a décision du gouvernement fédéral de frapper
d'interdiction les organisations progressistes constituait un geste
d'autoritarisme visant à désamorcer le militantisme et
la solidarité qui ne cessaient de croître au sein de
la population des travailleurs canadiens. Aiguillonnés par
le plein emploi et mus par une colère grandissante envers
les gouvernements et les employeurs, les travailleurs recoururent
de plus en plus à la grève pour faire valoir leurs
revendications. Dans bien des cas, la frustration du mouvement
ouvrier passa avant le respect des lois en vigueur. Cependant, le
plus intéressant dans ce nouveau mouvement syndical
n'était peut-être pas son militantisme, mais l'origine
de ses partisans. Dans les quelques années qui avaient suivi
le déclin du mouvement syndical professionnel en 1913, une
transformation majeure s'était produite au sein du mouvement
syndical. Un grand nombre de syndicats de métier, bien que
ce ne fut pas le cas de tous, avaient levé les restrictions
qui ne leur permettaient d'accueillir comme membres que des
travailleurs hautement qualifiés. En fait, des syndicats
comme l'Association internationale des machinistes se
transformèrent en syndicats quasi industriels.
Cette évolution était remarquable en soi, mais
d'autres changements encore plus spectaculaires allaient
bientôt voir le jour. Dans les industries comptant un grand
nombre de syndicats, comme l'industrie des chemins de fer ou de la
construction, des conseils syndicaux conjoints furent établis
pour négocier collectivement avec les employeurs et, au
besoin, coordonner le recours à la grève. Dans
certaines villes, les travailleurs firent un pas de plus en
créant une seule organisation destinée à
représenter tous les travailleurs dans les négociations
avec les employeurs et le gouvernement. En Nouvelle-Écosse,
les travailleurs du comté d'Amherst et de Pictou firent
l'essai d'un syndicat industriel unique, et d'autres tentatives
du même genre eurent lieu à Saint John's à
Terre-Neuve, à Gananoque en Ontario, à Trail en
Colombie-Britannique, et ailleurs.
Le syndicalisme industriel faisait en sorte que les travailleurs,
qui pendant longtemps avaient été
dédaignés des syndicats de métier,
étaient désormais accueillis dans le giron du
salariat. Les travailleuses prirent leur place dans le mouvement
quoique rarement à des postes de direction. Les groupes
ethniques comme les Italiens et les Ukrainiens, qui avaient
jusqu'alors été exclus du mouvement ouvrier, parfois
en raison de préjugés, mais le plus souvent à
cause du fait que peu occupaient des postes de travailleurs
qualifiés, réagirent avec enthousiasme à
l'aide que leur offraient les syndicats.
Plusieurs autres caractéristiques de cette nouvelle vague
déplaisaient aux élites des secteurs public et
privé. Le leadership du mouvement était beaucoup
plus radical que ne l'avait été celui des syndicats
d'avant-guerre. Beaucoup de ces gens étaient des socialistes
ou des travaillistes militants qui incorporaient à leur
appel à la mobilisation syndicale des revendications
touchant la redistribution de la richesse et du pouvoir dans
la société canadienne. Le syndicalisme industriel,
de l'avis des socialistes, devait, pour être efficace,
être combiné à l'action politique. De pair
avec d'autres militants salariés, les socialistes se
battirent avec de plus en plus de succès en vue de faire
valoir les intérêts des salariés à
tous les paliers de gouvernement. En même temps, ils
préconisèrent davantage le recours à la
grève générale pour provoquer des changements
sur les plans économique et politique. Si tant de
nouveautés ne parvenaient pas à ébranler
les dirigeants gouvernementaux, il leur fallait en outre se
faire à l'idée que leurs propres travailleurs
réagissaient avec enthousiasme à l'appel du
mouvement syndical. Les policiers, les pompiers, les enseignants,
les travailleurs des postes et beaucoup d'autres
s'associèrent à la vague de mobilisation qui
déferla au pays à la fin de la Première
Guerre mondiale.
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