Aux origines de la collection Mercure : un entretien avec son directeur, Pierre M. Desrosiers
La collection Mercure a cinquante ans cette année. Copubliée par le Musée canadien de l’histoire et les Presses de l’Université d’Ottawa, elle propose des recherches novatrices dans les domaines de l’histoire du Canada, de l’archéologie, de la culture et de l’ethnologie.
Le Musée est allé à la rencontre de Pierre Desrosiers, directeur de la collection Mercure, pour en apprendre davantage sur l’histoire de cette dernière, son évolution et son impact à long terme.
Shannon Moore : Comment avez-vous pris les rênes de la collection Mercure?
Pierre Desrosiers : Je suis entré au Musée en 2019 à titre de conservateur, Archéologie centrale pour le Québec et l’Ontario. À l’époque, le directeur de la collection Mercure, John Willis, partait à la retraite, et on m’a demandé de le remplacer. Ce fut pour moi un grand honneur.
Toutes les personnes qui, comme moi, ont de l’expérience en archéologie connaissent cette collection passionnante qui publie un large éventail d’autrices et auteurs de renom et de recherches de première importance. La diriger est une grande responsabilité et je m’efforce d’assurer aux auteurs et autrices qui s’y intéressent le meilleur soutien possible et les plus hautes normes applicables aux publications scientifiques.
SM : Cette année, la collection Mercure célèbre son 50e anniversaire. Parlez-nous de ses origines : comment et pourquoi a-t-elle été créée? Quel en était l’objectif premier?
PD : Grâce à un ouvrage intitulé A Passion for the Past (2004), nous connaissons très bien la genèse de la collection Mercure. L’ouvrage contient une série d’interviews avec James F. Pendergast, lieutenant-colonel à la retraite et prolifique archéologue. En 1972, il a été recruté par le Musée national de l’Homme (aujourd’hui le Musée canadien de l’histoire) à titre de directeur adjoint. À peine était-il entré dans ses nouvelles fonctions que William E . Taylor, alors directeur du Musée, lui a appris que sa « priorité absolue était de publier, et rapidement. » (Dyke 2004 : 30, traduction)
L’histoire des publications périodiques au Musée commence sans doute par la parution du premier Victoria Memorial Museum Bulletin, en 1913, suivi du National Museum of Canada Bulletin, et plus tard, du National Museum of Man of the National Museums of Canada Bulletin. En général, seuls quelques volumes étaient publiés chaque année, ce qui causait de longs délais, parfois des années, avant la parution d’une monographie. Le directeur Taylor a voulu changer la donne en insistant sur une publication rapide.
James Pendergast s’est montré à la hauteur, faisant rapidement paraitre plusieurs ouvrages et dotant chaque direction interne du Musée d’une sous-collection et d’un codage par couleurs : orange pour la Commission archéologique du Canada, rouge pour l’ethnologie, et ainsi de suite. La collection Mercure était née, et plusieurs livres ont commencé à paraitre en séquence rapide. Soudain, les chercheurs et chercheuses des quatre coins du Canada et du monde pouvaient remplir leur bibliothèque avec les publications de la collection Mercure.
À ce rythme, l’évaluation par les pairs n’était tout simplement pas possible. Comme on pourrait le supposer, la qualité de l’impression n’était pas non plus une priorité. James Pendergast préférait qu’on se penche sur le contenu des ouvrages, en faisant fi de leur apparence : « Au diable la reliure, disait-il. Au diable l’orthographe. L’important, ce sont les connaissances qui se transmettent. » (Dyke 2004 : 31, traduction)
On ne sera pas surpris d’apprendre que c’est l’épouse de M. Pendergast, Margaret, qui lui a soufflé le nom de la collection, d’après le dieu romain Mercure, connu pour sa capacité à livrer des messages à la vitesse de l’éclair, aussi vite que Bobby Orr sur la patinoire! Ainsi, 1972 ne fut pas seulement l’année de la série du siècle au hockey, mais aussi de la série de publications de la collection Mercure!
En 1982, la collection avait déjà publié plus de 100 titres et le Musée en faisait paraitre 10 par an, en moyenne.
SM : Comment la collection Mercure a-t-elle évolué au fil du temps?
PD : Depuis les années 1980, le monde de l’édition a passablement changé, surtout avec l’avènement des documents électroniques et de l’Internet. Je ne prétends pas avoir toutes les réponses, mais je dirais que la collection Mercure a su s’adapter constamment à son nouvel environnement. Je lève mon chapeau à la rapidité de la production, car d’une certaine façon, la collection a été créée un peu comme un ancêtre d’Internet. Au fil du temps, publier rapidement a perdu de l’importance et la collection a donc évolué, explorant plusieurs formats tout en s’articulant autour de l’évaluation par les pairs.
