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Histoire des Autochtones du Canada
Tome II (1 000 avant J.-C. à 500 après J.-C.)

Les Maritimiens récents (Sommaire, Chapitre 22)

Les Maritimiens récents ont occupé les provinces maritimes, la région de Gaspé au Québec, et le nord du Maine. Les limites de l'enregistrement archéologique ont fourni un terrain fertile aux opinions divergentes concernant l'histoire culturelle de la Période IV. Le principal problème que confronte l'archéologie se rapporte à la destruction d'une grande partie de l'enregistrement archéologique par l'empiétement de la mer. L'affaissement de la croûte terrestre a entraîné non seulement l'érosion d'un nombre incalculable de sites archéologiques mais aussi l'effacement de pans temporels entiers dans certaines régions. Comme on l'a souligné pertinemment, "Il est impossible de savoir quelle proportion de la préhistoire américaine gît maintenant sur le plateau continental mais il ne serait certainement pas sage de tenter de reconstituer la préhistoire comme si cette destruction n'avait pas eu lieu" (Brennan 1974 : 92). En dépit de l'influence de plusieurs facteurs locaux, le taux de la submersion terrestre sur les côtes des provinces maritimes semble avoir été relativement constant (Scott et al. 1987). Entre il y a 4 500 et 2 000 ans, l'élévation du niveau de la mer a varié passant d'un sommet de 1 m par siècle à 15 cm par siècle. Ainsi la période qui s'étend de la fin de la Période III au début de la Période IV, semble avoir été caractérisée par une stabilité côtière croissante, facteur important à l'établissement et au maintien des écosystèmes complexes dont dépendaient les Maritimiens récents. En dépit de la destruction généralisée des sites, plusieurs endroits témoignent d'une occupation humaine ininterrompue pendant environ 6 000 ans (Bourque 1975). Compte tenu qu'une aussi grande proportion de l'enregistrement se trouve "à l'eau", il est compréhensible que se multiplient les interprétations contradictoires. Même les gisements de l'intérieur qui se situaient à l'abri des ravages de la mer et qui auraient pu compenser, du moins en partie, les pertes côtières, ont été ravagés à leur tour par les activités centenaires comme l'exploitation forestière, la construction des digues et les programmes récurrents de construction.


Carte V - Expansion vers l'est du complexe mortuaire adénien
Carte V - Expansion vers l'est du complexe mortuaire adénien dans le cadre du nord-est de l'Amérique du Nord
1 Majeure propagation de culte depuis le sud | 2 Diffusion du culte au Canada | 3 Routes probables du cuivre importé dans le territoire adénien profond | 4 Formations de cuivre dans le bassin du lac Supérieur

A Tumulus funéraire | B Site de sépulture | C Cuivre du lac Supérieur | D Coquille marine (conche) | E Argile réfractaire de l'Ohio | F Silex de la vallée de l'Ohio

La carte illustre les sources géologiques du cuivre du lac Supérieur et l'emplacement des sites du complexe funéraire adénien dans la partie septentrionale du nord-est de l'Amérique du Nord. Elle indique aussi les endroits où ont été trouvés divers articles exotiques ainsi que les routes probables empruntées par ces derniers pour pénétrer au Canada par l'intermédiaire du bassin des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent.

(Adaptation de la Planche 14 de l'Atlas historique du Canada, Tome I, Harris et Matthews 1987. Dessin de M. David W. Laverie.)


Objets des Maritimiens récents - Dessins : David Laverie Objets des Maritimiens récents

À gauche, le vase en poterie, caractéristique de la tradition nordique de la poterie des Maritimiens récents, illustre la poterie estampée à l'aide d'un objet dentelé. Les deux pointes sur le bord du vase sont appelées crestellations et constituent un trait décoratif général qu'on ne retrouve pas dans la tradition méridionale de la poterie. Le vase en poterie a été adapté de McIntosh (1909). Au centre de la Figure se trouve une pointe de projectile typique, en pierre taillée, alors qu'à droite on voit une tête de harpon unilatéralement barbelée comportant un trou de ligne de récupération ou d'un rivet.

(Dessins de M. David W. Laverie.)


