Depuis l’élection américaine de 2024, de nombreuses personnes au Canada expriment leur patriotisme et célèbrent le Canada en tant que nation unifiée, avec un enthousiasme sincère. Toutefois, les peuples autochtones ne sont pas à l’aise avec cette vague de nationalisme. Pour comprendre ce moment en 2025, revenons sur les réactions des Autochtones aux festivités de Canada 150.
En janvier 2017, la fanfare entourant le 150e anniversaire de la Confédération canadienne a commencé. Mais de nombreuses nations et communautés autochtones étaient, elles, en deuil, après 150 ans d’oppression et de violence coloniales, y compris la dépossession et l’effacement culturel.
Christi Belcourt, Maria Campbell, Tanya Kappo, Isaac Murdoch et bien d’autres artistes, activistes, et gardiens et gardiennes des savoirs autochtones n’ont pas célébré cet anniversaire. Ces personnes ont plutôt créé #Résistance150, un projet et un contre-mouvement destinés à mettre en lumière de dures vérités sur le Canada. Elles voulaient montrer les nombreuses façons dont les peuples autochtones ont résisté aux politiques discriminatoires et oppressives du gouvernement canadien, et comment ils continuent de le faire.
#Résistance150 est l’expression d’un mouvement plus large au sein de l’art autochtone au Canada. Ce mouvement vise à provoquer un dialogue sur le passé du Canada et à sensibiliser les gens à la résurgence, à la survie et à la résilience des peuples autochtones.
De nombreuses formes d’art autochtone résistent aux références culturelles dominantes, les reprennent et les retravaillent. Dans une série d’estampes intitulée There Is Hope, If We Rise (Il y a de l’espoir, si nous nous soulevons), Sonny Assu fait référence à l’affiche emblématique Hope, de Shepard Fairey, mettant en vedette Obama. Mais les œuvres d’Assu utilisent des motifs de conception kwakwaka’wakw et des textes décoloniaux pour réfléchir au mouvement « Idle No More » (Jamais plus l’inaction).
Musée canadien de l’histoire, LH2016.30.1.12
Remettre en cause les mythes nationaux et les idées fausses
Bien que ce ne soit pas une célébration, #Résistance150 ne vise pas à rejeter le Canada d’emblée. Il s’agit plutôt de faire face à l’héritage colonial. Cela inclut le mythe du Canada en tant que nation bienveillante et multiculturelle construite sans cout ni dommage. Les peuples autochtones ont bel et bien payé un prix et subi des préjudices lors de la construction du pays.
Les 150 dernières années ont été assombries par :
- leur déplacement forcé ou l’expulsion de leurs territoires traditionnels;
- l’imposition violente du système des pensionnats, avec ses séquelles;
- des systèmes d’inégalité permanents qui nuisent aux Autochtones et qui les défavorisent dans des domaines comme l’éducation, les soins de santé et la justice.
#Résistance150 a été un acte de survie et de résistance visant à affirmer la présence autochtone. Le projet réfutait la tendance canadienne à ignorer l’histoire coloniale, si gênante pour la fierté nationale. Le contre-mouvement a choisi de remettre en question le colonialisme inavoué lié à la célébration du 150e anniversaire de la Confédération canadienne. Il demandait un avenir plus inclusif, un avenir qui reconnait l’ensemble de l’histoire du Canada.
Célébrer la survie et la résurgence des Autochtones
Des artistes autochtones de partout au Canada ont utilisé le mot-clic #Résistance150 sur diverses plateformes de médias sociaux pour problématiser les festivités de l’anniversaire du Canada qui auraient lieu.
Nadya Kwandibens, photographe anishinaabeg, n’a pas tardé à réagir à la frénésie croissante dans les médias et les réseaux sociaux autour de Canada 150. En janvier 2017, Kwandibens a publié sur X (anciennement Twitter) : « N’étiquetez pas mon art avec #Canada150 et/ou #réconciliation. Mon art ne célèbre pas le colonialisme et ne se soumet pas à l’industrie de la réconciliation. » Son commentaire a été republié des centaines de fois.
