La Compagnie de Cathay

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Le règne de la reine Élisabeth Ire fut caractérisé par le déclin des activités commerciales de type familial en faveur de partenariats entre marchands et spéculateurs, partenariats qui s'étendaient au-delà d'une seule entreprise commerciale ou d'une expédition unique. Pour sous-tendre de tels arrangements, les partenariats durent être formalisés, ce qui aboutit éventuellement à la création de sociétés qui furent désignées comme sociétés par actions.

Lorsque l'expédition entreprise en 1553 pour découvrir un passage jusqu'à Cathay par le nord-ouest aboutit en fait à la création de rapports commerciaux avec Moscou, divers marchands londoniens formèrent la Compagnie de Muscovie pour exploiter le commerce entre l'Angleterre et la Russie et poursuivre la recherche d'un passage menant à l'Asie. Une charte royale octroya un monopole à la Compagnie. C'est donc à la Compagnie de Muscovie que Frobisher présenta, en décembre 1574, une demande de licence et d'aide financière pour appuyer la recherche d'un passage par le nord-ouest qui mènerait en Extrême-Orient.

La Compagnie était sceptique, et refusa d'abord d'accorder la licence demandée. Toutefois, son agent londonien, Michael Lok, avait déjà la faveur et convainquit certains membres - peut-être insatisfaits des bénéfices faibles que rapportait le commerce avec la Russie et du fait que la Compagnie avait renoncé à rechercher un passage par le nord-ouest - de changer d'avis. Leur influence, combinée aux pressions exercées par le Conseil privé, persuadèrent la Compagnie de revenir sur sa décision.

Au sein de la Compagnie, Lok jouissait notamment de l'appui de l'un des gouverneurs, sir Lionel Duckett, qui était également membre de la Compagnie des Drapiers, gouverneur de la Company of Mines Royal [Compagnie des Mines royales] et ancien lord-maire de Londres. C'est Duckett qui fit le nécessaire pour que John Dee enseigne à Frobisher et aux principaux officiers les bases des sciences de la navigation. Stephen Borough, qui avait pris part à l'expédition de 1553 et qui avait personnellement tenté, en 1556, de trouver un passage par le nord-ouest était de ce nombre. Son frère William, également navigateur, recruta des marins pour les voyages de Frobisher et se joignit plus tard au rang des investisseurs. Plus important encore fut l'appui de William, lord Burghley, membre de la Compagnie de Muscovie, car il était lord-trésorier de l'Angleterre, conseiller principal de la Reine et membre éminent du Conseil privé. C'est d'ailleurs Burghley (qui auparavant avait employé Frobisher au service de l'État et qui appuyait déjà le projet d'expédition) qui orienterait les expéditions de Frobisher au nom de la Reine et du Conseil. Son appui du projet de recherche d'un passage par le nord-ouest incita d'autres membres du Conseil privé à investir.

Sir Lionel Duckett
Sir Lionel Duckett,
artiste inconnu (1586)

 
Reproduit avec la permission de la Compagnie des Drapiers
Portrait de sir William Cecil (plus tard lord Burghley) par Marcus Gheeraerts
 
Reproduit avec la permission de Burghley House
Lord Burghley

Lok joua sur le fait qu'il était membre de la Compagnie des Drapiers pour attirer d'autres investisseurs du milieu. Ces hommes comptaient parmi les éminents hommes d'affaires de Londres. Des hommes comme le financier sir Thomas Gresham, qui s'était déjà associé pour affaires à la famille de Lok par le passé, avait assez de fortune personnelle pour risquer un investissement dans un projet spéculatif comme celui qui était proposé. Gresham comprenait la nécessité de cimenter les bases du commerce anglais. On lui doit notamment le centre des finances, le Royal Exchange et le collège Gresham, où l'on enseignait la navigation, entre autres. Les marchands moins fortunés étaient moins enclins à investir dans les voyages de Frobisher.

Suivant l'exemple de la Compagnie de Muscovie, Lok et les autres investisseurs souhaitaient créer leur propre compagnie - la Compagnie de Cathay - qui jouirait d'un monopole semblable sur le commerce et l'exploration des eaux du Nord-Ouest. Il était donc important d'obtenir la reconnaissance légale des intérêts et des droits des investisseurs, par le biais d'une charte royale de constitution en société de la Compagnie. Lok fit plusieurs sollicitations à cet égard, offrant de faire fonction de gouverneur de la Compagnie, mais il semblerait qu'elles aient été ignorées par la Reine.

Le problème était que, même si Burghley insistait pour qu'un arrangement quelconque soit mis en place pour organiser et financer les voyages, après le succès apparent du premier voyage et la découverte de ce qui semblait être une source d'or, la Reine Élisabeth elle-même investit et fut imitée par bon nombre de courtisans. Une société légalement constituée aurait limité le contrôle de la Reine sur le but des expéditions et les stocks d'or en résultant, et donc limité sa part des bénéfices. Elle refusa donc d'octroyer une charte et nomma plutôt une commission royale chargée de veiller sur l'organisation des voyages subséquents. Ce qui était à l'origine une entreprise privée avait fini par prendre le tour d'une entreprise publique.

Il résulta de ses manœuvres que la Compagnie de Cathay n'obtint jamais de statut légal et que les investisseurs originaux, membres des compagnies de Muscovie et des Drapiers, exercèrent en fait un contrôle très limité sur le déroulement du projet. Pourtant, ils furent obligés par la commission royale d'augmenter leur investissement lorsque la troisième expédition, motivée par des ambitions politiques (fonder une colonie pour protéger les intérêts de l'Angleterre dans la péninsule Meta Incognita), prit des proportions gigantesques. Le besoin d'argent était d'autant plus pressant que certains investisseurs astucieux, dont Burghley et Gresham, n'avaient pas versé la majeure partie des sommes promises.

Lorsque les espoirs s'avérèrent vains, c'est-à-dire lorsqu'il fut révélé que le minerai de l'Arctique ne contenait pas de métaux précieux, tout jouait pour que les investisseurs et les créditeurs cherchent à récupérer leurs pertes. Comme la Compagnie de Cathay n'existait pas, sur le plan légal, Michael Lok devint la cible principale des récriminations et des poursuites.



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