Il y a consensus sur le fait qu'avec l'introduction des vases en poterie chez les Maritimiens récents peu avant 500 avant J.-C., les développements culturels subséquents ont conduit directement à la formation des Micmacs, des Malécites et des Passamaquoddy que les Européens ont rencontrés au début du 17e siècle. L'apparition des vases en poterie, tout importante qu'elle soit aux yeux des archéologues, ne représente que l'ajout d'un élément technique qui a été incorporé à l'outillage antérieur. Partout dans l'est de l'Amérique du Nord, une convention archéologique veut que l'apparition de la poterie soit utilisée pour marquer la fin de l'Archaïque et le début du Sylvicole. On a d'abord cru que la fabrication de la poterie était le fait de sociétés de plus en plus complexes qui s'adonnaient à l'horticulture et au rituel des tumulus funéraires, ce qui témoignait de la mise en place d'un stade de développement culturel substantiellement plus élaboré qu'à l'Archaïque précédent. Les recherches subséquentes ont cependant démontré que, partout en Amérique du Nord, la poterie ne correspondait qu'à l'introduction d'un élément technique qui n'entraînait aucun effet important sur les modes de vie antérieurs. En effet, à certains endroits, des répliques en poterie ont simplement remplacé les récipients en pierre autrefois en usage.

L'enregistrement archéologique témoignant de la transition entre l'Archaïque et le Sylvicole est malheureusement restreint. En fait, on a pensé que la période entre 1 500 et 500 avant J.-C. constituait une césure culturelle (Keenlyside 1984 : 2). Comme on l'a esquissé pour la Période III (Wright 1995), on se demande encore si les Archaïques récents ou terminaux de la région ont été partie prenante du Maritimien moyen (Archaïque des Maritimes), du GLSaint-Laurentien (Archaïque laurentien), de l'Archaïque susquehannien, ou d'une combinaison des options précédentes. La propagation vers le nord des Archaïques susquehanniens semble avoir à peine touché les provinces maritimes. Ces migrations se situent donc généralement en périphérie des événements qui se sont déroulés au cours de cette période. L'enregistrement restreint et la béquille potentiellement traîtresse de la simplicité nous incitent à croire que les Archaïques récents des provinces maritimes émanent d'une culture indigène apparentée au Maritimien moyen et que les Maritimiens récents constituent les descendants directs de cette culture. Cette déduction repose sur la continuité de la technologie, des modes d'établissement et de la subsistance.

L'outillage du Maritimien récent se compose de pointes de projectile à gros pédoncule et à encoches latérales larges ou à pédoncule divergent, de gros grattoirs qui deviennent de plus en plus petits et nombreux avec le temps, un nombre limité de lames de hache simples en pierre polie, des affûtoirs et d'autres outils grossiers en pierre. Enfin, des vases de poterie façonnés, généralement décorés à l'aide d'une sorte d'outil dentelé, apparaissent vers 500 avant J.-C. et peut-être avant. La méthode de manufacture de la poterie, ainsi que les motifs, les techniques de décoration, et la forme générale des vases, sont en tout point semblables à la poterie de la haute vallée du Saint-Laurent, du Québec et de l'Ontario. À cet égard, la poterie ancienne des provinces maritimes représente le déploiement le plus oriental d'une tradition de poterie distinctement nordique sur le plan des caractères et de la distribution. Une tradition de poterie assez différente consistant en vases en forme de gobelet, le plus souvent estampés tant à l'intérieur qu'à l'extérieur à l'aide d'un battoir cordé, a été identifiée dans des sites contemporains situés immédiatement au sud. Même si on a suggéré que cette poterie particulière ait pu être apportée au Nouveau-Brunswick par le complexe meadewoodien du GLSaint-Laurentien récent, la présence de ce complexe n'a pas été démontrée de façon convaincante et repose sur des traits funéraires et des formes de pointes de projectile de caractère très général (Deal 1986; Ferguson 1988 : 17-18; Turnbull and Allen 1988).

