Photo Chronique La période 1920-1997 à la loupe
Des militants font la promotion du « oui », durant la Seconde Guerre mondiale, au plébiscite sur la conscription militaire. Les guerres ont eu un grand impact sur le système électoral.

Le droit de vote à l'époque moderne, 1920-1997
L'Acte des élections fédérales
La Seconde Guerre mondiale et ses suites
        Les exclusions fondées sur la         race

        Les exclusions fondées sur la         religion

        L’élimination de la         discrimination

Les Autochtones et le droit de vote
La Charte : un tournant
Conclusion
Sommaire : Le vote au cours des décennies

Table des matières
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La Seconde Guerre mondiales et ses suites

L’étape suivante verra l’élimination des restrictions fondées sur la race et la religion, dont certaines sont en vigueur depuis de nombreuses années. Ce sera également une période d’innovation en matière d’accessibilité au suffrage, car des changements législatifs et administratifs viendront faciliter le vote encore davantage.

L’entre-deux-guerres est marqué par une montée de ressentiment envers certains groupes minoritaires au Canada. Une certaine méfiance envers les « étrangers » persiste depuis la Première Guerre mondiale. Comme il arrive souvent en période de difficultés économiques, ce sentiment se transforme en véritable hostilité pendant la grande dépression des années 1930, exacerbant les conflits sociaux qui découlent de la rareté des emplois et des ressources. Finalement, l’avènement de la Seconde Guerre mondiale provoquera une animosité accrue envers certains groupes raciaux, particulièrement les Canadiens d’origine japonaise.

En raison de ces puissants courants sociaux, certains groupes continuent d’être privés du droit de vote pour des motifs liés à la race ou à la religion. Beaucoup de Canadiens et Canadiennes ordinaires semblent accepter la situation tout naturellement. Cependant, et c’est tout à leur honneur, des députés de tous les partis s’opposent au racisme et à l’injustice sociale dans des discours passionnés aux Communes. Mais dans le climat d’intolérance qui règne alors, particulièrement dans les années 1930, leurs paroles n’auront guère d’écho.

Après la Seconde Guerre mondiale, les Canadiens semblent se rendre compte qu’ils ont mal agi envers un grand nombre de groupes minoritaires, et la tendance à l’exclusion des années antérieures commence à se renverser. En 1960, les mesures d’exclusion fondées sur la race ou la religion auront été éliminées. Parallèlement, des changements législatifs et administratifs permettent à un nombre croissant de Canadiens d’exercer leur droit de vote de diverses façons.


Les exclusions fondées sur la race     haut

L’une des exceptions importantes au suffrage universel des adultes prévue dans l’Acte des élections fédérales de 1920 est une disposition stipulant que toute personne privée du droit de vote dans une province « à cause de sa race » est privée du même droit au niveau fédéral. En 1920, une seule province, la Colombie-Britannique, exclut à cause de leur race de nombreuses personnes qui seraient autrement aptes à voter. En effet, la Colombie-Britannique ne reconnaît pas le droit de vote aux personnes d’origine japonaise ou chinoise, de même qu’aux « hindous », expression qu’on applique alors à quiconque vient du sous-continent indien et n’est pas d’origine anglo-saxonne, peu importe qu’il soit de religion hindoue ou musulmane, ou de toute autre religion. La Saskatchewan exclut également du suffrage les personnes d’origine chinoise, mais le nombre de personnes ainsi exclues y est beaucoup moins élevé qu’en Colombie-Britannique.

Cette discrimination date de longtemps en Colombie-Britannique; lorsque la province s’est jointe à la Confédération en 1871, 61,7 % de sa population était d’origine autochtone ou chinoise, contre 29,6 % d’habitants d’origine britannique. Les mesures visant à exclure du suffrage les Autochtones et les personnes d’origine orientale ont été élargies à mesure que l’immigration s’intensifiait vers la fin du XIXe siècle.

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Les citoyens d’origine japonaise ont été privés du droit de vote depuis l’entrée de la Colombie-Britannique dans la Confédération, en 1871, jusqu’en 1948.
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Discrimination légale     haut

Cette exclusion sera contestée en 1900, dans l’affaire Homma, mais en 1903 le Comité judiciaire du Conseil privé du Royaume-Uni (qui, à l’époque, est l’instance de dernier recours du Canada) confirmera que l’assemblée législative de la Colombie-Britannique a le droit de décider qui peut voter aux élections provinciales.

Ce déni du droit de vote a des répercussions de grande portée, car en vertu de la législation provinciale, les personnes qui veulent exercer les professions de pharmacien et d’avocat, de même que les fonctionnaires municipaux et provinciaux, doivent être inscrits sur les listes électorales. En conséquence, les Canadiens d’origine japonaise et chinoise se voient refuser l’accès à ces professions et ne peuvent pas non plus passer de marchés avec les administrations municipales, qui ont les mêmes exigences.


