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La patrie et la population
Patrie et
population





    La préhistoire de
    Haida Gwaii




(Page 1)

À la fin de la dernière période glaciaire, il y a 13 000 à 11 000 ans, des événements firent considérablement baisser le niveau de l'eau autour de Haida Gwaii. L'actuel détroit d'Hécate, la masse d'eau qui sépare Haida Gwaii du continent, était en majeure partie asséché. Dans tout ce secteur sec, il y avait des lacs et de petits cours d'eau s'écoulant vers le nord et le sud jusque dans l'océan Pacifique. Des échantillons de sol du détroit d'Hécate indiquent que beaucoup de secteurs étaient habitables au cours de la dernière période glaciaire. Après il y a 10 000 ans, les glaciers, en fondant, provoquèrent une hausse du niveau de la mer qui entraîna l'inondation de la côte nord-ouest, créant temporairement des lignes de plage bien au-dessus des actuelles marques de la marée haute.

Le souvenir de cette importante fluctuation du niveau de la mer est conservé dans les mythes ayant pour sujet des inondations, très répandus parmi les populations de la côte nord- ouest. Un grand nombre de ces récits ont été consignés. En 1892, James Deans, un marchand de la Compagnie de la Baie d'Hudson, a entendu une légende relatant précisément des événements de la période glaciaire sur la rivière Honna, dans Haida Gwaii :

Voici un récit d'il y a très très longtemps chez notre peuple, les Hiderys, qui dit qu'à Quilh-cah, à environ trois milles à l'ouest du village d'Illth-cah-geetla, ou Skidegate, vivait un garçon dont le nom était Scannah-gan-nuncus [...]

[...] Un jour, s'aventurant plus loin que d'habitude, il remonta en bateau la Hunnah, un torrent qui déverse ses eaux dans le chenal Skidegate, à quatre ou cinq milles [6,5 à 8 km] à l'ouest de l'endroit où il vivait.

La tradition dit que cette rivière était à cette époque trois fois plus grosse que de nos jours. Maintenant, il y a rarement assez d'eau pour faire flotter une pirogue, sauf à marée haute. On raconte aussi que les eaux de la mer remontaient plus haut dans les terres qu'aujourd'hui. On voit partout des témoignages du relèvement des terres; de vieux points de repère indiquent trente pieds [9 m].

Après avoir remonté le cours d'eau, il se sentit fatigué et, pour se reposer, il débarqua et se coucha. À cette époque-là, à l'endroit où il était débarqué il y avait de grosses pierres dans le lit de la rivière, qui était bordée d'un grand nombre d'arbres. Tandis qu'il se reposait au bord de la rivière, il entendit un bruit épouvantable en amont, qui venait dans sa direction. Jetant un regard pour voir ce que c'était, il eut la surprise de voir toutes les pierres de la rivière venir vers lui. Le mouvement des pierres l'effraya tant qu'il se leva d'un bond et courut dans le bois. Là, il se rendit compte qu'il avait fait erreur, car tous les arbres craquaient et gémissaient; tous semblaient lui dire :
«Retourne, retourne tout de suite à la rivière, et cours aussi vite que tu le peux.» Il s'élança aussitôt. Lorsqu'il eut rejoint la rivière, poussé par la curiosité, il alla voir ce qui écrasait les pierres et brisait les arbres. Les ayant atteints, il se rendit compte qu'une grosse masse de glace descendait, repoussant tout devant elle. Voyant cela, il remonta dans sa pirogue et retourna au plus vite chez lui.

Deans s'interroge, non sans perspicacité, sur un problème qui continue de nous intriguer aujourd'hui :

J'ignore qui était l'auteur de ce récit, ou quand il fut adopté par les Scannahs [phratrie de l'Épaulard]. Une tradition rappelant la descente d'un glacier sur la Hunnah devait sans doute être répandue à l'époque où les Scannahs choisirent cet animal comme emblème. Cet événement doit s'être produit tout au début de la colonisation de ces îles, car la tradition dit qu'à l'époque seules deux ou trois familles vivaient dans la partie sud-est de ces îles et que, à l'exception de notre héros et de sa grand-mère, qui vivaient à Quilh- cah, tous les autres habitaient un petit village de l'île Maud, à un mille et demi à l'ouest de Quilh-cah.

D'après la tradition haïda, il y avait un vestige d'une population antérieure sur la côte ouest de Haida Gwaii. Marius Barbeau, du Musée canadien des civilisations, a entendu une légende sur une inondation racontée par Henry Young, de Skidegate (Barbeau, manuscrit). Une étude approfondie des mythes relatifs à l'inondation ou connexes devrait démontrer que les Haïdas habitent Haida Gwaii depuis la fin de la dernière période glaciaire et constituent donc une des populations du Nouveau Monde dont la présence attestée en un lieu est la plus ancienne.

Les premiers témoignages de la présence des Haïdas consistent en outils de pierre grossièrement taillés trouvés dans des zones intertidales autrefois sèches. Des pirogues pouvant naviguer sur la mer permirent à ces premiers habitants de communiquer avec leurs voisins du nord, auxquels ils empruntèrent de nouveaux types d'outils, dont des éclats de pierre tranchants appelés microlames. Celles-ci étaient de préférence faites d'obsidienne, un verre volcanique dont on peut déterminer avec précision le lieu d'origine. La présence dans les îles d'obsidienne provenant de gisements continentaux éloignés semble indiquer que les premiers habitants de Haida Gwaii étaient de bons marins.

Des fouilles archéologiques ont permis de découvrir, dans toutes les parties de Haida Gwaii, des sites indiquant que la population était importante il y a 5 000 ans. L'économie connaissait à cette époque une mutation, puisqu'elle reposait jusque-là avant tout sur la chasse et la pêche, et qu'on commençait maintenant à ramasser les coquillages des énormes zones intertidales entourant un grand nombre des voies navigables les plus protégées des îles. Les coquillages, qui étaient très abondants, constituant une source pratiquement inépuisable de nourriture, il devenait ainsi possible d'être sédentaire, ce qui amena la création de villages plus permanents où les aliments, les outils et d'autres objets matériels pouvaient être entreposés en toute sécurité, et l'apparition d'artisans pouvant consacrer plus de temps à l'art. Ces changements entraînèrent le perfectionnement des outils et des techniques de travail du bois, et, par voie de conséquence, la construction de pirogues plus grosses et plus travaillées ainsi que de maisons de planches plus grandes.

De meilleures embarcations permettaient également aux gens d'aller beaucoup plus loin à la recherche de nourriture, et rendaient la guerre, particulièrement contre les tribus du continent, rentable. De fait, à l'époque des premiers contacts avec des Européens, les Haïdas pouvaient s'élancer de leur île forteresse et franchir les eaux dangereuses du détroit d'Hecate, dont ils avaient seuls la maîtrise, sans trop craindre de représailles de la part de leurs ennemis continentaux.


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