Les deux traditions différentes de poterie mentionnées ci-dessus sont géographiquement séparées, la poterie estampée localisée au nord de la poterie à impression cordée qui, elle, est située évidemment plus au sud. Une exception importante à cette affirmation est constituée par une avancée de la tradition de la poterie à impression cordée vers le nord, dans la vallée du Saint-Laurent entre approximativement Trois-Rivières et la ville de Québec. Le lien nord-sud entre les deux traditions de poterie des Maritimes est équivalent à celui qui, à l'intérieur de l'Amérique du Nord, caractérisait le GLSaint-Laurentien récent et le Bouclérien récent de l'ouest par rapport à leurs voisins du sud. La poterie lisse, comportant parfois de simples décorations incisées ou ponctuées, est évidemment ancienne et peut-être reliée aux traditions de poterie à impression cordée et dentelée. Il a été nécessaire de tenir compte des traditions de poterie car la poterie a fréquemment été utilisée pour identifier les cultures archéologiques, trop souvent à l'exclusion d'autres considérations.

L'occupation par les Maritimiens récents des sites situés sur les côtes et les rives fluviales se poursuit fréquemment à la période suivante, la Période V (500 après J.-C. jusqu'à l'arrivée des Européens). Dans la région de Passamaquoddy Bay dans le sud-est du Nouveau-Brunswick, où ont eu lieu de nombreuses reconnaissances et des fouilles étendues, les sites se caractérisent par une exposition au sud et au sud-est, sont situés près des bas fonds riches en crustacés et comportent des plages pour mettre des canots à l'eau ou pour accoster, et dans la voisinage d'eau potable (Sanger 1985). L'analyse faunique permet de penser que les sites côtiers d'amas de coquillages représentent des occupations de saison froide même si quelques sites auraient pu être occupés sur une base annuelle. Les sites riverains de l'intérieur, situés près des courants forts et des rapides, ont vraisemblablement été occupés au printemps et en été pour profiter de la concentration des poissons lors des fraies, notamment du capelan et de l'éperlan (Osmeridae sp.), de l'esturgeon (Acipenser oxyrhynchus), du gaspereau (Alosa pseudoharengus), de l'alose (Alosa sapidissima), et du saumon (Salmo salar). Les concentrations de l'anguille de l'Atlantique (Anguilla rostrata) et du poulamon (Microgadus tomcod) à l'automne et en hiver respectivement, auraient aussi été exploitées (Scott and Scott 1988).

On a avancé la suggestion pertinente aux Maritimes que, sur la côte de la Nouvelle-Angleterre, le ramassage des crustacés constituait une activité limitée jusqu'à la fin de l'Archaïque mais qui a augmenté en importance au Sylvicole subséquent (Braun 1974 : 582). Puisque la majorité des sites côtiers de l'Archaïque ont probablement été détruits par l'élévation du niveau de la mer, on ne connaît évidemment pas à quel point l'exploitation des crustacés a constitué une activité de subsistance importante. Au Maine, les amas de coquillages maritimiens moyens qui ont survécu, notamment le Nevin Shellheap (Byers 1979) et le Turner Farm (Bourque 1976), laissent croire que la destruction des amas de coquillages à la Période III constitue une explication plus appropriée à la rareté des anciens amas de coquillages qu'un désintéressement de longue date à l'égard d'une ressource nutritive facile à exploiter et à traiter, et localement abondante. L'opinion que le ramassage intensif des crustacés était associé à des Archaïques récents déjà adaptés aux ressources des rives de l'intérieur et étaient attirés par les ressources littorales de la côte, ignore la probabilité d'une histoire plus ancienne du ramassage des crustacés. Alors que la relative instabilité de la côte à l'époque des Maritimiens moyens a voilé l'établissement de riches lits de crustacés dans plusieurs régions, elle n'a vraisemblablement pas affecté toutes les régions.