Autrement dit, au fil des 50 dernières années, la collection a acquis du prestige, non seulement grâce à l’excellence de ses ouvrages et à ses auteurs et autrices de renom, mais aussi parce qu’elle a toujours bien répondu à l’évolution de la diffusion des travaux de recherche. Cette capacité d’adaptation a transformé la collection en une série de publications évaluées par les pairs judicieusement conçue.
Enfin, grâce à notre partenariat avec les Presses de l’Université d’Ottawa, les tomes de la collection sont désormais imprimés en pleines couleurs, avec des images à haute résolution et à prix raisonnable, et ils bénéficient d’un large réseau de distribution, que ce soit sur papier ou en format électronique. Eh oui, la production est toujours aussi rapide, comme l’avait voulu le fondateur de la collection.
SM : La collection Mercure est connue pour sa contribution historique aux disciplines auxquelles s’intéresse le Musée canadien de l’histoire. Pouvez-vous nommer quelques-unes des tendances actuelles de la collection?
PD : D’après mes calculs, la collection compte quelque 540 ouvrages. Elle est si vaste qu’il serait facile de s’y perdre.
La publication la plus récente, The Far Northeast: 3000 BP to Contact (2022), est un ouvrage exceptionnel qui documente cette vaste période de l’histoire. Comme elle concerne l’archéologie des peuples autochtones de l’Est du Canada, elle s’appuie sur des voix autochtones; la couverture elle-même a été conçue par un artiste autochtone.
La sous-collection d’archéologie, forte de 181 volumes, est la plus grande. Celle qui se consacre à l’ethnologie n’arrive pas loin derrière, avec quelque 146 publications. Plus récemment, six livres ont été publiés en quatre ans dans la série sur l’histoire, à l’évidence en pleine croissance. Le plus récent volume de cette sous-collection, Material Traces of War : Stories of Canadian Women and Conflict, 1914—1945, raconte de façon tout à fait remarquable, à travers la culture matérielle, des histoires de femmes qui ont contribué à l’effort de guerre.
Mon collègue Gabriel Yanicki, conservateur, Archéologie de l’Ouest, et moi-même avons récemment présidé une séance de l’Association canadienne d’archéologie sur l’impact de la collection Mercure au fil de son histoire. De nombreux tomes de la collection sont encore aujourd’hui considérés comme des pierres angulaires de leur domaine respectif, notamment Threads of Arctic Prehistory : Papers in Honour of William E. Taylor, Jr., cité des centaines de fois dans des ouvrages scientifiques. Outre les sous-collections sur l’histoire, l’archéologie, la culture et l’ethnologie, il y en a eu d’autres dans la série, notamment sur les communications et la guerre et la poste.
Mais la collection Mercure ne s’adresse pas qu’à un public d’universitaires. L’impact pour les communautés de descendants (c’est-à-dire ceux et celles qui sont directement liés au thème exploré) et le grand public est plus difficile à jauger. Cependant, quand on cherche certains titres, surtout des dictionnaires et des grammaires en langues autochtones (voir ci-dessous), on a souvent du mal à les trouver en version papier. À mon avis, cela témoigne de la valeur durable de notre travail.
Quant à l’avenir de la collection, nous aimerions encourager plus d’auteurs et autrices autochtones à nous soumettre leurs travaux, et pourquoi pas, à publier un ouvrage entièrement écrit dans une langue autochtone.
Pour en savoir plus sur la collection Mercure et en acquérir les publications, rendez-vous à la boutique en ligne.
Référence :
- Dyke, Ian (2004). « Private and Public Passions: James Pendergast’s Archaeology and the National Museum of Canada », dans A Passion for the Past: Papers in Honour of James F. Pendergast, dirigé par J. V. Wright et J.-L. Pilon, pp. 5-48, collection Mercure, exposé d’archéologie 164, Musée canadien des civilisations.
Lectures complémentaires :
- Réflexions sur 1968 : Une année électrisante au Canada
- Hommage à une grande dame influente de la géographie historique
- Un port d’entrée : Récits d’immigration du Quai 21
Exemples de dictionnaires et de grammaires pour les langues autochtones :
- Micmac Dictionary
- A Grammar of Akwesasne Mohawk
- Western Abenaki Dictionary
- Phonology, Dictionary, and Listing of Roots and Lexical Derivates of the Haisla Language of Kitlope and Kitimaat, B.C.
La collection Mercure célèbre son 50e anniversaire en 2022. À sa création, la collection se caractérisait par un style minimaliste et un travail éditorial sommaire en vue d’une diffusion rapide, mais elle a depuis évolué en une vaste production haut de gamme d’ouvrages évalués par un comité de lecture. La collection Mercure compte aujourd’hui près de 500 volumes, dont des ouvrages novateurs sur l’histoire, l’archéologie, la culture et l’ethnologie canadiennes.
Elle est copubliée par le Musée canadien de l’histoire et les Presses de l’Université d’Ottawa.