000 ans. Photo : Gabriel Yanicki

Lame d’obsidienne découverte dans la région de Grande Prairie en Alberta.

Lame d’obsidienne découverte dans la région de Grande Prairie en Alberta. Musée canadien de l’histoire X-C:97

Gabriel Yanicki, Ph. D., conservateur, Archéologie centrale, au Musée canadien de l’histoire, étudie Wally’s Beach depuis plus de 10 ans. En octobre 2022, il est entré en communication avec des Ainés pieds-noirs pour leur faire part de son travail et réfléchir à sa correspondance avec les notions de lieu et de temps chez les Pieds-Noirs. Les travaux de Gabriel Yanicki portent à croire que certaines des premières populations nord-américaines pourraient être arrivées sur le territoire des Pieds-Noirs à partir du sud. Il étudie des éléments de preuve, comme cette lame d’obsidienne magnifiquement travaillée, pour suivre les déplacements sur le territoire. Découverte par des archéologues près de Grande Prairie, en Alberta, cette lame de lance a été fabriquée à partir d’obsidienne correspondant à celle qui provient de volcans situés beaucoup plus au sud.

Notions de temps chez les Pieds-Noirs : « Les récits de mes ancêtres ne sont qu’à deux jours d’ici. »

L’ancienneté de la présence humaine en Amérique du Nord est une question qui occupe les archéologues depuis des décennies. Mais en même temps, la recherche scientifique de preuves matérielles ne correspond pas à l’image que les Pieds-Noirs se font du passé. Dans cet épisode d’Artéfactualité, Leroy Little Bear, Ph. D., explique qu’au-delà du seuil des deux jours, les Pieds-Noirs considèrent le passé comme appartenant au domaine de « ce qui est, tout simplement ». En l’absence de documents historiques écrits, la répétition des récits et des histoires orales préserve la mémoire culturelle, veillant à ce que les connaissances ancestrales se trouvent à portée de main. Comme le dit le professeur Little Bear, « les histoires de mes ancêtres ne sont qu’à deux jours d’ici. »

Leroy Little Bear, Ph. D.. Photo : Alberta Order of Excellence.

Les notions de temps chez les Pieds-Noirs n’ont pas toujours été prises en compte dans le contexte de la documentation archéologique. Auparavant, la recherche scientifique de connaissances sur l’arrivée de l’être humain sur le territoire aujourd’hui connu comme le Canada se concentrait sur l’établissement de lignes chronologiques et sur l’évolution des peuples, des outils et des animaux. Les Ainés Kent Ayoungman et Jerry Potts s’accordent pour dire que, bien que les nouvelles avancées en archéologie sont indispensables pour établir la présence historique des Autochtones en Amérique du Nord, il faut tenir compte des récits de la création, de la culture matérielle et de l’art des Pieds-Noirs en parallèle avec les trouvailles et théories.

Décoloniser l’archéologie

Les conversations de ce type sont une étape essentielle qu’ont franchie ensemble le Musée et les Ainés et Ainées pour démontrer que la présence des Pieds-Noirs dans les plaines du Nord remonte à beaucoup plus loin qu’on ne le pensait. L’Ainé Jerry Potts pense qu’il est possible de décoloniser l’archéologie pour en arriver à une compréhension plus profonde de la vie des Pieds-Noirs.

« Il y a eu beaucoup de racisme systémique de la part des gouvernements, et les groupes locaux n’ont pas accordé le moindre respect aux gens qui ont toujours été ici. Nos récits sur la création portent sur notre présence depuis toujours sur ce territoire. Notre peuple n’a pas été transplanté ou amené ici, et je pense que grâce à la science et à l’archéologie, les personnes qui savent trouver les réponses manquantes se tournent maintenant vers les gens qui détiennent du savoir, et ce genre de choses, pour mieux comprendre le passé et qui nous sommes. Nos histoires n’ont jamais changé, elles sont toujours les mêmes. » – Jerry Potts

L’avenir de Wally’s Beach

Gabriel Yanicki espère que les travaux futurs à Wally’s Beach donneront lieu à une plus grande collaboration avec les Ainés et Ainées et à de nouvelles façons d’intégrer les récits autochtones à la recherche archéologique sur le corridor sans glace et les personnes qui y ont vécu. Dans l’idéal, les publications scientifiques accorderont un jour la même importance au savoir traditionnel et à la recherche archéologique. Outre les projets de nouvelles fouilles, on espère que le nom de Wally’s Beach sera changé afin de refléter l’importance de l’endroit pour les Pieds-Noirs.

Ressources supplémentaires

  • Wally’s Beach est un site archéologique et paléontologique désigné, protégé par la loi sur les ressources historiques de l’Alberta, la Historical Resources Act. L’accès et la collecte non autorisés sont interdits. Veuillez consulter la page Web du gouvernement de l’Alberta (en anglais seulement) pour plus de renseignements sur la déclaration de découvertes archéologiques.
  • Fiducie nationale du Canada – À lire, à voir  : « Du côté des falaises : comment le précipice à bisons Head Smashed In continue de nourrir jusqu’à la génération actuelle »

Téléchargez et abonnez-vous à Artéfactualité sur la plateforme de baladodiffusion de votre choix – Apple, Spotify ou Google –, ou écoutez la série sur YouTube.

Apprenez-en plus au sujet d’autres épisodes d’Artéfactualité :


Daniel Neill

Daniel Neill

Daniel Neill est chercheur dans le domaine des sports et des loisirs au Musée canadien de l’histoire. Il est également musicien et candidat au doctorat en ethnomusicologie à l’Université Memorial de Terre-Neuve.