J'ai le privilège d'avoir vu les deux mondes. D'avoir vu
l'apartheid, mais sans savoir que c'était l'apartheid. Parce que je
n'avais jamais rien connu d'autre. Et puis d'en sortir, et d'avoir
réellement vu le changement.
Ma grand-mère disait toujours : « c'est toi
qui fixe tes critères. Ne laisse jamais personne te dire que tu places
la barre trop haute. Donne-toi des objectifs, et réalise-les. Quand tu
n'arrives pas à les atteindre, tu te dis avant de te coucher : Lorraine,
j'ai essayé. Puis, tu poses la tête sur l'oreiller et tu dors
parce que tu as la conscience claire. »
Propos recueillis lors d'une entrevue.
Née à Johannesburg, en Afrique du Sud, Lorraine Klaasen a
grandi dans une famille de musiciens. « J'étais une
enfant privilégiée parce que la musique faisait partie de mon
quotidien, de mon héritage. »
En 1975, à
l'âge de 19 ans, elle séjourne avec un groupe en Israël.
Pour la première fois, Lorraine découvre un autre regard sur son
propre pays. « Les gens me disaient :" tu viens
d'Afrique du Sud. Comment vis-tu l'apartheid ?" Quoi ?
C'était la première fois que nous regardions notre pays de
l'extérieur. Les gens nous posaient des questions auxquelles nous
n'aurions nous-mêmes jamais pensé. » En 1976,
les manifestations étudiantes et la violence de la répression
obligent Lorraine à s'éloigner de son pays. « On
ne part jamais avec l'idée qu'on ne reviendra pas »,
dit-elle. C'est durant cette période que plusieurs membres de sa famille
sont tués.
Elle s'installe au Canada. À Montréal, les débuts sont
difficiles. « L'hiver est arrivé. C'était ma
première expérience de la neige, du froid. Je n'avais pas de
famille, pas d'amis. Mon mari travaillait. Imaginez combien je me sentais
seule ». Si auparavant, Lorraine s'inspirait des chansons
américaines, la solitude qu'elle ressent dans son nouveau pays d'accueil
réveille son africanité. Elle remplace ses robes
« à la Diana Ross » par des tenues
africaines et ouvre son répertoire à des chants traditionnels
sud-africains. « Je revenais aux racines. L'instinct a pris le
dessus. Ce fut un point tournant. » Ses rencontres avec des
artistes d'horizons divers, ainsi que ses différents voyages,
métissent son répertoire et ses musiques. « Je
travaille avec des Jamaïcains, des Haïtiens, des
Québécois. Quand je voulais comprendre leur musique, j'allais
dans leur pays. J'apprenais, puis je retournais à mes racines et
incorporais dans ma musique ce que j'avais puisé dans la leur. »
L'Afrique du Sud est aujourd'hui un pays où
Lorraine peut retourner, une terre où elle se ressource, qui nourrit
son inspiration et la vie artistique qu'elle mène ici :
« Je reste toujours proche de l'Afrique du Sud. J'y retourne plus
souvent qu'avant. J'ai réussi, au sens où j'ai
réalisé mes objectifs, atteint mon but. Je me sens utile. Quand
je retourne chez moi, je recharge mes batteries. Cela m'incite à revenir
ici et à continuer. »
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