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Un vaste jardin de fleurs aménagé avec un bassin d’eau et une fontaine au premier plan. Au centre de la piscine se trouve une sculpture en métal brillant représentant une paire de mains libérant une colombe.

Entre voisins : ce que le Jardin international de la paix nous rappelle à propos du Canada

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Publié

2 sept. 2025


Certains monuments commémorent des évènements passés. D’autres reflètent ce qu’une nation veut croire à propos d’elle-même. Le Jardin international de la paix en est un exemple. C’est un miroir autant qu’un monument.

Planté directement sur le 49e parallèle, là où le Manitoba rencontre le Dakota du Nord, il est plus qu’un parc paysager ou une bizarrerie sentimentale. C’est un miroir. Il est poli à un angle qui reflète la précieuse image que le Canada se fait de lui-même, une image de diplomatie, de coopération et de pacifisme exceptionnel. Pendant près d’un siècle, nous avons regardé notre reflet dans ce miroir et nous avons aimé ce qu’il montrait. Mais comme tout miroir laissé trop longtemps à l’abandon, des fissures ont fini par apparaitre.

Le Jardin international de la paix est situé près du centre du continent, le long du 49e parallèle.

Un jardin sur le 49e parallèle

Le Jardin de la paix est né pendant la Grande Dépression. Il a été inauguré en 1932 par des gens du Canada et des États-Unis qui se sont rassemblés sur des routes poussiéreuses et des bancs durs pour témoigner d’une promesse radicale : « Nous ne prendrons pas les armes l’un contre l’autre. » L’idée était à la fois audacieuse et romantique. Au lieu de clôturer leurs frontières, les deux pays ont planté des bégonias. Le cairn en pierre du jardin chevauche la frontière, tout comme ses allées, ses parterres de fleurs et la chapelle de la Paix. Cette dernière est un sanctuaire tranquille où sont gravées des citations sur la dignité humaine et l’harmonie mondiale. Ici, la frontière politique est une ligne se dressant dans un paysage partagé.

Photo en noir et blanc d’une grande foule entourant un cairn de pierre arborant l’Union Jack et le drapeau des États-Unis.

On estime à 50 000 le nombre de personnes venues du Canada et des États-Unis pour assister à la pose de la première pierre et à l’inauguration du Jardin de la paix en 1932.

Collection Fred McGuiness (20-2009.85), Archives S.J. McKee, Université de Brandon.

Cet acte d’idéalisme binational est profondément ancré dans la mémoire politique canadienne. Notre frontière est, comme nous aimons le dire, la « plus longue frontière non défendue » du monde. Elle est devenue la pierre angulaire d’une mythologie nationale. Une frontière définie, non pas par des tours de surveillance, mais par la confiance, la coopération et l’affinité. Le Dakota du Nord s’est même proclamé « État du Jardin de la paix ». Le symbolisme est profond.

Et pendant longtemps, ça a fonctionné. Même les petits gestes – un clocher commun ici, un auditorium là – semblaient témoigner de quelque chose de rare et de permanent. Le Jardin de la paix servait d’allégorie vivante : le Canada et les États-Unis, côte à côte, distincts, mais en harmonie.

Mais un jardin n’est pas une certitude. Il exige des soins, de la réflexion et le courage d’élaguer ce qui n’est plus utile.

La plus longue frontière non défendue

Il est devenu plus difficile de regarder dans le miroir depuis les dernières années. Les tensions qui semblaient autrefois lointaines se sont rapprochées : guerres commerciales, droits de douane sur l’acier et le bois, rhétorique déstabilisante du populisme américain. Lorsque le président Trump a évoqué la possibilité d’« absorber » le Canada, il s’agissait peut-être d’une phrase lancée à la légère, mais elle a ébranlé les esprits. La simple suggestion a montré à quel point le voile de l’amabilité peut être mince lorsque les politiques du pouvoir font surface. Soudain, la vision d’une paix éternelle entre voisins a semblé plus nostalgique que prophétique.

La sécurité, elle aussi, a refaçonné la frontière. Avant le 11 septembre, les personnes de citoyenneté canadienne franchissaient la ligne de démarcation sans embuches; c’était simple comme bonjour. Aujourd’hui, les passeports, les lecteurs biométriques et les longues files d’attente sont la norme. Le Jardin de la paix permet encore qu’on y entre sans documents officiels, mais seulement à l’aller. À la sortie, les gens doivent passer aux douanes. Un détail, certes, mais qui signale un changement sous-jacent : même les symboles les plus idylliques d’ouverture sont désormais flanqués de procédures et de précautions. Cet été, un reportage de la CBC a même révélé que des autorités américaines avaient bloqué l’accès à une route très fréquentée dans le sud de l’Alberta à des personnes canadienne. Cela nous rappelle discrètement que même les chemins très empruntés dans le cadre de cette relation de voisinage peuvent être fermés sans avertissement.

Une grande sculpture faite d’énormes poutres en métal rouillées et de béton, placée comme si elle était tombée.

Le monument du 11 septembre au Jardin de la paix a été installé en 2010. Il intègre des vestiges des tours effondrées du World Trade Center.

