Controverse autour d’un chandail

Jenny Ellison

C’est en 1990 que Hockey Canada met sur pied une équipe féminine nationale. Le premier championnat du monde de hockey féminin sur glace se déroule officiellement la même année à Ottawa. Comme les billets se vendaient peu au début, le comité organisateur du tournoi eut l’idée d’un coup publicitaire : faire porter aux hockeyeuses d’Équipe Canada un chandail rose et un pantalon de satin blanc.

La colère fut toutefois grande chez les joueuses et les organisatrices. Pour elles, un uniforme rose rendait anecdotique la performance athlétique de la nouvelle équipe féminine nationale. Force fut de constater que la décision controversée leur avait procuré des gains, car elle avait fait mousser la publicité de l’événement et les billets se vendirent. Équipe Canada remporta l’or au tournoi et les chandails roses furent retirés.

Ce n’était pas la première fois qu’un uniforme de hockey féminin suscitait une polémique. En 1938, il avait été interdit aux membres des Rivulettes de Preston d’enfiler leur chandail au cours du championnat national féminin parce que celui-ci arborait le nom de leur commanditaire : le Preston Springs Hotel. L’équipe avait accepté d’ajouter le mot « Springs » sur le chandail en échange de fonds pour l’achat d’équipement neuf.

Il y avait cependant un hic : la Dominion Women’s Amateur Hockey Association, « marraine » du tournoi, interdisait les commandites. L’obtention de toute forme de commandite ou d’argent était vue avec suspicion par le public, car on s’accordait à dire que seul l’amour du sport devait inciter les joueuses à s’élancer sur la glace. Les Rivulettes aimaient certes le hockey, mais elles avaient aussi besoin d’un soutien financier pour acquérir de l’équipement.

Dans un contexte où sévissait la grande crise économique des années 1930, une telle assistance financière était vitale. En raison des restrictions limitant les commandites, les Rivulettes ont fini par revêtir des chandails comportant la mention « Springs » durant la saison de hockey et en empruntaient d’autres lors du tournoi du championnat. Malgré la controverse, elles ont rapporté chez elles le trophée Lady Bessborough cette année-là – le prix remis à la meilleure équipe de hockey féminin au Canada à l’époque.

Uniforme de hockey et patins ayant appartenu à Hilda Ranscombe, vedette des Rivulettes de Preston. Musée canadien de l’histoire, IMG 2016 0253 0021-DM.

Uniforme de hockey et patins ayant appartenu à Hilda Ranscombe, vedette des Rivulettes de Preston. Musée canadien de l’histoire, IMG 2016 0253 0021-DM.

Acquis par le Musée canadien de l’histoire en 2015, cet uniforme de hockey et ces patins ont appartenu à Hilda Ranscombe, joueuse vedette des Rivulettes. Ces objets exceptionnels seront montrés pour la première fois dans l’exposition Hockey, présentée au Musée du 10 mars au 9 octobre 2017. L’acquisition comprend un chandail et des chaussettes en laine ainsi qu’un short cargo muni d’une boucle à la taille.

Hilda Ranscombe et des coéquipières de baseball avaient formé les Rivulettes pour pratiquer un sport d’hiver ensemble. Le hockey était apparu comme un choix évident dans leur ville natale puisqu’il y avait un aréna et que les patinoires extérieures abondaient. Les jeunes femmes avaient reçu une somme d’un député local pour embaucher un entraîneur et avaient inscrit leur équipe à la Ladies Ontario Hockey Association.

Queens of the Ice de Carly Adams, Ph. D., raconte l’histoire des Rivulettes, qui ont dominé le hockey féminin canadien de 1933 à 1940. L’équipe a atteint la finale nationale chaque année et remporté quatre championnats. Des milliers d’amateurs payaient pour la voir affronter d’autres équipes féminines dans les années 1930. Les journaux locaux et nationaux consacraient des articles aux équipes de femmes, dont les victoires étaient célébrées par la population. Certaines hockeyeuses sont devenues des étoiles locales.

Les journaux de l’époque qualifiaient de « bagarreur » le style de jeu des Rivulettes. Les joueuses ne faisaient aucunement preuve de délicatesse les unes envers les autres – elles échangeaient même des coups –, et leur pugnacité faisait sourciller. Les journalistes reprochaient parfois aux Rivulettes de jouer « comme des hommes ».

Hilda Ranscombe vers 1933. Archives de la Ville de Cambridge, famille de Hilda Ranscombe

Hilda Ranscombe vers 1933. Archives de la Ville de Cambridge, famille de Hilda Ranscombe

Certains commentateurs disaient aussi des joueuses qu’elles étaient « douces », laissant entendre que le hockey était trop dur pour elles. Mais les femmes voulaient jouer et ne se sont pas laissées démonter. La plupart des Rivulettes travaillaient dans des usines le jour et jouaient le soir et la fin de semaine. Comme on ne leur accordait pas la priorité, les équipes féminines ne pouvaient jouer que lorsqu’on laissait la place libre sur les patinoires.

Après leur âge d’or, dans les années 1930, les ligues de hockey féminin sont disparues durant la Seconde Guerre mondiale. Des équipes ont été formées dans les années 1940 et 1950, mais rares étaient les tournois et il a fallu attendre les années 1970 pour voir la création de ligues pour les femmes. Depuis 1990, cependant, l’inscription de jeunes filles et de femmes au hockey a décuplé.

Le jeu combattif, l’appui des partisans et la grande popularité d’équipes comme les Rivulettes ont approfondi notre connaissance de l’histoire du hockey féminin. Chose certaine, l’attachement des femmes au hockey ne date pas d’hier. Le chandail et les patins de Hilda Ranscombe nous rappellent que le hockey est indissociable de la culture canadienne. Les joueuses, les sujets prêtant à controverse et les limites de l’acceptable ont bien changé au fil des ans, et l’évolution se poursuivra sur la planète hockey.

L’histoire des Rivulettes de Preston ne vient éclairer qu’une des nombreuses dimensions captivantes du sport d’hiver national du Canada que nous fait découvrir l’exposition Hockey, à l’affiche au Musée de l’histoire, dès le 10 mars.

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