L'origine d'une collection

Lorsque l'ethnologue Marius Barbeau (1884–1969) fit l'acquisition de cette collection, en 1933, il visait des buts bien différents de ceux que nous poursuivons maintenant.

Marius Barbeau était alors engagé dans une étude approfondie des cultures autochtones du nord de la Colombie-Britannique et du Yukon. À la fin des années 1920, pendant qu'il se trouvait à Arrandale, dans le nord de la Colombie-Britannique, il avait entendu sur un phonographe une mélodie japonaise qui avait attiré son attention : elle ressemblait beaucoup à certains chants qu'il venait de recueillir auprès des Autochtones. Désireux de poursuivre ses recherches sur ce qui lui paraissait être une nouvelle voie dans l'étude des origines asiatiques des Amérindiens, il fit appel, en décembre 1932, à un érudit faisant autorité dans le domaine de la chanson chinoise, le professeur Kiang Kang-Hu, alors directeur du département des études chinoises à l'Université McGill de Montréal.

"Tsimshian music - Love song and cremation song"

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La vieille femme fait ses dévotions (Lao Nu bai shen)

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Pendant quatre jours, le professeur Kiang et Marius Barbeau analysèrent une vingtaine de transcriptions de chants recueillis auprès des Autochtones de la Colombie-Britannique et du Yukon. Les résultats se révélèrent des plus probants. Le professeur Kiang retrouvait de nombreuses similitudes entre ces chants et certaines chansons chinoises archaïques. On poussa alors plus loin l'étude comparative de la musique chinoise et amérindienne avec l'audition d'un petit ensemble de disques chinois prêté à cette fin par un marchand chinois de Montréal. Encore une fois, on nota des ressemblances remarquables dans la structure de certaines chansons. À cet égard, un chant lyrique des Gitksans de Bear Lake, « Kalastetsee », enregistré par James Teit, se révéla fort semblable à une chanson lyrique chinoise « The Song of Blue-Chamber ». Ces mêmes structures se retrouvaient aussi sur plusieurs disques de chansons chinoises empruntés au marchand chinois, notamment dans la pièce intitulée "La vieille femme fait ses dévotions".

Bien que préliminaires, ces travaux attirèrent l'attention des journaux, notamment « The Gazette » de Montréal, qui en fit état dans son édition du 14 décembre 1932. Mais surtout, ils encouragèrent Marius Barbeau à poursuivre ses recherches. Ayant appris que le marchand chinois, qui faisait faillite, offrait de vendre son inventaire de disques pour trois dollars la douzaine, il fut convenu d'en faire l'achat pour le compte du Musée national du Canada (maintenant le Musée canadien des civilisations). Le professeur Kiang entreprit alors de sélectionner une série de plus de 200 disques différents parmi les quelque 1 500 copies offertes par le marchand. Aidé de ses enfants, il prépara 22 douzaines de disques (264) qu'il divisa en séries de deux à quatre disques attachés ensemble avec de la ficelle. L'ensemble, qui représentait une somme de 66 $, plus trois dollars de frais d'envoi, fut expédié à Marius Barbeau le 21 mars 1933.

Couvercle de la boîte en bois dans laquelle les disques ont été expédiés de Kiang Kang-Hu à Marius Barbeau
Couvercle de la boîte en bois dans laquelle les disques ont été expédiés par Kiang Kang-Hu à Marius Barbeau, Photo © MCC, Archives, IMG2009-0062-0037-Dm

Pendant quelque temps, Marius Barbeau poursuivit son étude, réécoutant certains disques pour en noter les similitudes avec la musique, les mélodies et les rythmes des chants amérindiens. Mais ses recherches allaient rapidement prendre une autre direction, et la collection de disques allait tomber dans l'oubli le plus complet pour ne refaire surface qu'en 2008, après 75 ans de silence.

Montage de disques
Montage de disques, Photo ? MCC, Archives, IMG2009-0062-0021-Dm
Écoutez cette chanson traditionnelle cantonaise, enregistrée en 1905
Écoutez cette chanson traditionnelle cantonaise, enregistrée en 1905, © Domaine public, Source: Bibliothèque et Archives Canada/Harold D. Smith fonds/MUS 113, nlc-14717

Figés dans le temps, les disques se trouvaient toujours dans leur pochette d'origine, attachés en groupes de deux à quatre avec des ficelles de tous genres, tels que les avaient préparés en 1933 le professeur Kiang Kang Hu et ses enfants pour le compte de Marius Barbeau.

Aujourd'hui, notre intérêt pour cette collection est tout autre. Ces disques, qui témoignent des opéras traditionnels cantonnais des années 1915 à 1920, sont maintenant très rares. Très peu de collections de ce genre ont résisté aux aléas du temps. Cela est d'autant plus vrai pour les disques de fabrication canadienne produits par Berliner Gram-o-phone Co. Limited, entreprise connue par la suite sous le nom de Victor Talking Machine Company of Canada Ltd., de Montréal, et de Columbia Records, pour la franchise de Toronto. Parmi la collection initiale de 264 disques acquise en 1933, il en reste 238, dont une quinzaine ont malheureusement été brisés ou endommagés.

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