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La recette du mois de la conservatrice Laura Sanchini

Les « toutons » de Terre-Neuve

Les aliments constituent une façon de découvrir de nouvelles saveurs, de nouvelles cultures, un peu comme les voyages. La recette du mois nous vient de Terre-Neuve, où j’ai vécu pendant presque toute ma vingtaine, durant mes études supérieures à l’Université Memorial.

Lorsque je suis arrivée à St. John’s, je me suis vite intéressée au paysage culinaire de ma ville d’adoption – qui était très différent de celui du milieu italo-québécois de mon enfance. Les mets favoris des Terre-Neuviens, comme la morue fraiche, le panais, la mélasse et la sarriette, sont devenus des éléments de base dans ma minuscule cuisine d’étudiante.

Au matin de ma toute première journée à Terre-Neuve, j’ai pris le petit-déjeuner dans un pub local et j’ai choisi de gouter une spécialité de la région : les « toutons ». Ne connaissant pas la bonne façon de prononcer le terme, je les ai appelés des « toutans », ce qui a bien amusé le serveur. (Le mot se prononce en fait « tou-tène », ce qui sera bon à savoir si vous visitez St. John’s.)

Comme bien d’autres mets populaires, les toutons portent plusieurs noms. Le Dictionary of Newfoundland English indique qu’on les appelle aussi flacoon, bangbelly et damper devil, selon la région et la variété.

Les toutons constituent l’aliment-réconfort par excellence pour le petit-déjeuner : de tendres morceaux de pâte à pain frits, bien dorés, nappés de mélasse riche et savoureuse. Les toutons sont un peu comme des câlins très réconfortants! On en connait peu sur l’origine des toutons, mais certaines sources indiquent qu’ils étaient faits de restes de pâte à pain qu’on avait fait lever pendant la nuit. Les morceaux de pâte étaient ensuite frits, puis servis avec de la mélasse et des « scrunchions » (genre de lardons frits).

Les aliments propres à une région peuvent révéler bien des choses au sujet des gens qui les cuisinent. Ils nous donnent aussi une idée de la façon dont les gens les utilisent pour exprimer leur identité. La mélasse, par exemple, faisait partie des échanges commerciaux entre les Antilles et la région de l’Atlantique au 18e siècle. Elle figurait parmi les principales denrées alimentaires des premiers colons de cette région.

Au 19e siècle, la mélasse occupait une place importante dans le quotidien. Elle était utilisée dans les recettes, elle servait à sucrer le thé et, servie sur des tranches de pain, elle devenait un repas tout simple. Au 21e siècle, la mélasse a acquis une valeur symbolique, voire nostalgique, reliant le passé et le présent pour évoquer des notions romancées d’histoire régionale, de pauvreté, d’identité, et parfois des récits de résilience.

Étant donné la popularité sans précédent de la confection de pain en 2020, les toutons constituent une façon créative d’ajouter de la variété au petit-déjeuner en vous servant de votre pâte à pain préférée. Ne vous en faites pas si vous n’avez pas de recette de pain ou de toutons favorite : servez-vous de la mienne, ci-dessous!

Maisons au bas des pentes abruptes

Photo : Laura Sanchini


 

Recette

Pâte

Ingrédients
  • 375 ml (1 ½ t.) d’eau tiède
  • 5 ml (1 c. à thé) de sucre
  • 7.5 ml (1 ½ c. à thé) de sel
  • 11.25 ml (2 ¼ c. à thé) de levure de boulangerie
  • 875-1 000 ml (3 ½-4 t.) de farine blanche
  1. Incorporer le sucre, le sel et la levure à 125 ml (½ t.) d’eau tiède.
  2. Remuer brièvement le mélange et laisser reposer pendant 5 minutes pour activer la levure. Le mélange devrait alors former des bulles et commencer à mousser.
  3. Dans un grand bol, ajouter ce mélange à 750 ml (3 t.) de farine. Mélanger.
  4. Incorporer le reste de l’eau tiède (250 ml/1 t.) en remuant constamment.
  5. Ajouter peu à peu le reste de la farine (250 ml/1 t.). (Il se peut que vous n’ayez pas besoin des 1 000 ml (4 t.), tout dépend de la farine que vous utilisez.) Lorsque la pâte est trop épaisse pour être mélangée dans le bol, la placer sur un plan fariné pour la pétrir. Ajouter de la farine si la pâte devient trop collante.
  6. Une fois que la pâte est lisse et uniforme, la déposer dans un grand bol huilé. Couvrir le bol et laisser la pâte lever pendant une heure, ou jusqu’à ce qu’elle ait doublé de volume. L’idéal est de mettre la pâte dans un four éteint, l’ampoule allumée (aucune autre source de chaleur n’est nécessaire).
  7. Une fois la levée terminée, frapper la pâte avec le poing, puis la pétrir pendant 2 à 3 minutes sur un plan légèrement fariné.

Toutons

  1. Couper la pâte en tranches égales, puis façonner chacune d’elles en une rondelle.
  2. Sur la cuisinière, faire chauffer une poêle et ajouter 15 ml (1 c. à table) d’huile. (S’assurer d’utiliser une huile qui peut être chauffée à feu moyen-élevé. Pour ma part, j’utilise l’huile de noix de coco.)
  3. Déposer les rondelles de pâte dans la poêle et les faire cuire jusqu’à ce que les deux côtés soient brun doré.
  4. Faire cuire toutes les rondelles.
  5. Napper (ou noyer!) les rondelles de mélasse. Bon appétit!

Au sujet de Laura

Une jeune femme

Laura Sanchini est conservatrice, Métiers d’arts, Design et Culture populaire, au Musée. Elle est spécialiste de l’étude du matériel culturel vernaculaire (ce que les gens confectionnent) et de l’histoire orale (les récits racontés). Ayant grandi au sein d’une grande famille immigrante, à Montréal, Laura a baigné dans les traditions culinaires familiales, ce qui a éveillé son intérêt pour l’étude de la culture alimentaire.

Chaque semaine, Laura travaille comme bénévole à un sanctuaire pour animaux de ferme de la région, où elle s’occupe des vaches, des moutons, des chèvres, des chevaux, des porcs et des oiseaux. Son animal préféré est une femelle mouton appelée Rose (surtout, ne le dites pas aux autres animaux). Dans ses temps libres, Laura pratique la musique en dilettante, s’initie à la fabrication de tapis au crochet et est une artiste-peintre passionnée.

Suggestions de lectures

Barer-Stein, Thelma. 1999. You Eat What You Are. People, Culture and Food Tradition. Willowdale, ON : Firefly Books.

Conlin, Dan. 1996. « A Private War in the Caribbean: Nova Scotia Privateering, 1793–1805 ». The Northern Mariner/Le Marin du Nord, 6 : 29–46.

Jesperson, Ivan F., ed. 1974. Fat-Back and Molasses. A Collection of Favorite Old Recipes from Newfoundland and Labrador. St. John’s, NL : Jesperson Publishing.

Jones, Michael Owen. 2007. « Food Choice, Symbolism, and Identity: Bread-and-Butter Issues for Folkloristics and Nutrition Studies ». Journal of American Folklore, 120 : 129–77.

Jones, Michael and Long, Lucy. 2020. Comfort Food Meanings and Memories. Jackson : University Press of Mississippi.

Tobin, Beth Fowkes. 1999. « And There Raise Yams: Slaves’ Gardens in the Writings of West Indian Plantocrats ». Eighteenth-Century Life, 23, 2 : 164–76.

Tye, Diane. 2008. « A Poor Man’s Meal ». Food, Culture & Society, 11 : 3, 335–353.