Inspirée par #Résistance150, Kwandibens a précisé que ses photos n’étaient pas des portraits d’Autochtones exprimant le bonheur et la réconciliation. Ils illustraient plutôt l’autochtonie dans des contextes urbains contemporains, afin de remettre en question l’effacement des cultures autochtones.
Tasha Spillet, photographiée à Winnipeg (Manitoba), en juin 2016 pour la série Concrete Indians (Indiens concrets), de Nadya Kwandibens.
Les photographies de sa série Concrete Indians corrigeaient les représentations stéréotypées d’Autochtones en pagne sur des fonds pittoresques. Kwandibens montrait des Autochtones qui vivent dans la jungle urbaine tout en exprimant leur patrimoine culturel. Elle montrait aussi que la résistance avait toujours été synonyme d’adaptation pour les peuples autochtones au Canada.
Son portrait de Tasha Spillet a largement circulé sur les médias sociaux en 2017. Tasha a fait preuve de résistance et d’adaptabilité à travers ce portrait. Elle portait une robe contemporaine et un foulard de Kokum, que l’on voit souvent dans des pow-wow. Elle tenait un ordinateur portable Apple décoré d’un autocollant « Decolonize » et un éventail à plumes orné de perles comme ceux que portent les danseuses en robe à clochettes.
Spillet est l’exemple même de la femme autochtone contemporaine. Elle s’est adaptée au monde qui l’entoure tout en restant fidèle à son patrimoine culturel. On le constate non seulement dans sa façon de s’habiller, mais aussi dans ce qu’elle choisit d’emporter avec elle. Ce portrait montre qu’en dépit des politiques coloniales et gouvernementales qui ont tenté d’effacer les peuples autochtones et leurs cultures, ces derniers se sont adaptés, ont résisté et résistent encore. Et en ce 21e siècle, les peuples autochtones continuent de s’adapter. Ils vivent dans des villes et font des études coloniales, tout en exprimant et en conservant leurs racines culturelles.
#Résistance150 a été un appel à l’action pour toute la population allochtone au Canada. Il s’agissait d’un appel à la réflexion sur les vérités qui ont construit ce pays et qui ont été enterrées. Il s’agissait d’un appel à reconnaitre le travail continu des peuples autochtones pour résister à l’effacement culturel et s’adapter à la vie canadienne contemporaine.
Des vérités nationales qui dérangent
Le 150e anniversaire de la Confédération canadienne a donné à la population du pays l’occasion de réfléchir à son histoire collective, aussi douloureuse qu’elle soit parfois. #Résistance150 a été un appel à l’action pour la population au Canada, afin qu’elle se sente mal à l’aise face à son histoire collective difficile. Le mouvement invite les gens partout au pays à résister aux mythes de leur passé qui sont faciles à digérer. Les artistes autochtones et les personnes qui gardent les savoirs ont mené et continueront à mener des mouvements de résistance, faisant ressortir les squelettes du placard de notre histoire commune. Cette approche semble aujourd’hui plus importante que jamais.
Dans tout le Canada, l’art de rue anticolonial a réagi par la critique au patriotisme des festivités de Canada 150.
Flickr/ bella_velo
Plusieurs années plus tard, le Canada est aux prises avec la découverte de tombes anonymes sur des sites de pensionnats, un racisme systémique persistant et des menaces économiques imminentes. Nous voyons les États-Unis éroder leur propre histoire, en niant et en ignorant tout ce qui perturbe le récit « Make America great again » (Rendre sa grandeur à l’Amérique). Les leçons de #Résistance150 semblent d’autant plus urgentes. Les principaux messages sont toujours d’actualité : la célébration ne peut pas se construire sur le déni et elle ne doit jamais occulter la vérité.
Quand on pense au nationalisme canadien, il est important de se demander à qui appartient l’histoire qu’on raconte. Demandez-vous : Le Canada a-t-il vraiment une histoire nationale unique et unifiée? Ou est-ce plutôt la diversité des points de vue qui fait de nous une entité nationale forte?
Kristine McCorkell
Kristine McCorkell (Kanien’kehá:ka des Six Nations de la rivière Grand) est membre de l’équipe de recherche depuis 2022. Iel est responsable de la collection d’art autochtone, y compris des acquisitions, de la recherche et de l’établissement de relations dans ce domaine.
Lire la notice biographique complète de Kristine McCorkell