Dans le but d'expliquer la rareté de l'enregistrement archéologique relié à la transition entre l'Archaïque et le Sylvicole, on a proposé un certain nombre de scénarios ou de modèles. Ces derniers varient de propositions se rapportant à des écosystèmes instables qui auraient forcé les chasseurs de l'intérieur à se fier aux ressources du littoral ou se rapportant à une stabilité environnementale qui aurait permis une exploitation efficace, par les Archaïques susquehanniens qui, préalablement adaptés, se déplaçaient vers le nord ou se rapportant aux descendants de ces derniers qui auraient obligé les populations locales à se déplacer ou éventuellement à se fusionner avec eux. L'enregistrement d'une modification environnementale d'une ampleur suffisante pour appuyer de tels réajustements drastiques est faible. Il semble plutôt que les Maritimiens récents et leurs ancêtres possédaient des systèmes flexibles, susceptibles de s'adaptter à diverses situations. La césure culturelle que les uns perçoivent ou les changements rapides suscités par l'environnement que les autres appréhendent ne sont pas responsables de la nature mal comprise de l'enregistrement archéologique de cette époque. Il semble bien que les méthodes analytiques inadéquates peuvent être largement responsables de la rupture perçue dans la continuité culturelle. Ce n'est pas un hasard sila confusion à interpréter l'enregistrement archéologique coïncide avec la disparition de plusieurs traits diagnostiques de l'Archaïque récent, notamment les gouges, les projectiles-lances ou les pointes-couteaux en ardoise polie, les pesons et les pratiques mortuaires spécifiques, et avec l'apparition d'une nouvelle grande classe d'objets: la poterie. La difficulté que pose l'enregistrement archéologique de la Période IV pourrait être causée par un manque constant d'objets commodes, dits "fossiles directeurs". Cependant, comme plusieurs chercheurs l'ont noté, l'industrie de la pierre taillée montre une claire continuité entre les sites qui comportent ou non de la poterie. Cette continuité est renforcée par des correspondances dans les modes d'établissement et les modes de subsistance de l'Archaïque récent/période avec céramique.

Un événement important qui est survenu dans la région des Maritimes et de Gaspé implique l'apparition du complexe mortuaire d'Adéna provenant de la vallée de l'Ohio. On ne peut évoquer les raisons qui expliquent pourquoi les cérémonies mortuaires élaborées du Maritimien moyen ont disparu pour être remplacées éventuellement, près de 1 000 ans plus tard, par des pratiques mortuaires provenant de l'intérieur de l'Amérique du Nord à quelque 1 700 km de distance. Si l'expansion du complexe mortuaire adénien dans les Maritimes est reliée à l'expansion du réseau d'échange, quel était le but de cet échange, où se trouve l'enregistrement archéologique d'un échange séculier par opposition à un échange religieux, et pourquoi la direction du contact a changé de l'intérieur du continent en direction des anciennes routes le long de la côte de l'Atlantique? Que s'est-il passé pendant les 1 000 ans de fossé qui sépare les deux systèmes mortuaires du Maritimien moyen et récent? Et, comme ce fut le cas avec le GL-St-Laurentien récent et le Bouclérien récent de l'ouest, pourquoi seulement une très petite proportion des Maritimiens récents a apparemment participé à l'introduction de ces cérémonies funéraires? Même si la nature hautement prescrite du cérémonial mortuaire adénien, identifié dans une région étendue du nord-est de l'Amérique du Nord, laisse croire à l'existence d'un clergé superviseur ou d'une classe de prêtres-chamans, il y a aussi un enregistrement évident d'une participation locale aux activités cérémonielles reflétées par des instruments tirés de matériaux locaux et aux styles locaux manifestés dans les sépultures. L'adhésion relativement rigide à un ensemble spécifique de pratiques funéraires et l'usage de classes spécifiques d'offrandes mortuaires, une certaine forme hautement structurée d'un comportement sanctifié émanant d'un centre de la vallée de l'Ohio se reflète dans l'enregistrement. La participation des Maritimiens récents à cette manifestation religieuse, quoique limitée, inclut un tumulus funéraire près de la rivière Miramichi qui, de mémoire d'homme, était encore considérée comme un lieu sacré par les résidants de la population micmaque. Ceci permet de croire à l'existence d'une tradition orale peut-être vieille de 2 500 ans. Un autre tumulus funéraire apparenté, en grande partie détruit par des activités de construction, a été identifié à l'extérieur d'Halifax (Dr. Steven Davis, St.Mary's University, Halifax : Communication personnelle et examen personnel). La distribution des sites suggère que le complexe funéraire adénien se propagea dans les provinces maritimes via le fleuve St-Laurent plutôt que vers le nord le long de la côte de l'Atlantique.


 
Tome ITome II

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