L’année 2016 marque le 100e anniversaire de l’obtention du droit de vote par des femmes lors d’élections provinciales. Aussi évident que cela puisse paraître aujourd’hui de voir les femmes voter, le mouvement engagé pour garantir ce droit a longtemps semé la discorde au sein de la société. Cet important jalon de l’histoire de notre pays constitue le thème choisi à l’occasion de la Semaine de l’histoire du Canada, qui se déroulera du 1er au 7 juillet.
Afin de souligner l’obtention du droit de vote des Canadiennes, le Musée canadien de l’histoire s’est associé au Musée du Manitoba pour réaliser une expovitrine qui rappelle cet important anniversaire. Dans ce tout dernier article, nous invitons Roland Sawatzky, conservateur spécialisé en histoire au Musée du Manitoba, à nous faire part de ses réflexions sur la création de cette expovitrine.
« Les femmes de bien ne veulent pas voter », voilà les paroles qu’aurait lancées le premier ministre du Manitoba, sir Rodmond Roblin, au cours d’un échange animé avec Nellie McClung en 1914, alors que le mouvement des suffragettes battait son plein. Deux ans plus tard, le Manitoba devenait la première province à accorder le droit de vote à quelques femmes.
Lorsque le Musée du Manitoba a préparé une exposition pour souligner le centenaire du droit de vote accordé aux femmes, nous avons décidé de reprendre les mots célèbres de Roblin en guise de titre. C’était un choix judicieux, car il en a fait sourciller plus d’un. Outre celui d’attirer l’attention, nous avions deux objectifs : présenter des artefacts authentiques témoignant de cette période et inviter les Canadiens et Canadiennes à « redécouvrir » un épisode de leur histoire sous un nouvel angle.
Le manque d’artefacts issus de notre propre mouvement de suffragettes constituait le premier obstacle à franchir si nous voulions réaliser notre projet. Nous avons donc opté pour la solution vers laquelle se tournent la plupart des musées dans une telle situation : nous avons lancé un appel au public. Pour ma part, j’ai fait quelques apparitions à la télévision et pris la parole à la radio, en plus de donner des entrevues publiées dans les journaux, en tant que conservateur de l’exposition.
Dès la première semaine qui a suivi notre campagne médiatique, nous avons reçu des réponses intéressantes, inattendues et tout à fait bienvenues du public. Les gazouillis et les courriels ne cessaient d’affluer, et un thème ressortait du lot : les femmes autochtones n’ont pas obtenu le droit de vote en 1916. C’est un aspect que nous voulions inclure dans l’exposition et les guides pédagogiques, mais la question n’a pas été soulevée dans nos premiers entretiens avec les représentants des médias.J’étais personnellement emballé par l’attention que portait le public à la question et par sa façon percutante de la soulever. Je savais dès lors qu’il nous fallait être explicites quant au fait que les femmes, ainsi que les hommes, dont le statut était défini par un traité ne pouvaient voter légalement que si elles renonçaient à leurs droits issus du traité en question. Ce n’est qu’en 1952 que cette exigence a été levée au Manitoba. Aux élections fédérales, il faudra attendre 1960 pour que ce soit le cas.
Nous avons aussi commencé à recevoir des appels de personnes qui conservaient avec soin leurs trésors et artefacts témoignant de la lutte des femmes depuis des dizaines d’années, et qui étaient prêtes à les prêter ou à en faire don aux fins du montage de l’exposition. L’éventail était vaste, des menus objets aussi petits qu’une breloque de montre aux plus gros, comme un mur de maison affichant un graffiti. Les photographies d’un pique-nique de suffragettes près de la rivière Roaring, un fanion indiquant « Votes for Women » et des pièces évocatrices en céramique ont tous été acceptés.
La collection nous rappelle qu’il a fallu un mouvement populaire massif pour faire progresser le débat lancé par les suffragettes. Par exemple, une copie d’une pétition de 1894 pour l’obtention du droit de vote des femmes contient plus de 5 000 signatures. Des chefs de file réputés ont affûté les arguments pour la cause, et des milliers de femmes et d’hommes de partout, travaillant dans des fermes ou des usines, ont insufflé leur énergie et donné un sens au mouvement.
La collection et l’exposition nous font aussi réfléchir au fait que le débat a surtout suscité les interventions de personnes blanches, anglophones, protestantes et nouvellement arrivées dans la société canadienne, laissant souvent de côté les Autochtones ainsi que de nombreuses communautés immigrantes de l’Europe de l’Est. L’obtention du droit de vote pour tous et toutes au Canada a évolué en dents de scie.
Depuis qu’elle a fermé ses portes au Musée du Manitoba, à Winnipeg, l’exposition « Les femmes de bien ne veulent pas voter » effectue une tournée dans différentes villes de la province. Elle sera présentée au Musée canadien de l’histoire du 5 octobre 2016 au 12 mars 2017.