Universalité limitée     haut

Même le service militaire n’ouvre pas droit au suffrage. Après la Première Guerre mondiale, l’assemblée législative de la Colombie-Britannique décide, à l’issue de longs débats, de ne pas accorder le vote aux anciens combattants d’origine japonaise, et encore moins à d’autres Canadiens japonais. Certains d’entre eux avaient voté à l’élection fédérale de 1917, en vertu de la Loi des électeurs militaires. Leur exclusion au niveau provincial ne les excluait pas du suffrage fédéral. Lors du débat sur la législation électorale de 1920, cependant, Hugh Guthrie, solliciteur général de l’époque, exprime clairement ses objections :

Le droit de citoyen britannique n’entraîne pas le droit de vote; il en est ainsi, je crois, dans tous les pays. Le droit de vote est toujours un droit à part [...] Le Parlement statue sur les conditions se rattachant à l’exercice du droit de suffrage [...] Nul Oriental, qu’il soit hindou, japonais ou chinois, n’acquiert l’électorat en ce pays, par le seul fait qu’il est citoyen.

Débats, 29 avril 1920, 1862

Il affirme qu’il ne s’agit pas de discrimination, mais tout simplement du fait, pour le gouvernement, de reconnaître les exclusions imposées par la loi de toute province pour des motifs liés à la race.

En 1936, une délégation de Canadiens japonais se rend à la Chambre des communes pour demander le droit de vote. Le Premier ministre Mackenzie King répond qu’il ignorait que les Canadiens japonais désiraient avoir le droit de voter. Le député A.W. Neill de la circonscription de Comox-Alberni, qui compte une importante population canado-japonaise, affirme que cette requête n’est que du verbiage sentimental. Un autre député de la Colombie-Britannique, Thomas Reid, laisse entendre que toute cette histoire est un complot pour permettre au gouvernement japonais d’installer des espions en Colombie-Britannique. La requête, évidemment, est refusée.


Exclusions raciales     haut

Pendant la guerre, à la suite de l’attaque de Pearl Harbor, des Canadiens d’origine japonaise sont expulsés ou internés. En 1944, le gouvernement fédéral modifie l’Acte des élections fédérales pour refuser le droit de vote aux Canadiens japonais qui ont été forcés de quitter la Colombie-Britannique pour s’installer dans des provinces où ils n’étaient pas traditionnellement exclus du suffrage. L’élargissement au reste du Canada des exclusions raciales appliquées en Colombie-Britannique provoque de vives réactions chez certains députés d’autres provinces.

Clarence Gillis, député de la Fédération du commonwealth coopératif (CCF) de Cap-Breton-Sud, affirme :

Si, d’une part, la guerre que nous faisons au Japon est quelque chose de sérieux et si, d’autre part, la population de ce pays s’est rendue coupable de nombreux actes d’atrocité, il ne faudrait pas que nous fassions de même à notre tour.

Le député libéral Arthur Roebuck, de Toronto-Trinity, déclare :

Je ne pourrais pas faire face aux groupements minoritaires de ma ville – les Ukrainiens, les Polonais, même les Italiens, et plusieurs autres – si je laissais passer cette occasion sans démontrer bien clairement à la Chambre et au pays que, lorsqu’il s’agit d’établir des distinctions de race contre un groupement quelconque, il ne faut pas compter sur moi.

Mais tous les députés ne partagent pas ces idées. A.W. Neill est en faveur de l’exclusion, affirmant qu’on « évacue ces gens de la Colombie-Britannique et on les dissémine dans tout le Canada comme une épidémie de variole [...] Le Canada est un pays habité par les Blancs et nous voulons qu’il en soit toujours ainsi. »




L’élimination des restrictions raciales     haut

Le premier ministre Mackenzie King nie que cette politique soit raciste : un Canadien japonais qui a vécu en Alberta avant 1938 ne perdra pas son droit de vote, affirme-t-il; la mesure s’applique uniquement aux Canadiens japonais qui ont quitté la Colombie-Britannique pour s’installer en Alberta après 1938. Les évacués, ajoute-t-il, « sont encore citoyens de la Colombie-Britannique » et, à ce titre, assujettis aux lois de cette province même s’ils n’y résident plus (Débats, 17 juillet 1944, 5098 et sq.).

Après la Seconde Guerre mondiale, les députés les plus âprement anti-japonais perdent leur siège en faveur de députés plus modérés, et l’opinion publique commence à changer. Les restrictions sur les déplacements et d’autres restrictions visant les Canadiens japonais sont maintenues jusqu’en 1948, année où le Parlement élimine les mesures de discrimination raciale en matière de droit de vote. Le débat est bref, occupant une seule colonne du Journal de la Chambre des communes le 15 juin 1948. Cette forme particulière de racisme électoral relève désormais de l’histoire, mais il va s’écouler encore au moins une décennie avant que certains Autochtones accèdent au droit de vote.

