L’artefact

L’artefact

© Musée canadien des civilisations, VI-I- 50, Photo Marie-Louise Deruaz, IMG2012-0171-0005-Dm


« Les bateaux ayant une charpente en bois (ou en os) recouverte de peau ont une distribution circumboréale, quoique leur forme varie. Cependant, il y a lieu de croire que les Kutchins [Gwich’ins] de la région de la rivière Peel n’utilisaient guère, ou pas du tout, ces embarcations avant le contact avec les Blancs et le début de la traite des fourrures. Ce serait plus prudent de mettre l’accent sur « n’utilisaient guère », plutôt que sur « pas du tout », puisque les bateaux recouverts de peau sont une tradition culturelle ancienne sous les hautes latitudes.

On croit que les bateaux en peau d’orignal étaient rares dans la culture des Kutchins de la rivière Peel avant le contact pour les raisons suivantes : 1) les déclarations faites en 1938-1939 par des informateurs âgés qui connaissaient bien le sujet, 2) la conviction de l’auteur de ces lignes que les gens de la région de la rivière Peel ont rarement emprunté la Peel et les autres grandes rivières pendant l’été avant l’arrivée des Européens et longtemps après.

Dans cette région, le bateau en peau d’orignal était concomitant de l’établissement d’un cycle annuel d’activités qui comprenait une visite au poste de traite, en l’occurrence Fort McPherson, par de nombreux membres de la bande de la rivière Peel. Le bateau est devenu un élément important de ce que l’auteur de ces lignes a déjà appelé “le régime d’autrefois”.

La petite flottille de bateaux en peau d’orignal qui descendait jusqu’à Fort McPherson après la débâcle sur la Peel était appelée, en anglais de l’arrière-pays, la “brigade”, terme qui rappelle les brigades de canots de fret et de bateaux d’York utilisés dans la traite des fourrures. Les conditions ayant changé après la fin du XIXe siècle, l’utilisation de bateaux en peau d’orignal a diminué. Quand la chasse au rat musqué dans le delta du Mackenzie est devenue importante, ces bateaux sont devenus obsolètes. La dernière “brigade” a descendu la Peel en 1922. Deux bateaux ont descendu la Peel au printemps 1925, et aucun par la suite.

La forme du modèle réduit réalisé par Brian Francis est exacte, et le nombre de membres semble être plus ou moins exact. Cependant, le revêtement n’est pas représentatif, car il fallait de quatorze à vingt peaux pour construire un bateau grandeur nature. Ils mesuraient de 25 à 40 pieds [de 7,5 à 12 m].

L’auteur de ces lignes a vu des Kutchins utiliser des bateaux en peau d’orignal sur la basse Chandalar, en Alaska, pendant l’été 1961. Ils mesuraient de 8 à 12 pieds [de 2,4 à 3,6 m] et étaient recouverts de 6 à 10 peaux intégrales ou de parties de ces peaux. Parfois, on utilise des peaux de caribou d’hiver pour compléter les peaux d’orignal en cas de pénurie, mais on dit que les peaux de caribou sont inférieures pour cet usage.

Les peaux ne sont pas apprêtées d’une façon particulière avant d’être tendues sur la charpente du bateau. La face intérieure n’est grattée que partiellement, afin de laisser un peu de gras imperméabilisant et lubrifiant qui aide en quelque sorte à sceller de petits trous éventuels. On utilise les bateaux une seule fois. Quand il arrive à destination, en aval, il est démonté, et les peaux sont grattées à fond et apprêtées (p. ex. tannées) ou vendues. »

— Richard Slobodin, 1963–1964


« À la fin du printemps, les Autochtones descendent la rivière Peel dans des bateaux en peau d’orignal. Ces bateaux ont toujours une charpente en épinette, un bois léger qui est façonné quand il est encore vert. La charpente est recouverte de peaux d’orignal brutes et propres. Six ou sept familles peuvent collaborer à la construction du bateau. Les hommes font la charpente, et les femmes cousent environ douze peaux ensemble avec du tendon d’une façon qui semble être de la couture imperméable esquimaude [inuite], selon la description donnée par un homme. »

— Cornelius Osgood, 1936