Flickr / Ken Lund

La rupture est devenue inévitable en 2020. La COVID-19 a entièrement fermé la frontière : pas symboliquement, mais physiquement. Le Jardin de la paix a fermé ses portes. Pour la première fois depuis sa fondation, l’idéal d’une coexistence ouverte a été déplacé par la peur globale. Le moment est passé, mais la question persiste : si les portes du Jardin ont pu se fermer si rapidement, doit-on y voir un message plus large au sujet de la permanence de la paix?

Présence autochtone au Jardin de la paix

En 2019, un changement s’est opéré au Jardin de la paix. Le drapeau de la bande de Turtle Mountain des Chippewa a été hissé pour la première fois, et une citation du chef Red Thunder a été gravée à l’intérieur de la Chapelle de la paix. C’est la première voix autochtone à y figurer depuis sa construction. Et ce ne sont pas des changements cosmétiques. Ils reconnaissent plutôt que cette zone frontalière a toujours été une terre autochtone et que le 49e parallèle traverse des géographies plus anciennes de parenté, de commerce et d’appartenance. Le Jardin, malgré toutes ses aspirations, a été construit par-dessus cette histoire, et non à côté.

Le reconnaitre ne diminue pas le message du Jardin de la paix. Au contraire, cela l’approfondit. Le Jardin a toujours raconté l’histoire de ce que le Canada aspirait d’être. L’inclusion des voix autochtones élargit cette histoire. Elle nous oblige à demander : peut-on célébrer la paix sans la vérité? Peut-on honorer l’amitié sans d’abord reconnaitre la fracture?

Le Jardin de la paix peut évoluer, tout comme la nation qu’il reflète.

Nouvelles semences, nouvelles saisons

À quoi un Jardin de la paix du 21e siècle pourrait-il ressembler?

Serait-il un espace où l’on ne se contenterait pas de commémorer la paix passée, mais où l’on imaginerait de nouvelles formes de coopération? Y réfléchirions-nous au climat, à la santé, à la souveraineté autochtone et à la solidarité transfrontalière? Alors que les incendies font rage et que les bassins hydrographiques se fragilisent, les deux nations qui ont planté ce jardin devront travailler ensemble non seulement pour préserver non seulement l’amitié, mais aussi la vie. Le conservatoire du jardin abrite déjà des plantes provenant du monde entier. La paix exige désormais l’interdépendance face à une précarité partagée.

En réalité, le Jardin de la paix a toujours été une sorte d’utopie. Pas au sens naïf, mais au sens ambitieux. Il nous demande d’imaginer un monde où les frontières ne sont pas blessantes, où la ligne de démarcation entre les pays peut plutôt être une couture. Il nous rappelle que la paix n’est pas un état fixe. Au contraire, c’est une action. C’est l’acte de soigner la terre, l’histoire et la mémoire.

Un vaste jardin de fleurs aménagé avec un bassin d’eau et une fontaine au premier plan. Au centre de la piscine se trouve une sculpture en métal brillant représentant une paire de mains libérant une colombe.

La frontière traverse le Jardin de la paix comme une ligne de symétrie, les jardins et l’aménagement paysager se reflétant de part et d’autre.

Flickr / Ken Lund

Entre voisins

Récemment, j’ai observé deux familles, l’une canadienne, l’autre américaine, qui se tenaient près de l’horloge florale au cœur du Jardin de la paix. Leurs enfants jouaient ensemble sur l’herbe, sans se soucier de la géopolitique. Lorsqu’une famille a proposé de prendre une photo pour l’autre, il n’y a pas eu d’hésitation. Juste un sourire. L’appareil est passé à l’autre paire de mains. Un remerciement.

Bref et éphémère. Mais c’est là ce que le Jardin offre, sans équivoque : dans cet espace, les liens peuvent se former sans effort. La frontière est présente, mais pas surveillée, l’idée du bon voisinage garde tout son sens. Un sens humain, non performatif.

Le Canada à son meilleur, il est là. Curieux. Coopératif. Non seulement fier d’être pacifique, mais aussi activement impliqué dans le maintien de la paix.

C’est de cette façon que le Jardin de la paix reste d’actualité. Il n’est pas un monument dédié à un passé parfait, mais un défi pour nous, dans le présent. Une invitation. Une provocation. Sommes-nous à la hauteur des idéaux gravés sur ce cairn?

Un cairn de pierre avec une plaque sculptée se dresse entre deux mâts, l’un arborant le drapeau du Canada, l’autre, le drapeau des États-Unis.

Le cairn installé en 1932 se trouve directement à la frontière entre le Canada et les États-Unis, à l’entrée du Jardin de la paix.

Flickr / Ken Lund

Photo de Katie Pollock

Katie Pollock

Katie Pollock est entrée au service du Musée en 2017. Née et élevée dans le territoire visé par le Traité  no 2, zone rurale du sud-ouest du Manitoba, elle est chargée du patrimoine matériel et immatériel des provinces des Prairies et des Territoires du Nord-Ouest d’aujourd’hui. Outre le travail d’exposition mené par la communauté, elle collabore avec les Ainées et Ainées et les gardiens et gardiennes du savoir, centrant les modes de savoir autochtones sur ses pratiques de conservatrice.

Lire la notice biographique complète de Katie Pollock
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