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En 1944, le premier ministre Mackenzie King niait encore qu’il était raciste d’exclure les Canadiens japonais du droit de vote. Quatre ans plus tard, les mentalités ayant évolué, il suffit d’un court débat à la Chambre des communes pour éliminer cette mesure.
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Les exclusions fondées sur la religion     haut

Divers groupes religieux sont privés du droit de vote par la Loi des élections en temps de guerre de 1917, surtout parce qu’ils s’opposent au service militaire. Les plus connus sont les Mennonites et les Doukhobors. La mesure d’exclusion est levée à la fin de la Première Guerre mondiale, mais ces deux groupes font l’objet, par la suite, de traitements très différents sur le plan électoral.

Les Mennonites, immigrés au Canada dans les années 1870, sont exemptés du service militaire par un décret du 3 mars 1873, mais perdent leur droit de vote pendant la Première Guerre mondiale parce qu’ils parlent une « langue ennemie » (l’allemand). Ils sont à nouveau admis au suffrage en 1920, lorsque l’Acte des élections fédérales remplace la Loi des élections en temps de guerre.

Les Mennonites suscitent peu de xénophobie, car leur mode de vie leur permet de bien s’intégrer aux collectivités agricoles des Prairies. Les Huttérites et les Doukhobors sont la cible d’une plus grande animosité, non pas à cause de leurs croyances pacifistes, mais parce qu’ils pratiquent l’agriculture communautaire. Les Huttérites ont immigré au Canada en provenance des États-Unis en 1918, pour éviter le service militaire obligatoire. S’ils soulèvent une certaine opposition locale là où ils sont établis, ils attirent peu l’attention, en général, et votent rarement.

Il n’en est pas de même des Doukhobors. En 1917, puis de 1934 à 1955 (année où sera levée l’interdiction de voter pour les objecteurs de conscience), les Doukhobors se voient retirer le droit de vote aux élections fédérales, en principe parce que leur foi leur interdit de porter les armes. Toutefois, les débats sur la question à la Chambre des communes montrent clairement que les députés favorables à l’exclusion des Doukhobors se préoccupent moins du service militaire que des vues sociales et des comportements des Doukhobors.


Le cas des Doukhobors     haut

Le débat entourant l’Acte des élections fédérales de 1934 révèle notamment les craintes et l’étroitesse d’esprit de certains députés de la Colombie-Britannique, par opposition aux députés d’autres provinces qui appuient plus largement la liberté de religion.

Le député conservateur de Kootenay-Ouest, W.J. Esling, déclare que si les députés d’autres provinces vivaient dans sa circonscription, ils seraient aussi disposés que lui à retirer le droit de vote à cette secte religieuse.

Un autre député conservateur, futur ministre de la Défense nationale, Grote Stirling, affirme que les Doukhobors agissent avec un manque de décence « dégoûtant ». Il est particulièrement offusqué de constater qu’ils « votent en bloc pour les libéraux », sur les ordres de leur leader.

A.W. Neill, député indépendant de Comox-Alberni, soutient que les députés favorables à l’octroi du droit de vote aux Doukhobors font preuve d’un « sentimentalisme maladif ».

L’un des députés qui appuient les Doukhobors est J.S. Woodsworth, chef de la Fédération du commonwealth coopératif (CCF). Il fait l’éloge des Doukhobors pour leur tempérament industrieux, et proteste contre le fait que leurs croyances religieuses servent de prétexte pour leur retirer le droit de vote. Woodsworth et un certain nombre de députés libéraux font valoir que les Doukhobors peuvent difficilement devenir de bons citoyens si eux-mêmes et leurs descendants se voient retirer le droit de vote.

En 1938, lors d’une nouvelle révision de la législation électorale, les députés Esling, Stirling et Neill s’opposent encore une fois au droit de vote pour les Doukhobors. T.C. Love, député provincial de la circonscription de la Colombie-Britannique où les Doukhobors sont les plus nombreux, affirme que leur accorder le droit de vote « sonnerait la fin de la véritable démocratie dans Kootenay-Ouest » (Vancouver Province, 7 avril 1938). Les Doukhobors ne seront pas admis au suffrage.


L’élimination de la discrimination     haut

Après la Seconde Guerre mondiale, la discrimination raciale et religieuse s’atténue et les exclusions fondées sur des motifs raciaux sont graduellement éliminées. En 1955, à l’issue d’une nouvelle révision de la Loi électorale du Canada, la disposition suivante apparaît :

4. (1) Le paragraphe (2) de l’article 14 de ladite loi est modifié par l’adjonction du mot « et » à la fin de l’alinéa g), par l’abrogation de l’alinéa h) et par l’attribution de la lettre indicatrice h) à l’alinéa i).

Un député qui aurait consulté « l’alinéa h » aurait constaté qu’il visait les Doukhobors (sans les désigner nommément). Il n’y aura aucun débat sur cette mesure, qui éliminera les derniers vestiges de discrimination à l’endroit d’un groupe religieux dans la législation électorale canadienne.




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